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Beaucoup d'auteurs ont du talent ; de toute façon, pour passer la barrière de l'édition, il faut déjà convaincre un éditeur et son comité de lecture. C'est peu, me direz-vous, une demi-douzaine de personnes en moyenne, je vous le concède. Mais quand ensuite ce livre se vend, que le public est au rendez-vous, et si en plus vous raflez des prix, c'est que le talent est bien présent...

 

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Page de couverture
"Le Cimetière des chimères"

Elena Piacentini est de ces auteurs-là, de ceux qui savent charmer le public et envoûter son lectorat, tout simplement en écrivant avec humanité, avec son cœur. Pourtant, la dame fait du polar, et du bon, son dernier en date : "Le Cimetière des chimères" est une petite perle, preuve en est le prix Calibre 47 et le prix Soleil noir de Vaison-la-Romaine qui viennent de lui être décernés.

Une fois de plus, on retrouve son flic fétiche, Pierre-Arsène Leoni, un Corse délocalisé à Lille, comme Elena d'ailleurs. Pierre-Arsène a le caractère bien trempé, têtu, honnête et intègre, oui c'est à préciser, tellement rare de nos jours. En fait, les personnages d'Elena sont simples, normaux, humains, cela change tellement des psychopathes machiavéliques, froids et cyniques, qui vont vous découper en fines lamelles afin de mieux vous déguster sur plus de 30 pages d'une scène surréaliste.
Et c'est tellement mieux, de vrais crimes, de véritables enquêtes où l'argent, le pouvoir et le sexe sont à l'origine de tout. Et surtout, jamais dans l'écriture d'Elena il n'y aura une "starisation" du tueur, du mal, bien au contraire, c'est toujours l'humain, la détresse, des sentiments un peu plus nobles qui seront mis en avant. Et pourtant, on reste dans la grande tradition du "polar mélangé au roman noir" que j'aime tant. Elena Piacentini est à l'écriture ce que Barbara était à la chanson, un charme et une émotion qui passent à travers elles.

Le résumé :

Devant la tombe encore ouverte de Franck Bracco – jeune self-made-man en vue –, une assemblée de notables, sa mère et sa compagne éplorées se tiennent sous la neige qui recouvre Lille. Des coups de feu retentissent : le rédacteur en chef des Échos du Nord est tué, un ponte de l'immobilier blessé. Leoni et son équipe vont devoir fouiller la couche épaisse des affaires brassées par des hommes qui, en vertu de la tradition de leur caste, avancent en se serrant les coudes… Du moins lorsque tout va bien. Et l'illusion que le monde tourne rond est parfaite pour ceux qui traitent leurs congénères comme des variables d'ajustement… Mais ce n'est pas le cas du Corse, ni des femmes qui l'entourent dans cette enquête, la légiste de son cœur et Mémé Angèle en tête. Au prix de quels sacrifices, offrandes ou hécatombes chacun des personnages de cette histoire pourra-t-il sauver ce qu'il a de plus cher ? Depuis le cimetière de l'Est, territoire d'un gardien singulier, Leoni se lance dans une traque aux faux-semblants haletante. Ce qui n'apaise pas ses propres fantômes…

L'avis :

Une fois de plus, sous l'alibi d'un bon polar, Elena dresse un portrait sans concession des ambitieux, des arrivistes et des mielleux, résolus à écraser les petits et les sans-grade qui se dressent en travers de leur chemin. Un livre engagé, pas politiquement, non, mais engagé dans l'humanisme. De tous les personnages que vous croiserez, vous ne trouverez pas nécessairement d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Il y a aussi la grande caste de ceux prêts à tout par passion, ceux qui mentent, commettent l'irréparable ou franchissent les lignes, juste pour l'amour ou l'amitié d'une personne.
Une intrigue magnifiquement ciselée, portée par des personnages brossés à la perfection. Ne me demandez pas pourquoi – sûrement par déformation professionnelle – j'ai un faible pour Duquesne, le gardien de cimetière misanthrope qui n'aime que les chats, ses protégés. Je classe ce livre dans le tiercé de tête de 2013 (il est paru en juillet dernier, j'ai un peu de décalage dans mes lectures et interviews...).

