Dans le cercueil, le Groupe Canard est l'un des interlocuteurs qui comptent. Représentant près de 20 % du marché national, celui-ci a su se faire reconnaître au niveau européen. Fort de son expérience de plus d'un demi-siècle, Canard perpétue encore aujourd'hui une fabrication "en France" avec des bois majoritairement français. Entretien avec Bernard Canard, l'un des membres de cette famille auréolée de succès.
Bernard Canard. |
L'histoire de l'entreprise Canard est avant tout familiale. Elle débute en 1962 avec Guy Canard, menuisier de son état, qui se lance dans la fabrication de cercueils. S'ensuivra la création des Établissements Canard en 71, d'une scierie en 80, de la S.E.F.I.C. (Société Européenne de Fabrication Industrielle de Cercueils) en 91 et, en 2011, le rachat d'une troisième fabrique de cercueils, la Menuiserie Industrielle du Velay Lagarde. Aujourd’hui, à la tête du Groupe, ce sont Gilles et Bernard Canard, entrés respectivement dans l’entreprise en 1978 et 1981, qui poursuivent avec le même état d’esprit le travail débuté par leur père, aidés également par leurs épouses et leurs enfants.
Résonance : Tout d'abord, quel est votre bilan d'après-salon ?
Bernard Canard : FUNÉRAIRE PARIS a été, contre toute attente, un très bon salon. Pour nous, il a même été meilleur que les autres salons que nous avions faits les années précédentes. Beaucoup plus de contacts et de commandes. Cela est surprenant compte tenu du contexte dans lequel il se déroulait, tout juste après les attentats. Il y a eu des défections, bien sûr, notamment de l'étranger. La fréquentation a été certes moins importante, mais, qualitativement, on s'y est retrouvé sur le plan visite et intérêt des visiteurs présents. Nous avons vu nos clients, mais également de nombreuses pompes funèbres qui ne l'étaient pas. Nous n'avons jamais été autant sollicités. Bizarrement, un bilan très positif auquel nous ne nous attendions pas.
R : Ne pensez-vous pas que cela est peut-être dû aussi à une notoriété acquise et consolidée au fil des années ?
BC : Sans doute. Ce qui est sûr, c'est que les gens nous connaissent, depuis quelques années maintenant, pour notre sérieux, notre suivi, et pour notre présence permanente et pérenne. On a su démontrer que, avec le temps, nous étions devenu un acteur majeur qui représente plus de 110 000 cercueils vendus par an, dont 99 % sont produits en France à Molinet (Allier).
R : Vous êtes presque une exception française, en tout cas une réussite à la française…
BC : Oui, c'est vrai, et nous voulons d'ailleurs véritablement communiquer là-dessus, sur cette production majoritairement hexagonale. Nous l'avons un peu mis en avant à Paris avec des estampilles bleu blanc rouge. Cela est important, même si on sait qu'il est difficile de produire et d'être compétitif en France aujourd'hui. Mais nous y arrivons, et les ventes suivent. Nous sommes fier de ça. Je pense que nos clients y sont très sensibles. Et, au-delà des professionnels, j'imagine que les familles le sont aussi et qu'elles sont attentives, de nos jours, à la provenance des produits achetés.
R : La qualité du service n'entre-t-elle pas également en jeu ?
BC : Tout à fait. Nous sentons auprès de nos clients un intérêt certain pour ce type de fabrication qui reste compétitif et offre des services associés que vous n'aurez pas forcément avec l'importation. En effet, cela permet une réactivité performante, avec des temps de réponse très courts, en cas de problèmes ou de demandes spécifiques. On peut sortir un exemplaire particulier, personnalisé, dans des délais allant de 24 à 48 heures, et cela à destination de l'ensemble du territoire. Et ça, ça fait la différence. C'est cette capacité à la souplesse, entre des gammes standardisées (garantie de la stabilité économique de nos entreprises) et l'exception, qui fait aussi notre force.
R : La particularité du Groupe Canard est d'avoir gardé, en amont de la fabrication, une scierie. Cela doit en partie résoudre vos besoins en chêne, n'est-ce pas ?
