Lorsqu’une famille s’adresse à une entreprise de pompes funèbres pour régler les obsèques d’un proche, elle leur confie de fait le corps de cette personne. C’est une lourde responsabilité, et il est important de savoir ce qu’il advient d’un corps après la mort afin de pouvoir anticiper les problèmes qui peuvent se poser et d’être à même de proposer des solutions adaptées.
Claire Sarazin, thanatopracteur, formatrice en thanatopraxie. |
Ce sujet reste extrêmement délicat à aborder avec les familles, et le manque de formation de la plupart des conseillers funéraires sur la thanatomorphose et ses conséquences n’arrange rien. Les idées reçues ont la vie dure, et la réalité de ce processus biologique parfaitement naturel reste très mystérieuse pour le plus grand nombre.
Pourtant, le corps humain se dégrade de la même manière que tout autre "animal" terrestre. Après le décès, une autre biologie se met tout simplement en place. Les bactéries, qui ne sont plus régulées par le système immunitaire, se développent. La décomposition commence et ses premiers signes apparaissent, plus ou moins rapidement, sans qu’il soit vraiment possible de prédire la vitesse à laquelle le corps va se dégrader, car cela dépend de trop de facteurs et reste assez aléatoire.
L’été est synonyme de grosses chaleurs et d’inquiétude quant à la conservation des corps. La solution la plus efficace, qui reste à ce jour sans égale, est le soin de conservation. Il peut arriver cependant que, malgré le traitement et ceci même s’il est effectué dans les règles de l’art, des changements plus ou moins importants surviennent. La tentation est alors grande d’incriminer le thanatopracteur. Soins bâclés, trop rapides… Cela est effectivement possible, mais il faut savoir que la thanatopraxie reste une technique, pas de la magie.
Voici quelques questions et quelques éléments de réponse
- Les colorations foncées sur le visage, les oreilles et/ou les mains perdurent après le soin :
Il s’agit des lividités cadavériques, un des signes positifs de la mort, sans rapport avec son état de décomposition. Le sang, qui ne circule plus et stagne dans les veines, se concentre dans les parties déclives du corps, sous l’effet de la gravité. Au fil des heures, le système circulatoire devient de moins en moins étanche et les globules rouges finissent par colorer les téguments. Il n’est alors plus possible de faire disparaître ces colorations avec l’injection artérielle. Ce souci est purement esthétique et n’influe pas sur la conservation du corps. La seule solution est l’application de cosmétiques pour les camoufler, mais il n’est pas toujours évident d’appliquer du maquillage très pigmenté, surtout au niveau des oreilles, car il y a un fort risque de tacher l’oreiller ou les capitons de manière irréversible. Il est donc préférable, dans la mesure du possible, de jouer sur les éclairages du salon.
- Les lividités, qui avaient totalement disparu après le soin, réapparaissent dans les heures qui suivent :
Il s’agit sans doute d’une personne d’une certaine corpulence, qui porte peut-être des vêtements trop serrés, notamment au niveau de l’abdomen ou qui a été placée dans un cercueil trop étroit. Là encore, cela n’a aucune incidence sur la conservation, et une retouche de maquillage est suffisante pour régler le problème.
- Le corps change de couleur :
1 - Il prend une coloration grisâtre. Il s’agit simplement d’un trop fort dosage en formaldéhyde, volontaire ou non de la part du thanatopracteur. Cela est parfois nécessaire, par exemple pour traiter des corps dans un état de décomposition déjà un peu avancé. Une retouche de maquillage et un éclairage adaptés résoudront ce problème.
2 - Il vire au bronze. Cette personne avait un ictère prononcé et le thanatopracteur a pris le parti de privilégier la conservation et a fortement dosé sa solution d’injection. Il n’est pas possible d’atténuer la couleur jaune de la peau avec un fluide d’injection. Deux solutions s’offrent au thanatopracteur :
- sous-doser et prendre le risque de voir le corps "tourner" rapidement ou, au contraire,
- surdoser et pallier le brunissement de la peau par un bon cosmétique. Là encore, une retouche de maquillage et un éclairage adapté s’imposent.
