La souffrance au travail apparaît aujourd’hui comme un thème de réflexion indispensable dans la définition de la dynamique managériale d’une institution. Il ne s’agit en aucun cas de s’approprier ou d’agir dans une tendance contemporaine, mais bien de redéfinir la place du facteur humain au cœur de nos pratiques avec toute la légitimité et l’importance qu’il est nécessaire de lui accorder.
Cynthia Mauro, psychologue, docteur en psychologie.
Inscrits dans un rapport à la société et à autrui bien singuliers, les métiers du funéraire sont toujours empreints d’un certain nombre de représentations déplacées, même si nous constatons depuis quelques années un engouement grandissant à travers l’augmentation du nombre de candidatures au concours de thanatopraxie, ou au diplôme de conseillers funéraires notamment. Engouement qu’il serait par ailleurs intéressant d’analyser, car les arguments motivationnels des postulants demeurent parfois énigmatiques et en décalage avec la réalité objective.
Chacun est conscient de l’importance et de la grande nécessité d’une mobilisation engagée dans la professionnalisation de ces métiers. La refonte de la formation habilitante des 96 h et du diplôme de thanatopraxie en sont d’ailleurs les témoins.
Néanmoins, notre attention doit elle aussi se porter sur la dimension qualitative de l’accompagnement des professionnels au quotidien, de leur pratique.
Exposés à des situations humaines difficiles, confrontés à des réalités thanatologiques bien particulières, ils doivent mobiliser leurs ressources intellectuelles, techniques, psychologiques et faire preuve de grandes capacités d’adaptation.
L’épuisement professionnel, que l’on nomme également le "burn out", constitue alors un risque réel de décompensation psychique tant l’investissement est entier et complexe. Cet épuisement arrive bien souvent au terme d’une fatigue chronique et intense et renvoie l’homme de métier à un sentiment d’inaccomplissement de la tâche qui peut avoir un impact sur la vie personnelle.
L’installation est progressive, insidieuse et touche le plus souvent des individus ayant à cœur d’accomplir leur mission le plus parfaitement possible. L’épuisement ne renvoie pas à un facteur de fragilité ou de vulnérabilité, mais bien à une dimension consciente "du vouloir bien faire" et à un appauvrissement des ressources psychiques et physiques individuelles.
Concrètement, certains signes précurseurs peuvent annoncer son installation et mettre en alerte pour soi-même ou pour un collègue : les troubles de l’humeur, la perte de sens de son travail, la baisse de l’efficience et de la concentration, la fatigue généralisée, le sentiment de non-reconnaissance institutionnelle, les erreurs, oublis et confusions, l’éloignement des fondements éthiques et déontologiques, etc.
La fatigue passagère, la surcharge ponctuelle de travail et les baisses de moral saisonnières ne concernent pas le "burn out". Même si ces situations peuvent être douloureuses, l’envahissement est moindre et le rétablissement bien plus rapide. L’évolution critique du "burn out" à son stade le plus avancé, peut conduire au passage à l’acte suicidaire ; passage à l’acte auquel nous avons tous été sensibilisés par les médiatisations récentes d’évènements tragiques au sein d’entreprises de construction automobile ou de communication.
En revanche, certains facteurs combinés peuvent amorcer une situation de véritable crise existentielle, qu’il est donc important d’inventorier :
- la répétition des tâches,
- la morosité,
- les projections et les identifications,
- le manque de formation initiale et continue,
- la dynamique interpersonnelle dans une équipe de travail,
- les exigences des familles,
- la charge de travail,
- l’organisation du travail et la définition des missions de chacun,
- la disponibilité hiérarchique,
- l’histoire personnelle,
- la manipulation de restes humains et de corps atteints dans leur intégrité,
- l’isolement social,
- etc.
Il nous est difficile d’apporter une évaluation quantitative et des données épidémiologiques en lien avec la notion d’épuisement professionnel spécifiques au domaine funéraire pour différentes raisons :
- quasi-inexistence d’études précises à ce sujet,
- défaut de centralisation des données,
- etc.
Toujours est-il que les métiers du funéraire, dans la mesure où ils s’inscrivent dans un schéma relationnel à l’Autre, l’Autre "vivant"et l’Autre "mort", constituent un terrain propice à l’éventualité d’une situation de souffrance émotionnelle plus ou moins intense.
Pourquoi alors n’envisagerions-nous pas la possibilité d’une définition d’un protocole de prévention des risques psychologiques, en continuant de nous attacher à faire valoir la dimension psychologique comme une dimension incontournable à prendre en compte dans la formation, la coordination et l’accompagnement des professionnels ?
Il existe des moyens qui appartiennent à l’institution pour faire en sorte de préserver un niveau optimal de fonctionnement individuel et collectif, comme promouvoir la transmission et le tutorat, renforcer la cohésion d’équipe par des moments de convivialité, instaurer des debriefings techniques réguliers, assurer des sessions de formation continue sur des thèmes précis, et réfléchir à la mise en place de groupes d’analyses des pratiques professionnelles par un intervenant compétent extérieur et sensibilisé aux métiers funéraires.
La prise de conscience de la place du facteur humain ne signifie pas la systématisation du soutien psychologique et ne sous-entend pas non plus que la profession soit en souffrance.
Les métiers du funéraire sont souvent synonymes d’une profonde évolution personnelle et contribuent à saisir l’essence même du sens de notre propre vie. Cette prise de conscience vise simplement à renforcer positivement les compétences individuelles et la reconnaissance de l’investissement engagé par chacun dans la bonne réalisation de sa mission d’accompagnement des familles endeuillées et des défunts.
Cynthia Mauro
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