Tout d’abord, je dois avouer que j’ai une certaine passion pour le fait divers… Non pas par voyeurisme morbide, mais c’est quelque chose qui me fascine, et surtout, c’est aussi une part de notre histoire. La grande Histoire passe aussi par les faits divers, homicides, arnaques, vols et autres actes répréhensibles par la loi.
Page de couverture de "L’assassin et son bourreau". |
L’avis
On croise dans ces actes délictueux de drôles de personnages, si je puis dire… Par exemple, le marquis Bernardy de Sigoyer.
Un sacré bonhomme que ce marquis, qui fut accusé du meurtre de son épouse. Bernardy est né à Saint-Denis sur l’île de La Réunion. Si la famille Bernardy de Sigoyer possédait le titre de seigneur de Sigoyer (un village des Alpes-de-Haute-Provence), il faisait partie de la branche de La Réunion qui ne portait pas de titre nobilaire...
L’homme aux moult maîtresses fut comptable, chauffeur, écrivain, magicien, homme d’affaires, et surtout escroc… Traiter de la vie de ce truand, de l’affaire Bernardy de Sigoyer, aurait été chose fort simple, il suffisait de fouiner sur la toile, dans des archives, dans des livres, puis de romancer. Là où Éric Yung a eu un trait de génie, c’est de lui faire croiser la route de son bourreau.
Et pas n’importe quel bourreau : Henri Desfourneaux, un homme qui sombra dans l’alcoolisme lors du suicide de son fils. Le bourreau qui exécuta le sextuple assassin Eugène Weidmann, le tueur de la Voulzie. Pas 45 minutes de retard avant que la tête du meurtrier ne tombe dans la corbeille d’osier, les journalistes présents critiquent sa lenteur, les débuts d’Henri sont un fiasco. Mais, dans un sens, c’est grâce à lui si ensuite les exécutions ne sont plus publiques.
Selon l’imagination fertile d’Éric Yung, Desfourneaux serait un vieil ami du Marquis, lui ayant évité quelques ennuis lors de la Libération. D’un côté, on suit le procès de Bernardy de Sigoyer, qui fut folklorique, le marquis était cabotin, et même par-delà de la mort, vous le découvrirez dans ce livre. Et de l’autre côté, celle d’Henri Desfourneaux, un homme qui s’autodétruit chaque jour un peu plus, espérant que son vieil ami ne sera pas condamné à mort, qu’il n’aura pas à s’occuper de son exécution… Un roman très court, mais ô combien passionnant, joli coup d’Éric Yung que je vous conseille fortement…
Le résumé du livre
En décembre 1946, l’inquiétant et sulfureux marquis Bernady de Sigoyer, l’un des hommes les plus riches de Paris – tantôt collaborateur, tantôt résistant –, est accusé d’assasinat, et jugé en cour d’assises. Il aurait, avec la complicité de sa maîtresse, étranglé son épouse.
Le bourreau de Paris, Henri Desfourneaux, suit cette affaire de très près. Il est vrai qu’il est un viel ami du marquis. Qui lui a évité à l’époque de la Libération de très graves ennuis. Or il redoute l’instant où il devra le guillotiner. Le marquis Bernardy de Sigoyer, escroc et assassin, et Henri Desfourneaux le bourreau officiel de la République : deux vies croisées qui seront réunies et confondues en un même destin.
Auteur, entre autres, de "La Tentation de l’ombre" et "Du cambriolage considéré comme l’un des beaux-arts", Éric Yung a été journaliste avant d’être rédacteur en chef à Radio France.
L’entretien
Sébastien Mousse : Bonjour Éric, tout d’abord merci de m’accorder quelques minutes de ton temps pour les lecteurs de Résonance. Le marquis Bernardy de Sigoyer est un personnage fort intéressant. Avant même les accusations de meurtre qui pesaient sur lui, il défrayait la chronique. Il est donc logique qu’un auteur qui est aussi journaliste, mais qui fut inspecteur de police, membre de la BRI, s’intéresse à lui. Le marquis est un morceau de choix. Mais comment t’est venue l’idée de lui faire croiser la route d’Henri Desfourneaux, avant l’exécution ?
Éric Yung. |
Éric Yung : Il y a longtemps, j’ai travaillé – pour une de mes émissions de France Inter – sur Bernardy de Sigoyer, personnage, reconnaissons-le haut en couleur que les criminologues, encore aujourd’hui, qualifient de "criminel le plus intelligent du XXe siècle". Plus récemment, pour nourrir mon livre sur "Landru – 6 h 10 – Temps clair", je me suis intéressé au bourreau Henri Desfourneaux. Je connaissais donc bien ces deux hommes. Or, en consultant des documents, j’ai remarqué que Desfourneaux, à l’époque mécanicien dans la marine, De Sigoyer, jeune homme parcourant le monde pour monter un réseau de magie noire, se trouvaient au même endroit, à la même époque. En Inde, à Pondichéry exactement. De là à imaginer que ces deux hommes se soient connus et qu’ils se soient liés d’amitié, il n’y avait qu’un pas à faire. Je l’ai fait.
