Le Sénat a examiné, le mercredi 30 avril dernier, une proposition de loi (1) pour encadrer le don de jours de repos au profit de salariés parents d'enfants malades. Un texte qui date, dans la mesure où il été déposé au début de l’année 2012 à l'Assemblée nationale. À l’origine de cette proposition de loi, le député Paul Salen qui s'est inspiré d'un élan de générosité des salariés de Badoit, à Saint-Galmier (Loire). En accord avec la direction, ils s'étaient privés de 170 heures de repos – RTT, journées de récupération, etc. – au profit d'un collègue dont le fils était atteint d'un cancer. Le père avait pu s'absenter pour passer du temps avec l'enfant et l'accompagner dans ses soins.
Méziane Benarab, directeur général de l’OFPF |
Depuis, ce cas d’espèce a sensibilisé de nombreuses entreprises, le groupe Casino, le groupe PSA, des assureurs – April, Merial, la MSA Picardie –, l’Association pour l’emploi des cadres, qui ont, au cours des deux dernières années, mis en place par accord des mécanismes de don de jours de repos pour permettre à un salarié d’accompagner un enfant malade. À plusieurs reprises, comme dans l’accord signé au sein du groupe PSA, les négociations ont été engagées pour répondre à la demande de salariés désireux de venir en aide à l’un de leurs collègues.
Si l’idée est séduisante et partagée, néanmoins, sur le plan juridique, elle présente quelques difficultés, et non des moindres. D’abord, résoudre sur le plan technique la question de savoir si une petite entreprise employant le salarié bénéficiaire de cette solidarité est en mesure de centraliser et de gérer un afflux massif de dons.
Ensuite, encadrer cette pratique afin qu’elle ne déborde pas vers de nouvelles catégories sociales telles que les adultes ou les aidants familiaux, contribuant ainsi à sa banalisation et à la perte de maîtrise du concept. Enfin, clarifier son champ d’application en l’élargissant également aux fonctionnaires.
Un problème politique de fond qui appelle une initiative législative attendue (2)
Réunie le mercredi 16 avril 2014, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de Mme Catherine Deroche sur la proposition de loi n° 301 (2011-2012), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade.
La commission considère comme légitime la volonté de permettre aux collègues de travail d’un parent d’enfant malade d’exprimer leur soutien par le don de jours de repos. Afin de ne pas retarder l’entrée en vigueur du dispositif, elle a adopté la proposition de loi sans modification.
La proposition de loi visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade a été adoptée par l’Assemblée nationale le 25 janvier 2012 et transmise au Sénat. Elle s’inscrit dans le cadre de plusieurs textes tendant à permettre aux salariés et aux fonctionnaires de concilier les événements les plus tragiques de l’existence – maladie, décès d’un proche – avec leur vie professionnelle.
Déjà possible dans le cadre d’une négociation collective pour les entreprises du secteur privé, le don de jours de repos n’est pas prévu dans le secteur public. Certains employeurs publics locaux ont néanmoins décidé d’organiser des mécanismes analogues, généralement pour répondre à une situation individuelle précise, mais sur un fondement légal incertain.
Portée par une véritable attente au sein de la population, cette volonté de solidarité, même si les modalités pourraient à terme être précisées, demande à être pleinement soutenue par le législateur. Le rapporteur de la commission des affaires sociales juge important de consacrer par la loi, tout en posant certaines garanties fondamentales, le principe du don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade, afin notamment de permettre aux agents de la fonction publique de bénéficier de ce système.
Certes, il existe déjà dans la réglementation en vigueur des dispositions favorables au congé pour enfant malade…
Il existe déjà en droit du travail différents dispositifs permettant de prendre soin d’un enfant malade. Ainsi :
- L’art. L. 1225-61 du Code du travail : les absences pour enfant malade prévues par le droit du travail sont plafonnées à trois jours par an, cinq si l’enfant concerné a moins d’un an ou si le salarié assume la charge d’au moins trois enfants de moins de seize ans. Les conventions collectives applicables peuvent néanmoins prévoir des conditions (durée, rémunération) plus favorables pour le salarié.
Pour les enfants à charge atteints d’une maladie d’une particulière gravité, une autre possibilité est le passage à temps partiel, qui est de droit.
