"À l’origine des sociétés, tout ce qui touche aux cérémonies mortuaires, aux sépultures, au culte des morts était du domaine exclusif de la religion confondue avec l’État" remarquait Auguste Chareyre, dans un des premiers ouvrages de législation funéraire ("Traité de la législation relative aux cadavres", Larose et Forcel 1884).Ce constat permet de comprendre que la place du droit public et des personnes publiques dans la régulation des obsèques ne relève pas de l’évidence que laisserait accroire l’actuelle omniprésence des pouvoirs publics dans cette matière.
Damien Dutrieux, consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2. (Centre "Droits et perspectives du droit")
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La mort : vers une publicisation du domaine funéraire
C’est, tout d’abord, en raison de l’impuissance ou de l’incurie de l’autorité religieuse à véritablement traiter les problèmes d’hygiène que pose le corps mort (inhumé à l’intérieur et aux abords des églises) que se sont naturellement justifiées les premières interventions du pouvoir civil dans cette matière traditionnellement aux mains de l’autorité religieuse. De ce premier combat pour la protection de l’hygiène publique résulte la sécularisation des cimetières en 1804. Un siècle plus tard, il s’agira de la sécularisation du service extérieur des pompes funèbres qui, quant à elle, résulte du second combat, celui de la laïcité.
Des interventions du Parlement de Paris (12 mars 1763 et 21 mai 1765), de Toulouse (3 sept. 1774) à celle de la déclaration royale du 10 mars 1776, la motivation du pouvoir civil est avant tout de régler des questions de salubrité (Philippe Ariès, "L’homme devant la mort", Seuil 1977, p. 472 ; J. Aubert [dir.], "Pour une actualisation de la législation funéraire" : La Documentation Française 1981, p. 181). Il en sera ainsi du décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) qui constitue encore le fondement des grands principes de la législation applicable au cimetière, puisque les règles aujourd’hui codifiées dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) n’ont été finalement que peu modifiées. Cependant, si l’État est compétent en matière de cimetière, l’Église conserve les funérailles dont elle reçoit le monopole (les fabriques se trouvaient d’ailleurs chargées de l’entretien des cimetières ; art. 37 du décret du 30 déc. 1809).
Ensuite, interviendra le second combat, celui de la laïcité républicaine, qui viendra s’achever par l’affirmation d’un monopole communal pour le service public des pompes funèbres (loi du 28 déc. 1904), après avoir proclamé la liberté des funérailles dans cette grande loi, toujours applicable, du 15 nov. 1887. La victoire de la laïcité républicaine connaîtra des excès inverses de ceux ayant amené le législateur à proclamer la liberté des funérailles (en réaction à des pratiques discriminatoires à l’endroit des libres-penseurs), les maires interdisant au début du XXe siècle aux prêtres de participer aux convois en habits sacerdotaux au nom de l’ordre public. Le Conseil d’État, contrairement à la Cour de cassation, sanctionnera rapidement de telles pratiques, limitant les interventions du maire à ses compétences propres, l’ordre public (Lecocq, "Les grands arrêts contradictoires", Ellipses 1997, p. 52).
La régulation par les pouvoirs publics s’articule donc historiquement sur les notions d’ordre public (qui inclut la salubrité publique mais également la tranquillité publique) et de neutralité. Ces éléments vont justifier l’existence d’un monopole pour l’organisation de ces deux services publics que constitue la gestion du cimetière et du service extérieur des pompes funèbres.
Pompes funèbres : un service public en terre de libre concurrence
Il y a vingt ans, est intervenue la profonde réforme qu’a connue le service extérieur des pompes funèbres par la loi n° 93-23 du 8 janv. 1993, modifiant le titre VI du livre III du Code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, dite loi Sueur, à l’époque secrétaire d’État aux collectivités locales (G. d’Abbadie et G. Defarge [dir.], "Opérations funéraires - Une nouvelle donne pour les communes", Imprimerie nationale 1998, 393 pages) qui incite tout d’abord à la réflexion sur l’utilité du maintien de l’omniprésence de la personne publique. S’il existe une libre concurrence entre opérateurs habilités sur l’ensemble du territoire depuis le 10 janv. 1998 (une période transitoire de cinq années était prévue par le législateur pour les régies communales), ne sont nullement remises en cause par la loi les missions fondamentales qui ressortent de la compétence des personnes publiques
(M.-T. Viel, "Droit funéraire et gestion des cimetières", 2e éd. Berger-Levrault, 1999, p. 29). Seul est abandonné un monopole qui, en pratique, n’était d’ailleurs plus respecté.
