Jean-Pierre Sueur, vice-président de la Commission des lois du Sénat et sénateur du Loiret, s'exprime dans nos colonnes. Il marque la grande avancée que constitue pour lui, l’adoption définitive par le Parlement du projet de loi de modernisation et de simplification de la Justice, pour ce qui est du droit funéraire. Cette loi intègre notamment les "devis-modèles", qu'il estime très importants pour la clarté et la transparence tarifaire des professionnels funéraires vis-à-vis des familles. Ces "devis-modèles" entrent dans la loi au terme d'un débat qui dure depuis 1993.
Jean-Pierre Sueur, vice-président
de la Commission des lois
et sénateur du Loiret.
Maud Batut : Commençons par les faits. Qu’est-ce que le Parlement vient de voter définitivement ?
Jean-Pierre Sueur : Les deux chambres du Parlement, Assemblée nationale et Sénat, ont voté définitivement le 28 janvier le projet de loi de modernisation et de simplification de la Justice, qui contient, à mon initiative, un article 9 relatif au droit funéraire. Celui-ci revient sur les termes de la loi du 19 décembre 2008 – j’étais aussi à l’initiative de cette loi avec mon collègue Jean-René Lecerf – relatifs aux "devis-modèles". Certains ont considéré que ce texte n’emportait pas d’obligation pour les opérateurs funéraires ou les mairies mais ouvrait seulement des "possibilités". Je n’ai, pour ma part, jamais été d’accord avec cette interprétation. Mais afin que les choses soient claires et incontestables, j’ai proposé au Parlement, qui m’a suivi, de réécrire ce texte.
Ainsi, la nouvelle rédaction inscrite dans la nouvelle loi dispose que toutes les entreprises habilitées devront déposer un "devis-modèle" précisant le prix auquel elles s’engagent à assurer les prestations figurant dans l’arrêté du 23 août 2010 du ministère de l’Intérieur. C’est désormais une obligation légale. Ces devis devront être déposés dans un certain nombre de mairies, qui devront les rendre publics (par exemple, par le moyen du site Internet de la commune facilement consultable).
MB : De quelles mairies s’agira-t-il ?
J-PS : Dans mes propositions initiales, le nombre de mairies était plus limité. Mais mes collègues parlementaires ont souhaité que l’information soit largement diffusée et facile d’accès. C’est ainsi que la loi définitivement adoptée dispose que ces devis devront être transmis par les entreprises habilitées à la mairie des communes où elles ont leur siège et à celle ou celles où elles ont un siège secondaire, ainsi qu’aux mairies de toutes les communes de plus de 5 000 habitants du département. Ces transmissions pourront évidemment se faire sous forme dématérialisée.
MB : Il vous a fallu un certain temps – vingt-deux ans ! – pour parvenir à ce résultat…
J-PS : En effet, j’avais déjà le projet de mettre en place des "devis-type" lorsque j’ai préparé – en tant que secrétaire d’État – le texte qui allait devenir la loi du 8 janvier 1993. On m’a dit alors que de tels devis relevaient du domaine réglementaire. Mais aucun texte règlementaire n’a été publié…
Devenu sénateur, je me suis remis au travail et j’ai présenté plusieurs propositions de loi portant, notamment, sur ce sujet, qui ne sont jamais venues à l’ordre du jour. Et donc sous l’impulsion de Jean-Jacques Hyest, qui était alors président de la Commission des lois – fonction que j’ai exercée ensuite –, j’ai fait un rapport avec mon collègue Jean-René Lecerf. Celui-ci revenait longuement sur ce sujet, et d’autres, et cela s’est traduit par une proposition de loi qui est devenue – deux ans plus tard – la loi du 19 décembre 2008.
Je pensais que la question était réglée mais, comme je vous l’ai dit, plusieurs interprétations ont été données au texte voté et les circulaires du ministère de l’Intérieur n’ont pas toujours été d’une grande clarté à cet égard. J’ai donc remis l’ouvrage sur le métier à la faveur de la discussion du projet de loi de modernisation et simplification du droit qui vient d’être adopté.
MB : Pourquoi une telle ténacité de votre part alors que vous connaissez – depuis 22 ans – les réserves d’un certain nombre ou d’un nombre certain d’opérateurs funéraires ?
J-PS : Pour une raison simple. Très simple. Je crois dans les vertus de la transparence. Et je pense qu’on a toujours tort de refuser la transparence en matière de prix, surtout dans un domaine aussi sensible que celui des prestations funéraires. Je connais bien les objections. On me dit que les entreprises doivent déjà fournir un devis. C’est vrai. Mais ces devis sont souvent complexes. Ils sont incomparables avec les devis proposés par les autres entreprises. Qui va lire le jour d’un décès, ou le lendemain, trois, quatre, ou cinq devis de dix, vingt ou trente pages en petits caractères, incomparables les uns avec les autres ? La réponse est simple : personne. N’oublions pas que les familles sont endeuillées, qu’elles sont éprouvées, et donc vulnérables. En même temps, il est normal qu’elles soient justement informées quant aux prix.
MB : Quelles autres objections ?
J-PS : On me dit que chaque cérémonie est personnalisée et que les prestations possibles – ou souhaitées – ne se limitent pas à celles énumérées dans l’arrêté du 23 août 2010. Je dis que c’est évidemment vrai. Et que nul n’a jamais prétendu le contraire, surtout pas moi. Rien n’empêche les entreprises de proposer tout type d’obsèques, toute prestation en plus – ou à la place – de celles énumérées dans l’arrêté et de le faire en toute clarté. Donc cet argument ne tient pas.
MB : On fait aussi remarquer que le prix n’est pas le seul critère de choix.
J-PS : C’est tout à fait vrai. Les familles choisissent une entreprise pour de nombreuses raisons : sa réputation, son professionnalisme, sa proximité, etc. Le prix n’est qu’un des critères. Mais autant être transparent là-dessus. Or, la transparence suppose qu’on puisse comparer effectivement et facilement plusieurs offres. Pour ce faire, il faut nécessairement que les offres soient établies selon les mêmes critères. Toutes les familles sauront donc que les prestations énumérées dans l’arrêté, qui représentent une cérémonie de base, seront assurées pour tel prix par telle entreprise, qu’il s’agisse d’une inhumation ou d’une crémation. Ce sera un élément du choix, qui pourra aller dans le sens d’une modération des prix, ce qui serait positif dans la période que nous vivons.
Voilà. Je pense avoir dit clairement les choses. Et j’ajoute un codicille. Je connais nombre d’opérateurs funéraires et j’ai travaillé utilement avec eux sur de nombreuses questions touchant à leur profession. Il y a deux attitudes possibles pour eux : soit s’insurger contre les devis-modèles et la transparence qui en découle, soit jouer au contraire pleinement le jeu de la transparence. J’espère qu’ils choisiront cette seconde attitude. Ils ont en effet tout intérêt à choisir la voie de la transparence – transparence à laquelle tiennent, à juste titre, les familles.
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