- L’art. L. 1225-62 du Code du travail : détaille un mécanisme spécifique pour ces cas graves nécessitant une présence soutenue ; il prévoit un congé de présence parentale, dont le bénéfice a été étendu il y a trente ans aux fonctionnaires par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État.
- La loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit ouvre la possibilité d’interrompre son activité à tout salarié, sans condition d’ancienneté, si l’enfant à charge, au sens des prestations familiales, est atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue à ses côtés et des soins contraignants.
Le nombre de jours de congés dont peut bénéficier le salarié au titre du congé de présence parentale est au maximum de 310 jours ouvrés (soit 14 mois) dans une période dont la durée est fixée, pour un même enfant et par maladie, accident ou handicap, à 3 ans. Aucun de ces jours ne peut être fractionné. Le congé de présence parentale fonctionne ainsi comme un "compte crédit jours" de 310 jours ouvrés, que le salarié peut utiliser en fonction des besoins de son enfant malade, handicapé ou accidenté. Au-delà de cette période de 3 ans, le salarié peut à nouveau bénéficier d’un congé de présence parentale, en cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l’enfant au titre de laquelle un premier congé a été accordé.
… mais elles restent insuffisantes et ne répondent pas à la question de la rémunération des jours de congés
Les différents congés prévus actuellement par la législation ne sont pas rémunérés, sauf accord collectif pour les salariés du secteur privé.
Toutefois, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a créé une allocation journalière de présence parentale (AJPP) servie par les caisses d’allocations familiales pour les parents qui réduisent leur activité professionnelle pendant plus de quatre mois. Le montant de cette allocation est plafonné à un peu plus de 945 € par mois pour un couple et soumise à un plafond de revenus.
Les jours non travaillés et rémunérés dans le cadre des accords de réduction du temps de travail antérieurs à la loi du 20 août 2008 sont un moyen de permettre l’absence d’une personne sans perte financière. C’est donc un choix généreux et logique de la part des collègues d’un parent de vouloir mettre à la disposition de celui-ci une partie des jours dont ils disposent (au-delà de quatre semaines légales de congés payés). Or, seules de grandes entreprises ont actuellement mis en place des systèmes de don de jours de RTT, le plus souvent à la demande de salariés. Ainsi, ce sont les entreprises où la négociation professionnelle est le plus active qui offrent à leurs salariés la possibilité de mettre en œuvre ce mécanisme de solidarité. Les salariés des autres entreprises ne disposent d’aucun moyen de faire don des jours de repos dont ils disposent.
Surtout, les agents de la fonction publique ne disposent à l’heure actuelle d’aucun moyen de mettre en place un tel dispositif, sauf à sortir de la légalité. Or les situations douloureuses qui ont suscité l’attention des médias montrent que les cas où ce dispositif répondrait tant aux besoins des familles qu’à l’aspiration des collègues de l’un des parents sont réels et appellent une réponse urgente.
Une réponse législative qui ne remet pas en cause les accords conventionnels conclus
La proposition de loi soumise à adoption ne se substitue pas aux accords déjà passés au sein des entreprises pour permettre le don de jours de repos. Il étend simplement cette possibilité à l’ensemble des salariés, sous réserve de l’accord de l’employeur, ainsi qu’à la fonction publique, selon des modalités définies par décret. Elle offre un cadre et des garanties minimales, qui seront susceptibles de précisions ultérieures si la mise en œuvre du dispositif l’impose.
Ce que prévoit la proposition de loi
Les modalités de don et les raisons de celui-ci sont encadrées par la proposition de loi.
Un don anonyme et gratuit
L’art. 1er de la proposition de loi ouvre la possibilité pour tout salarié de faire don de jours de repos dont il dispose à un de ses collègues en charge d’un enfant gravement malade. Conformément aux dispositions du Code du travail, ce don ne peut porter que sur les jours disponibles au-delà de quatre semaines de congés payés. Le don peut donc porter sur les jours correspondant à la cinquième semaine de congés payés et aux jours compensateurs accordés à certains salariés qui travaillent au-delà de trente-cinq heures hebdomadaires.
Ce don ne peut se faire qu’à partir d’une démarche individuelle et volontaire. Il est soumis à l’accord du chef d’entreprise en raison de l’impact du transfert des jours de congés sur l’organisation du travail.
Le don se fait pour un collègue déterminé. Il n’y a donc pas de don a priori pour tout collègue susceptible de se trouver dans la situation prévue par le texte. Néanmoins, conformément aux règles générales en matière de don en droit français, celui-ci doit être anonyme et gratuit, c’est-à-dire sans contrepartie. L’anonymat du don sera néanmoins quelque peu relativisé par la taille de la structure. Garanti dans une grande entreprise, il se trouvera nécessairement amoindri dans une PME. L’anonymat et la gratuité protègent le donateur et le donataire, et il conviendra que l’employeur veille à ce que le don volontaire ne devienne pas une obligation imposée à certains salariés ou que le salarié qui reçoit les jours ne se trouve l’obligé de ses collègues donateurs.
Concrètement, le don de jours de repos augmente le nombre de jours disponibles pour un salarié en charge d’un enfant gravement malade. Il dispose donc de temps pour être présent auprès de son enfant sans diminution de salaire ou de droits à la retraite. Par ailleurs, dans les entreprises où un compte épargne temps a été mis en place, les jours de repos donnés y seront affectés et pourront donc faire l’objet d’une conversion en argent ou être utilisés pour un départ anticipé à la retraite. Le mécanisme proposé sera rendu applicable à la fonction publique en application de l’article 2 de la proposition de loi qui renvoie à un décret.
Comment attester de la réalité de la situation justifiant le don de congés ?
La réalité de la situation dans laquelle se trouve une personne du fait de la particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l’accident dont a été victime un de ses enfants est attestée par un certificat médical détaillé, établi par le médecin qui suit l’enfant au titre de la pathologie en cause. La proposition de loi ne précise pas qui doit être destinataire de ce certificat, mais il semble logique que ce soit l’employeur, car c’est lui qui est appelé à autoriser les dons de jours de repos.
Un texte adopté le 30 avril 2014
Le 30 avril, le Sénat a adopté définitivement la proposition de loi visant à permettre le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade. Un texte adopté sur fond d’un désaccord politique profond lié au risque d’inégalité de traitement entre grandes et petites entreprises, relayant par un malaise autour du reproche qu’une telle disposition ne conduise à substituer la solidarité nationale par des mesures de solidarité personnelles.
Au final, la sagesse des sénateurs l’a emporté et les dispositions qui suivent adoptées :
"Art. L. 1225-65-1. – Un salarié peut, sur sa demande et en accord avec l'employeur, renoncer anonymement et sans contrepartie à tout ou partie de ses jours de repos non pris, qu'ils aient été affectés ou non sur un compte épargne-temps, au bénéfice d'un autre salarié de l'entreprise qui assume la charge d'un enfant âgé de moins de vingt ans atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants. Le congé annuel ne peut être cédé que pour sa durée excédant vingt-quatre jours ouvrables".
"Le salarié bénéficiaire d'un ou plusieurs jours cédés en application du premier alinéa bénéficie du maintien de sa rémunération pendant sa période d'absence. Cette période d'absence est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté. Le salarié conserve le bénéfice de tous les avantages qu'il avait acquis avant le début de sa période d'absence".
"Art. L. 1225-65-2. – La particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l'accident mentionnés au premier alinéa de l'art. L. 1225-65-1 ainsi que le caractère indispensable d'une présence soutenue et de soins contraignants sont attestés par un certificat médical détaillé, établi par le médecin qui suit l'enfant au titre de la maladie, du handicap ou de l'accident."
Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application de l'article 1er aux agents publics civils et militaires.
Méziane Benarab
Nota : Article rédigé à partir du rapport fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat par Mme Catherine Deroche, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade (1) - La proposition de loi prévoit qu'un salarié peut "renoncer anonymement et sans contrepartie à tout ou partie de ses jours de repos non pris" au profit d'un collègue, parent d'un enfant de moins de 20 ans "atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité". Les jours "donnés" peuvent être des RTT, des récupérations ou la cinquième semaine de congés payés. Le bénéficiaire garde sa rémunération. Son absence est "assimilée à une période de travail effectif". (2) - Une pétition tendant à soutenir l’adoption de cette proposition de loi qui a été ouverte sur Internet le 24 février 2014 se prévaut déjà de plus de 19 000 signatures. |
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