Les apports de ce texte sont tout à fait remarquables. Le service extérieur des pompes funèbres, jusqu’alors service public administratif, devient un service public industriel et commercial, pour l’exercice duquel existe une libre concurrence entre les régies, associations et entreprises titulaires d’une habilitation délivrée par le préfet. La profession est mieux organisée par de nouvelles obligations notamment en termes de formation mais également par l’institution d’un Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF). Le service extérieur des pompes funèbres voit son contenu précisément défini à l’art. L. 2223-19 du CGCT. Les textes font disparaître un second monopole, celui des chambres funéraires, dont la création reste néanmoins soumise à autorisation préfectorale (CAA Douai, 23 déc. 2011, n° 11DA00629 ; CAA Nancy, 29 mars 2012, n° 11NC00235).
Pour exercer cette mission de service public, les opérateurs doivent être titulaires d’une habilitation délivrée par le préfet. Le législateur a pris soin de garantir par ce biais à la fois la moralité des opérateurs et leur compétence (notamment par des obligations en matière de formation qui s’imposent pour l’obtention de l’habilitation ; TA Lille, 30 déc. 2003, n° 00-327, Andrée S. c/ préfet région Nord-Pas-de-Calais, préfet Nord : JCP A 2004, 1427, obs. D. Dutrieux). Cette obligation vise à la fois les opérateurs privés (associations et entreprises) et les opérateurs publics (régies), ce qui s’explique par la nécessité d’assurer le respect de la libre concurrence. Des sanctions pénales sont spécialement prévues dans le CGCT pour les opérateurs exerçant la mission de service public définie à l’art. L. 2223-19 sans être titulaires de l’habilitation, ou qui viendraient, dans l’exercice de cette mission, à fausser la libre concurrence, par des pratiques déloyales. De même, le préfet peut prononcer des sanctions administratives en suspendant ou en retirant l’habilitation (CAA Lyon, 26 mai 2009, 06LY02229).
La loi Sueur posera également le principe d’une obligation de neutralité pour les services communaux de l’état civil qui se trouvent généralement, avec les services hospitaliers, les premiers interlocuteurs des familles des défunts. L’information délivrée aux familles ne doit pas avoir pour effet de les orienter vers un opérateur déterminé et doit consister dans l’affichage et la possibilité de consulter la liste des opérateurs habilités, la délivrance d’une copie de cette liste établie par la préfecture, ou la remise d’un livret constitué par la commune et contenant des informations sur les différentes démarches qu’implique un décès, voire des devis types. Ces mêmes obligations s’imposent d’ailleurs également aux établissements de santé, mais aussi aux entreprises gérant des chambres funéraires (CA Lyon, 15 mai 2003, JCP A 2003, 1876, note D. Dutrieux).
Enfin, la loi n° 93-23 viendra créer un nouveau monopole au profit des communes et établissements publics de coopération intercommunale, puisque la création d’un crématorium et sa gestion (directement par la personne publique ou sous la forme d’une délégation de service public) ressortent nécessairement d’une initiative publique.
Plus généralement, la loi Sueur a été à l’origine de la rédaction de nombreux textes (décrets, arrêtés et circulaires) dont deux des principaux acteurs ont pris l’heureuse initiative de les réunir dans un précieux recueil, enrichi de réponses ministérielles et de jurisprudences, dont une nouvelle édition est d’ailleurs annoncée pour le début de l’année 2013 (G. d’Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires, 3e éd. Le Moniteur 2004).
La loi Sueur : un dispositif amélioré
Le sénateur Jean-Pierre Sueur, après avoir donné, sous l’impulsion des contraintes du droit de l’Union européenne, au service public des pompes funèbres un encadrement normatif nécessaire, n’en a pas pour autant, le travail accompli, abandonné ce domaine si particulier qu’est le funéraire. Il s’agit ici d’une particularité notable. À trois reprises, cet élu manifestera son attention particulière sur les questions funéraires en amendant tout d’abord l’une des premières lois de simplification du droit (loi n° 2004-1343 du 9 déc. 2004), ensuite, en se trouvant à l’initiative d’un rapport en 2006 puis d’une seconde loi en 2008 (loi n° 2008-1350 du 19 déc. 2008), et enfin en amendant la loi de simplification du droit de 2011 (loi n° 2011-525 du 17 mai 2011).
L’intervention en 2004 pouvant paraître plus "conjoncturelle", a été néanmoins essentielle puisqu’elle a permis de "ralentir" l’emprise des banques et assurances sur un secteur par le truchement de la commercialisation de la prévoyance obsèques. En imposant l’existence d’un devis et en permettant de modifier le bénéficiaire des contrats souscrits, ces modifications ont été essentielles.
Évidemment, la grande richesse des réflexions menées à l’occasion du rapport de 2006 (J.-R. Lecerf et J.-P. Sueur, "Sérénité des vivants et respect des défunts", Sénat, rapport n° 372, 31 mai 2006), expliquera la grande qualité du travail législatif aboutissant à la loi du 19 déc. 2008, adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Parlement.