3 - Il vire au vert. Dans ce cas, le changement de couleur s’accompagne d’odeurs reconnaissables par tout professionnel habitué aux cadavres. Pour une raison ou une autre, le traitement n’a pas fonctionné et la décomposition a repris. Il n’y a plus d’autre solution qu’une mise en bière anticipée avec fermeture immédiate. Les échecs sont rares si la technique est appliquée dans les règles de l’art, mais le risque zéro n’existe pas. Cela arrive même aux meilleurs d’entre nous.
- Le corps "coule"
Il existe plusieurs types découlements :
1 - Écoulement buccal ou nasal. Selon la nature du liquide qui s’écoule, il peut être dû à une ponction insuffisante, à un méchage trop brutal ou encore à une manipulation trop brusque du corps juste après le soin, par exemple lors de la mise en bière. La solution peut être une nouvelle ponction ou un simple méchage avec des bandelettes absorbantes.
2 - Écoulement au niveau des yeux. Le défunt a peut-être eu un prélèvement de cornées ; la plupart du temps, il est possible d’arrêter cet écoulement pendant le soin, mais il peut arriver qu’un peu de liquide continue à s’écouler après. Cela s’arrête tout seul, un simple essuyage avec une lingette absorbante suffit.
3 - Écoulement des oreilles. C’est le plus compliqué à stopper. Les oreilles ne sont pas des orifices, on ne rencontre ce type d’écoulement que dans le cas d’un choc violent avec fracture du rocher. La solution idéale serait de pouvoir enlever la pression à l’intérieur du crâne en perçant les os, mais cela est rarement, pour ne pas dire jamais, possible. Une solution assez efficace consiste à enduire du coton de crème réhydratant avant de l’introduire dans les oreilles.
4 - Malgré le soin, des asticots font leur apparition. Malheureusement, ce genre de problème est impossible à prévenir. Le corps s’est trouvé en présence de mouches, qui ont eu le temps de pénétrer par les narines ou la bouche avant que le corps ne soit traité. Dans ce cas, les asticots, qui ne pourront pas se nourrir de la chair formolée, vont simplement quitter le corps en sortant par le nez, la bouche et les canaux lacrymaux. Il est alors possible de les tuer avec des produits spécifiques. C’est la seule chose à faire.
- La famille ne reconnaît pas le défunt :
1 - Avez-vous pensé à demander son appareil dentaire ? Sans cela, le thanatopracteur fera de son mieux pour "bricoler" une bouche, qui ne pourra jamais être exactement la sienne.
2 - Avez-vous posé les bonnes questions ? Le thanatopracteur ne peut pas deviner comment cette personne se coiffait ou se maquillait. En l’absence d’information, il fera au mieux, mais le résultat ne conviendra pas forcément à la famille. Le thanatopracteur est chargé de restituer au défunt son apparence initiale, mais il n’est qu’un simple technicien, pas un magicien ; pour que le résultat soit à la hauteur des attentes des familles, il faut que les pompes funèbres assurent le transport et la conservation du défunt dans les meilleures conditions possibles.
3 - Le défunt doit toujours être transporté sur le dos, la tête bien calée et relevée.
4 - La housse de transport ne doit contenir que le corps, et en aucun cas des draps, des couvertures ou autres. Saucissonner un défunt dans des couches de tissus est le meilleur moyen de le voir se dégrader rapidement, sans parler des odeurs épouvantables qui vont ensuite imprégner le corps et les locaux techniques.
5 - La température des cases réfrigérées doit être vérifiée. Si la chaleur accélère la décomposition, il est très difficile de traiter correctement des corps trop froids, voire à la limite de la congélation.
Enfin, rappelez-vous, lorsqu’un problème survient, d’avoir toujours le réflexe de prévenir le thanatopracteur pour qu’il puisse venir constater par lui-même la nature du problème et si possible le régler. S’il en est informé après que le défunt a été enterré ou crématisé, il ne sera pas en mesure de vous fournir quelque explication que ce soit. Pensez aussi à bien entretenir vos laboratoires ; si le thanatopracteur peut travailler dans de bonnes conditions, cela se ressentira forcément sur la qualité de son travail.
Claire Sarazin
Thanatopracteur
Formatrice en thanatopraxie
Résonance hors-série n°4 - Août 2017
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