SM : Une rencontre certes fictive, que tu insères dans une histoire vraie, l’affaire du marquis, mais aussi l’alcoolisme de Desfourneaux… quand on analyse d’un peu plus près, on se dit qu’en fin de compte tout cela aurait pu être possible. Ils auraient pu se croiser avant la montée sur l’échafaud de Sigoyer.
EY : En effet, et c’est ce qui participe, enfin je le crois, à la richesse des romans. Imaginer des événements ou des faits au plus près d’une possible réalité, et cela même s’ils sont purement fictifs, renforce la crédibilité du récit. Bien sûr, les écrivains trompent toujours un peu leurs lecteurs, mais c’est pour la bonne cause : celle de les entraîner au plus loin qu’ils peuvent dans une histoire qui n’existe pas mais qui aurait pu exister.
SM : "Escroqueries légendaires et autres histoires de la délinquance astucieuse", "Landru – 6 h 10 - Temps clair (Les pièces du dossier)", "Un silence coupable" pour ne citer que quelques-uns de tes titres, les faits divers sont une grande source d’inspiration pour toi ?
EY : Le fait-divers a malheureusement, encore aujourd’hui et malgré les travaux universitaires qu’ils suscitent, malgré aussi des écrivains comme J.-M.G. Le Clézio avec sa "Ronde et faits-divers" ou encore la réflexion savante sur le sujet mené, en son temps, par Roland Barthes avec "Sa structure du fait-divers" dans ses "Essais critiques", une image péjorative. Or, le fait divers, par essence, est toujours une histoire humaine. C’est "la magie des exceptions de la vie", a dit Baudelaire, qui a écrit aussi, lorsqu’il a traduit les "Histoires extraordinaires" d’Edgar Pœ, que le fait-divers, c’est "l’absurde qui s’installe dans l’intelligence pour la gouverner avec une épouvantable logique". Alors, comment ne pas aimer les histoires de la chose humaine et donc le fait-divers ?
SM : Il y a un autre grand fait divers que tu aimerais romancer ?
EY : Oui, j’en ai plusieurs en tête, et en particulier des faits-divers qui frisent à la fois la poésie et le fantastique. Ce sont d’autres histoires extraordinaires. Mais je ne souhaite pas les révéler aujourd’hui ; ces histoires à romancer sont mon tout petit secret.
SM : Tu diriges, au sein de la maison d’édition De Borée, la collection Polar. J’ai d’ailleurs déjà parlé dans cette revue du magnifique "L’impossible définition du mal" de Maud Tabachnik, tu as réédité aussi son premier polar, et celui de l’ami Christian Rauth. Conseiller éditorial n’est pas chose facile, on est souvent sollicité, et l’on doit faire des choix. Ces choix, tu les fais seul, selon tes propres critères, ou tu travailles avec un comité de lecture ?
EY : D’abord, après la lecture d’un manuscrit, lorsqu’il me plaît – et il y a mille façons d’être séduit par le contenu d’un roman –, je décide seul de le présenter à la maison d’édition. J’argumente, parfois avec fougue, pour convaincre mes camarades de travail qu’ils doivent le lire. Et c’est seulement après une lecture faite par deux ou trois confrères que le directeur des collections décide, ou pas, d’éditer le livre.
SM : Est-ce qu’une autre sortie littéraire est déjà programmée ? Il me semble aussi que, d’un point de vue actualité, "La tentation de l’ombre", ce roman magnifique, tiré d’une histoire vraie, est en court d’adaptation ?
EY : Pour l’adaptation cinématographique j’ai le triste sentiment que c’est un peu cuit. Trois cinéastes de renom ont, l’un après l’autre, acheté les droits, mais, pour des raisons diverses (autre projet, difficultés financières, etc.) ils n’ont pas été jusqu’au bout de leur envie de tournage de ce roman. Je le regrette, bien sûr. Mais c’est ainsi. En ce qui me concerne, et pour reprendre ta question de savoir s’il est programmé "une autre sortie littéraire", la réponse est "oui". Déjà, "La tentation de l’ombre" est réédité dans les prochaines semaines en "poche", chez De Borée. Et puis, actuellement, je travaille d’arrache-pied sur un roman qui me tient particulièrement à cœur et qui, je t’en fais la confidence, s’appellera "La Vertu du crime". Il devrait sortir en librairie l’année prochaine.
SM : Éric, je te remercie pour cet entretien très intéressant, au plaisir…
Sébastien Mousse
Auteur
Assitant éditorial
French Pulp Éditions
Policier-Thriller- Espionnage
Angoisse
Résonance n° 135 - Novembre 2017
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