Ce texte, ainsi que les décrets et arrêtés d’application de celui-ci, parachèvent la réforme de 1993 sur de nombreux points, mais comblent également les quelques lacunes de ce texte fondateur.
Tout d’abord, la profession funéraire va, à compter de 2013, connaître la sanction de diplômes (si tous les professionnels étaient tenus à une formation obligatoire, seuls les thanatopracteurs connaissaient la sanction du diplôme) qui ne pourra que valoriser la profession, et par là améliorer encore le service rendu aux familles. Comme l’a récemment rappelé
M. François Michaud-Nérard, "les métiers du funéraire sont destinés avant tout aux vivants, la prise en charge matérielle du corps étant un aspect secondaire de leur rôle". ("Une révolution rituelle - Accompagner la crémation", Éditions de l’atelier 2012, p. 12). De même, doivent être relevés l’encadrement des devis et, plus généralement, l’amélioration des textes destinés à la protection des familles (D. Guérin-Seysen, "Approche juridique de la marchandisation de la mort", Petites affiches, 10 sept. 2010, n° 181, p. 11 ; D. Dutrieux, "Le modèle de devis applicable aux prestations funéraires", JCP A, n° 36, 6 sept. 2010, act. 647). Ce sont également les mesures de simplification (des déclarations
préalables ont opportunément remplacé les autorisations pour les transports de corps, les moulages - rares en pratique - et les soins de conservation) et l’adaptation de règles de surveillance, avec une diminution du nombre des vacations et une uniformatisation de leurs montants.
Ensuite, et peut-être surtout, la loi de 2008 viendra, d’une part, apporter au cimetière - ce parent pauvre de la législation funéraire, grand "oublié" de la loi de 1993 - de nouveaux outils, tels qu’une procédure de péril adaptée aux problématiques particulières de cet espace public et un meilleur encadrement du devenir des restes présents dans les sépultures reprises, ou imposer une place pour les cendres. D’autre part, les cendres bénéficieront - enfin ! - d’un véritable statut et d’un encadrement de leurs destinations.
Enfin, les améliorations apportées dans la loi de simplification et d’amélioration du droit de 2011 (D. Dutrieux, "Simplification et amélioration de la qualité du droit : les apports à la législation funéraire", JCP A, n° 26, 27 juin 2011, 2228, p. 17) doivent également beaucoup au sénateur Sueur. Parmi ces éléments, seront relevées les mesures à l’adresse des familles concernant l’état civil mais aussi les obligations incombant aux praticiens lors de la restitution des corps après autopsie.
Législation dans le domaine funéraire : un bilan largement positif
Certes, pour nombreuses que soient les réelles améliorations apportées, existent encore des difficultés non résolues, comme en témoigne notamment l’intéressant rapport du Défenseur des droits du 29 oct. 2012 (http://www.defenseurdesdroits.fr/sinformer-sur-le-defenseur-des-droits/linstitution/editorial/legislation-sur-le-droit-funeraire).
Il en est ainsi, par exemple, des thanatopracteurs pour lesquels le Défenseur des droits pointe les insuffisances du dispositif. Il en est de même de la question de la crémation des restes où, manifestement, des difficultés se posent et continueront de se poser. Enfin, toujours selon le Défenseur des droits, la polysémie maintenue concernant le terme de "convention d’obsèques" - pour laquelle la prime n’est pas nécessairement liée au paiement des funérailles - interroge toujours, malgré la loi de 1993 et la modification de 2004 (D. Dutrieux, "De l’appellation "convention d’obsèques" et de son absence de conséquence" ! [Cass. 3e civ. 17 mars 2010, n° 80-20.426], Petites Affiches, n° 124, 23 juin 2010, p. 18).
Force est également d’admettre l’échec de certains dispositifs issus de la loi de 1993 et des textes qui l’ont suivie, comme notamment le règlement municipal des pompes funèbres, rarement adopté par les communes.
Enfin, le constat de la "non-publication" des rapports du CNOF, dont la direction générale des collectivités locales assure le secrétariat (CGCT, art. R. 1241-7), laisse songeur, le ministère de l’Intérieur faisant manifestement fi des obligations imposées en la matière par l’art. L. 1241-1 du CGCT (le dernier rapport étant celui de 2005-2006 ; http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/conseils_et_organisme/commission_nationale/). Le dernier alinéa de cet article, issu de la loi Sueur de 1993, impose en effet que "le CNOF rend public un rapport, tous les deux ans, sur ses activités, le niveau et l'évolution des tarifs des professionnels et les conditions de fonctionnement du secteur funéraire".
NB: la présente étude a déjà fait l’objet d’une première publication : Damien Dutrieux, "Les vingt ans de la loi Sueur : bilan critique", La Gazette des communes, n° 2155, 7 janv. 2013, p. 52-54 ; l’auteur exprime ses sincères remerciements à M. Joannès, rédacteur en chef de la Gazette des communes, d’avoir autorisé la présente publication.
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