Le débat sur la fin de la vie est de nouveau d’actualité après l’élection du nouveau président de la République. François Hollande a nommé une commission afin de sonder l’opinion publique sur ce thème crucial. Présidée par Didier Sicard, la commission sur la fin de la vie a choisi de proposer des débats publics dans 8 villes de France afin de recueillir les avis des citoyens mais aussi les positions des associations et des professionnels du soin. Membre de cette commission, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle entre les débats et évolutions des Français sur la crémation et les questions posées par le suicide assisté et l’euthanasie. Les mettre sur le même plan implique de considérer les changements autour de la mort en Occident comme à l’origine d’un bouleversement commun. La mort ne serait plus naturelle, la thanatomorphose non plus.
Marie-Frédérique Bacqué, présidente de la Société de Thanatologie/Études sur la mort.
La mort n’est plus naturelle
Dans la plupart des cas, sauf mort accidentelle, le décès a lieu dans une institution sanitaire. Pas tant à l’hôpital qu’en structure médicalisée comme les SSR (Soins de Suite et de Réadaptation) et les EHPAD (Établissement d'Hébergement pour les Personnes Âgées Dépendantes). Les familles n’hésitent pas à téléphoner au Samu lorsqu’un proche va mourir à la maison, les pompiers interviennent trop tard, les mourants sont véhiculés dans des ambulances en direction de l’hôpital le plus proche. Un dernier soin pourrait-il réellement sauver la personne ? Aujourd’hui cette question, invoquée si souvent pour montrer l’attachement et la peur de la perte, semble disparaître derrière l’idée d’exclure la mort du monde familier. Le mourant partant pour l’hôpital "emmène" la mort avec lui. Ainsi, la mort n’est plus "domestique" comme lors de "l’Ancien Régime" où l’on mourait encore souvent dans sa famille, devant les proches et des témoins.
La mort est trop lente
Autre revendication entendue auprès d’associations militantes de l’euthanasie ou du suicide assisté : l’agonie ne sert à rien. La souffrance doit être éradiquée. Une véritable fuite en avant vers la mort semble tenailler ces partisans de la maîtrise de la mort (ici je n’emploie pas le terme dignité car il n’y a aucune raison que ces mouvements s’approprient ce terme en le transformant en étendard d’une mort choisie, car une mort non contrôlée est aussi digne !). Maîtrise, médicalisation de la mort pour ne pas souffrir, choix souvent non partagé avec la famille et les amis, mais posé sur l’autel de la militance en faveur du "progrès".
La mort fait trop souffrir
Bien sûr nous préférons l’accouchement sans douleur, mais c’est un enfant désiré qui résulte de ce passage très difficile. Personne ne peut accepter de souffrir pour rien. C’est vrai. Mais les soins palliatifs, l’écoute, le soutien permettent de supporter, quitte à l’anesthésier, cette souffrance physique et même un peu de cette souffrance morale et psychologique. La souffrance ne pourra jamais être totalement éradiquée lors de la mort : souffrance morale d’abandonner ses proches, souffrance affective de disparaître alors qu’il restait tant de désirs, souffrance spirituelle d’ignorer ce qui nous attend et d’être au bord d’un grand départ irréversible… Si on accepte de regarder les choses en face et si l’on est accompagné, alors il est possible d’alléger un peu ces peines. On voit bien qu’à la technique (la médication), on peut substituer partiellement le soutien social et psychologique qui permet, si on le désire, d’être encore présent. Et pour que sa mort fasse moins souffrir les proches, rien de tel que d’en avoir parlé avant avec eux…
En quoi ces caractéristiques de la mort en 2012 en France peuvent-elles être rapprochées de l’évolution des rites funéraires et surtout de celle de la demande de crémation ?
Il s’agit tout simplement de la "même" demande
Dans la crémation, la décomposition du corps n’est pas naturelle, elle est même singulièrement artificielle, totalement contrôlée par des spécialistes. Par ailleurs, point n’est besoin d’être psychanalyste pour observer que la radicalité de la transformation limite tout imaginaire de la mort et renvoie à une matérialité crue. Ces poussières, ces restes disparaissent dans le paysage à une vitesse désarmante au point que certains endeuillés préfèrent conserver un peu des cendres (un peu dans la salière tous les jours, voilà qui nous donnera des sels minéraux en plus de la présence de Grand-Père…) volées à l’éparpillement. Quant au columbarium, sa taille modeste ne prête pas aux mêmes projections mentales que la tombe, cette "case" est souvent interchangeable dans un ensemble où le mort se perd…
La crémation "moderne" est rapide
En 2 h, elle a réalisé ce que la terre met parfois 1 année à transformer (ce temps représente souvent la période la plus difficile du travail du deuil). Depuis la nuit des temps, de nombreux peuples ont entouré symboliquement ce passage si difficile pour les proches. La crémation trop rapide, ne permet plus à la créativité de s’exprimer, le temps psychique est raccourci, les rencontres rituelles familiales n’ont plus de support matériel pour se dérouler.
La crémation fait-elle moins souffrir ?
La question est posée par les familles régulièrement. Il y a eu de nombreuses améliorations dans les cérémonies avec crémation qui sont aujourd’hui plus… vivantes. Ce qui a permis sans doute d’augmenter ce choix. Cependant la dispersion des cendres renvoie le mort à un non-lieu. Et si les morts n’ont plus leur place sur Terre, ne se logent-ils pas plus dans les âmes ? Il n’a pas été démontré l’existence d’une psychopathologie de la dispersion des cendres, ou de la crémation, mais la limitation de la cérémonie des obsèques et l’absence pendant au moins un temps de restes matériels symbolisés par une place ou une tombe, est souvent rapportée par les proches en deuil comme une difficulté palpable.
Finalement le 21e siècle poursuit l’œuvre de déconstruction des rites funéraires de jadis, déconstruction ou simple réduction ? Perte du lien social à coup sûr. Ici le temps devient un impératif majeur qui domine l’ensemble : pas de temps pour mourir ? Et c’est la mort puis le deuil anticipé. Pas de temps pour les morts, leur métamorphose est accélérée, leur absence décrétée, ils laissent des vivants inquiets devant une mort sans préalable et sans lieu public, une vie productive, immédiate et sans ancêtre.
À nous de comprendre ces choix sociétaux et de proposer une réflexion, une vision constructive et créative des cérémonies collectives, est-ce cela une mort humanisée ?
Marie-Frédérique Bacqué
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