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Elena Piacentini

La rencontre :

Sébastien Mousse : Bonjour Elena, tout d'abord merci de m'accorder un peu de ton temps. Tu es corse, vivant à Lille, comme Leoni, c'est toi que tu transposes à travers ton héros ?
Elena Piacentini : Il y a de moi dans les thèmes de l'attachement à la terre, le désir de justice et la force des liens de l'amitié. Leoni et moi partageons un socle de valeurs communes, de celles avec lesquelles il est impossible de transiger sans renier son identité. Si l'on rajoute à cela le grain de folie d'Eliane, la légiste, le portrait s'affine. Et l'on pourrait encore glaner quelques traits de personnalité parmi les personnages qui gravitent autour de mon enquêteur pour compléter le tout. Bons ou mauvais. Qu'on se le dise…

SM : Une fois de plus, tu trompes le lecteur sur les personnages, je prends pour exemple Duquesne ; au prime abord, ce type est antipathique, puis tu grattes le vernis, et on lui découvre un bon côté, c'est ton leitmotiv dans l'écriture, s'intéresser aux autres, ne pas se fier aux préjugés ?

EP : Les préjugés comme les a priori sont le travers humain le plus communément partagé. Ils ont une fonction : baliser un monde dont les réalités sont la plupart du temps en demi-ton. Tant qu'il s'agit de points de repère qui nous permettent de débroussailler le chemin, c'est un moindre mal. Quand les lignes se transforment en murs infranchissables, on s'y cogne la tête et le cœur. Les individus, comme les livres d'ailleurs, sont infiniment plus que les quelques traits à partir desquels on les caricature. Je ne trompe pas le lecteur. Il se laisse abuser par l'effet de halo de ses projections, de ses croyances et de ses craintes. En simplifiant, on réduit. En réduisant, on déforme. La seule façon de ne pas être dans l'erreur, c'est de creuser et d'interroger à chaque fois sa vision du monde. Et surtout de prendre en considération qu'il y a autant de réalités que de spectateurs. C'est de cette façon que s'opèrent les plus belles rencontres.

SM : "Le Cimetière des chimères", c'est un peu un pamphlet contre les ambitieux revanchards ; à mon humble avis, rafler deux prix coup sur coup quelques mois après sa sortie, c'est une revanche ambitieuse ?

EP : Il n'y a aucun esprit de revanche dans ma démarche. L'écriture est mon espace de liberté. Si j'ai pris mes distances avec le monde de l'entreprise, ce n'est certainement pas pour tomber dans les travers que je dénonce. L'ambition, je la place dans l'attention portée aux sujets de fond qui sont la trame de mes histoires. Dans la rigueur à laquelle je me plie pour construire et décrire la psychologie de mes personnages. Honnêteté serait sans doute un terme plus approprié. Alors, oui, j'ai l'ambition de rester honnête dans la manière dont je raconte mes histoires. Quant aux prix, je les prends comme une marque de reconnaissance. Les envisager en tant que "classement" est pour moi un non-sens. Les classements comme les classifications sont la mort de la diversité. Quand on est portée par une éditrice dont le tirage ne permet pas de jouer dans la cour des grands, quand on doit parfois jouer contre des a priori liés à l'étiquette du genre, un prix, c'est une marque de visibilité, une carte verte et une invitation à continuer à travailler. Pour autant, rien n'est gagné. Un livre commence à exister quand il est largement diffusé. En dessous d'une taille critique, tu le sais, cher Sébastien, la question est stratégique, pour ne pas dire périlleuse. C'est pourquoi les lecteurs satisfaits, les chroniqueurs curieux, ceux qui prennent la peine de parler de tous les livres, de rendre compte de la richesse de toutes les maisons d'édition, à l'inverse des découvreurs de talents confirmés ou d'auteurs de best-sellers, sont nos plus précieux et fidèles ambassadeurs.

SM : Si l'on souhaite écouter une musique en lisant ce livre, laquelle conseillerais-tu ?

EP : La reprise de "Sacrifice" d'Elton John par Sinead O'Connor.

SM : Et si tu pouvais faire lire ton livre à une personne, fictive, réelle, vivante ou bien décédée, qui serait-elle et pourquoi ?

EP : À la personne, bien réelle, qui m'a inspiré le personnage de Franck Bracco. Mais je doute que cet homme ait assez de lucidité et de capacité de remise en question pour se reconnaître et s'interroger.

SM : J'ai la joie et l'honneur de t'éditer dans "Irradié", à paraître en juin, j'en reparlerai ici ; outre cela, quelle est ton actualité littéraire du moment ?

EP : Le prochain Leoni est en phase d'ajustements et de corrections pour une parution, je l'espère, en juillet. Son titre : "Des forêts et des âmes". Sinon, j'ai une nouvelle, "La Bête noire", qui est proposée en offre numérique sur le site SKA-éditeurs, une belle maison, portée également par des passionnés, et qui apporte une vivifiante diversité à la production littéraire.

SM : Un grand merci à toi, Elena, basgi...

Ti ringraziu !


Sébastien Mousse,
thanatopracteur et directeur littéraire.

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