BC : Oui, effectivement. Nous avons créé celle-ci en 1979. En réalité, nous en avons deux comme fournisseurs, la nôtre et une qui travaille à façon pour nous. On peut dire que 80 % de l'approvisionnement en chêne se fait par nos propres scieries. On a donc une fabrication française avec du bois très majoritairement français. Celui-ci est acheté sur pied, cela permet d'avoir une maîtrise complète des achats (et du stockage), tant en matière de quantité que de qualité. C'est un choix stratégique que nous avons fait, il y a quelque temps maintenant, et nous ne le regrettons pas.
R : Forts de vos expériences humaines engrangées depuis plus de cinquante ans, vous êtes passés progressivement à l'automatisation de certains processus sans pour autant perdre votre âme et en gardant le savoir-faire manuel "Canard". Qu'en est-il exactement ?
BC : Effectivement, nous avons modernisé différentes parties de la fabrication. Tout en maintenant l'excellence manuelle de nos employés, nous avons développé des robotisations là où cela semblait nécessaire, tant en matière de rentabilité que de pénibilité au travail. Le robot de vernissage en est un bon exemple. Cela s'est fait graduellement. Il s'agissait aussi de permettre, en complément, aux ouvriers partant à la retraite d'effectuer une transmission des savoirs dans le cadre d'embauche d'apprentis, actuelle ou future.
L'automatisation de certaines tâches permet d'avoir la productivité nécessaire aujourd'hui et de pouvoir jouer une vraie compétitivité à l'international ; et le savoir-faire manuel préserve la qualité et la singularité des services propres aux cercueils Canard.
Associer expérience, connaissance du bois et modernisation, c'est rester performant et à la pointe de la technologie pour pouvoir répondre aux défis futurs sur les marchés européens et mondiaux.
R : Concernant le remplacement des départs à la retraite, est-il difficile de recruter des jeunes ? Sont-ils intéressés par les métiers du bois ?
BC : Non, nous n'avons pas véritablement de problèmes pour recruter des jeunes ou du personnel compétent. Ce qui est toujours pénalisant pour une entreprise, ce ne sont pas les départs à la retraite, mais c'est quand ceux-ci sont nombreux. C'est tout un savoir-faire qui part. On ne peut pas remplacer du jour au lendemain trente ou quarante ans d'expérience par de nouveaux employés, aussi qualifiés soient-ils. Ce qui implique de faire de la formation en interne. Pour cela, nous avons de la chance d'être sur un bassin d'emploi dynamique, et on ne manque pas de candidats. Mais nous devons être vigilants sur la qualification et sur la motivation de ces derniers. Il est important dans nos professions d'être motivé et de s'impliquer dans l'entreprise. Avec aussi la préoccupation d'une rotation faible, car il ne s'agit pas de transmettre un savoir-faire à une personne et que celle-ci parte au bout de quelques mois. Nous sommes, de ce point de vue, à un tournant, et nous devons prévoir un renouvellement de personnel assez important dans les prochaines années.
R : Pour conclure, comment se présente aujourd'hui le monde du cercueil ? En quête de modernité ou attaché malgré tout à une forme de tradition ?
BC : Bien évidemment, de nombreux secteurs funéraires ont connu des mutations plus ou moins importantes, comme ceux de la marbrerie, des fleurs, des plaques, des capitons, etc. Le monde du cercueil, lui, connaît aussi quelques changements, mais reste assez traditionnel. Les cercueils qui se vendent actuellement le mieux sont les mêmes qu'il y a vingt ans. Néanmoins, les gammes évoluent. Nous sommes attentifs aux tendances, au design, et proposons régulièrement des nouveautés, avec des couleurs différentes, d'autres finitions. Mais ces évolutions concernent des cercueils qui sont à la marge, c'est-à-dire plutôt du haut de gamme. Une collection originale prouve, expose le savoir-faire d'un manufacturier, c'est la possibilité pour les pompes funèbres d'être innovantes par rapport à leur clientèle. Mais c'est vraiment le traditionnel qui reste le moteur principal des ventes.
Donc, des évolutions, mais pas de révolution dans la fabrication des cercueils.
Gil Chauveau
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :