La dignité est-elle une illusion ?
Constatant certaines dérives significatives, nous sommes en droit de nous interroger sur le principe de "dignité" qui, malheureusement, s’apparente de plus en plus à une illusion. Il faut reconnaître que ce nom féminin a été regrettablement utilisé de façon souvent opportuniste pour justifier l’injustifiable et que sa revendication semble de moins en moins crédible. Pourtant, quoi de plus beau que celle-ci ?
Cette notion trouve son sens tant au niveau philosophique, que juridique ou religieux. La dignité est l’essence même de l’humanité. Le philosophe Paul Ricœur nous invite à l’idée que "quelque chose est dû à l’être humain du fait qu’il est humain". Toute personne mérite donc un respect inconditionnel, quel que soit sa condition sociale, physique, sexuelle, mentale, religieuse, ethnique. Est-il besoin de rappeler à la lecture de l’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité" … Un ange passe…
Elle est de l’ordre des principes et ne renvoie non pas à un donné mais à un dû, c’est-à-dire à "quelque chose" qui n’est pas négociable ; ou encore, en d’autres termes, à ce que les juristes nomment "l’irréductible humain".
Le concept de "dignité humaine" occupe désormais une place éminente dans le droit international des droits de l’homme et notamment dans les textes relatifs à la bioéthique, tels que la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de l’UNESCO et la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe, toutes deux en 1997. L’idée de dignité humaine a donc une longue histoire et la difficulté de la définir vient de ce que l’accumulation des discours qui s’en emparent et celle des institutions qui la mettent en œuvre en modifient les contours.
Elle est sans doute le résultat d’un tissage entrelaçant ou appariant diverses influences, comme celles de la religion, de la philosophie ou du droit ; et elle marque l’apparition d’un système juridique qui se donne les moyens de penser l’homme débarrassé des présupposés de la foi, de ses coutumes et de ses institutions qui font son histoire concrète. Dès lors, on est passés de la nature à la nature humaine et à l’égale dignité des hommes entre eux.
Lors de périodes troublées, telles celles que nous vivons actuellement, où le doute s’empare de tous, où les valeurs fondatrices de nos sociétés sont mises à terre, où la précarité s’empare des plus faibles, il ne nous reste qu’elle en partage. Aussi, lorsqu’il est question d’accorder une pause à des personnes salariées venant de perdre un enfant, seule la dignité doit conduire notre approbation. C’est notre marque de solidarité avec des personnes qui vivent un authentique drame d’une douleur extrême qu’il va falloir porter jour après jour que d’accepter ce bouleversement de l’ordre naturel des choses, de prendre pitié… encore un terme oublié de notre vocabulaire…
Nous, professionnels du funéraire, nous connaissons hélas que trop bien cet épisode d’une fulgurante violence qui frappe une famille, qui anéantit toute forme d’espoir et d’amour. Nous en évaluons parfaitement les conséquences humaines et sociales pour celles et ceux qui sont frappés par cette tragédie. Peu importe ce que dit "la loi", ce qui compte avant toute chose, c’est ce que nous sommes, femmes et hommes qui connaissons cet univers sombre. Ce qui importe, c’est le regard que nous porterons et l’action que nous conduirons pour accompagner l’un de nos collaborateurs si le sort venait à le frapper aussi durement. En cela nous affirmerons haut et clair où se situe notre devoir de dignité et notre qualité d’être humain, notre signature.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Résonance n° 157 - Février 2020
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