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Le cimetière, cette terre silencieuse où se repose l’histoire de l’humanité, n’a cessé d’évoluer dans sa fonction et son symbolisme depuis des millénaires. Tantôt lieu de recueillement, tantôt terrain des mythes et des légendes, il est au cœur de nombreuses traditions et croyances. Cet article propose une exploration des cimetières, de leur histoire antique à leur rôle culturel contemporain, sans oublier leur place particulière lors de la Toussaint et même dans les festivités plus espiègles d’Halloween.


Le cimetière est bien plus qu’un lieu de sépulture, il est un miroir tendu à nos sociétés. Au fil des âges, les cimetières ont accueilli non seulement nos défunts, mais aussi nos croyances, nos craintes, nos espoirs d’au-delà. S’ils sont souvent perçus comme des espaces empreints de tristesse et de solennité, les cimetières revêtent aussi, curieusement, des connotations festives dans certains contextes. Comment expliquer cette dualité entre le deuil et la célébration ?

Pour comprendre la perception du cimetière, il est essentiel de retracer son histoire, d’étudier ses implications culturelles et cultuelles, et d’analyser comment il est devenu un lieu de folklore et de traditions populaires. Du champ sacré de l’Antiquité aux festivités d’Halloween, le cimetière nous raconte une autre histoire de l’humanité, faite de mystère, de rite, et d’une touche d’humour noir.

I - Le cimetière et son histoire… de Shanidar aux jardins de mémoire

Une première sépulture, les prémices du cimetière…

Les premiers cimetières sont apparus bien avant que l’idée d’un tel espace ne prenne une forme précise. Les premiers humains enterraient leurs morts pour des raisons pratiques et spirituelles, croyant qu’il y avait une continuité après la mort. La plus ancienne trace d’un rituel funéraire remonte à environ 100 000 ans, avec la sépulture de Néandertal à Shanidar, en Irak, où des restes de fleurs ont été retrouvés auprès du corps. La mort ne pouvait être qu’un simple événement biologique : il fallait qu’elle soit marquée, gravée dans la terre.

Le terme même de cimetière, venant du grec "koimeterion", signifie "lieu où l’on dort". Cette étymologie renvoie à une époque où la mort était perçue comme un sommeil temporaire en attendant la résurrection ou un quelconque retour à la vie. Dans les civilisations anciennes, la mort et les lieux de sépulture étaient appréhendés de manières diverses selon les croyances et les pratiques funéraires.

Dans l’Égypte antique, les cimetières prenaient la forme de nécropoles élaborées où les corps embaumés attendaient leur transition vers l’au-delà. Les fameuses pyramides n’étaient rien d’autre que des tombes grandioses, des monuments à l’ego des pharaons, pour lesquels l’immortalité physique par le cimetière faisait partie du plan divin. Ils y reposaient entourés d’objets personnels, de nourriture, et parfois même de serviteurs…

Chez les Grecs et les Romains, les tombes s’érigeaient souvent à la sortie des villes, longeant les routes principales. C’était l’occasion d’afficher son statut social : plus le monument funéraire était imposant, plus il proclamait l’importance du défunt. Dans ces cultures, la mort, bien que redoutée, était aussi célébrée à travers des fêtes en l’honneur des ancêtres, comme les "Parentalia" romaines, où les vivants partageaient des repas sur les tombes de leurs proches.

Le Moyen Âge et l’enracinement chrétien du cimetière

Avec l’avènement du christianisme, la conception des cimetières évolue profondément. C’est ainsi que les cimetières médiévaux se regroupaient autour des églises, au centre du village, reflétant l’idée que le sacré devait s’étendre jusqu’à la dernière demeure des fidèles. Le cimetière paroissial devint alors un espace communautaire… la mort n’était pas encore un tabou.

Cela étant, le cimetière médiéval n’avait rien de ce havre de paix que l’on imagine aujourd’hui. Plutôt chaotiques, les sépultures étaient entassées sans véritable ordre, et la mortalité élevée rendait les inhumations fréquentes. L’idée d’un au-delà où l’on "dormait en paix" devenait alors relative, tant le surpeuplement des cimetières pouvait être source de malaise.

Le temps aidant, la peur de la mort dominait de plus en plus les esprits. Les danses macabres, représentations populaires de la mort emportant les vivants sans distinction de classe ou d’âge, fleurissaient sur les murs des églises. Dès lors, très progressivement, le cimetière, loin d’être un lieu de simple repos, devenait un rappel constant de la fugacité de la vie.

L’ère moderne et l’émergence du cimetière-jardin

Avec la Renaissance, un vent de renouveau traverse l’Europe, influençant aussi les espaces funéraires. Peu à peu, les cimetières se déplacent hors des villes pour des raisons sanitaires. L’image du cimetière désordonné fait place à celle de vastes espaces verdoyants, où la nature se mêle au deuil. Le cimetière devient un lieu de promenade autant que de recueillement. Cette transformation culminera au XIXe siècle avec la création de cimetières paysagers comme le Père-Lachaise à Paris, où les sépultures rivalisent d’élégance et de grandeur.

Ainsi, à travers l’histoire, le cimetière a évolué et, dans le même temps, l’idée de la mort s’est adoucie : on ne la combat plus, on l’apprivoise. La tombe devient monument, le cimetière, jardin de mémoire. Mais, sous cette quiétude retrouvée, un certain mysticisme continue de hanter les lieux. Toutefois, bien au-delà des aspects physiques et mystiques, il incarne aussi le lien indéfectible entre les vivants et les morts, que chaque culture ou chaque religion interprète à sa manière.

Cimetière eglise

II - Cimetières et croyances – entre recueillement et célébration

Les cimetières, bien qu’uniformément associés à la mort, sont perçus différemment selon les croyances et les pratiques culturelles. Dans les religions abrahamiques, notamment le christianisme, le judaïsme et l’islam, le cimetière représente un lieu de transition, un espace intermédiaire entre ce monde et l’au-delà. La terre, dans ces traditions, est vue comme un dépôt temporaire, un lieu où le corps repose en attendant la résurrection ou le Jugement dernier.

Le christianisme, par exemple, a longtemps prôné l’inhumation dans l’espoir de la résurrection des corps. L’acte d’enterrer les morts est une manière de préserver l’intégrité du corps dans l’attente du jour où il sera rappelé à la vie éternelle.

De même, en France et dans d’autres pays catholiques, la Toussaint est l’un des moments où le cimetière prend une importance particulière.

Cette fête, célébrée le 1er novembre, est dédiée à tous les saints, connus ou inconnus, tandis que le 2 novembre est traditionnellement le jour des morts. Ce week-end-là, les cimetières se couvrent de chrysanthèmes, cette fleur qui symbolise l’éternité en France, et qui, curieusement, est considérée au Japon comme une fleur festive.

Dia de los Muertos

D’ailleurs, la Toussaint n’est pas une fête morose. Malgré l’austérité de l’automne, il y a quelque chose de réconfortant dans cette tradition : une manière de renouer avec ses racines, de se souvenir et d’honorer la vie autant que la mort. C’est un moment où le cimetière, habituellement si silencieux, s’anime de la présence des familles venues fleurir la mémoire de leurs défunts.

Dans l’islam, le cimetière revêt une fonction similaire, bien que la pratique soit empreinte d’une simplicité notable. Selon les enseignements de l’islam, le défunt doit être enterré dans les plus brefs délais, sans cercueil et en position orientée vers La Mecque, rappelant l’humilité de la vie terrestre. Le cimetière musulman est généralement dépouillé, sans ornements extravagants, afin de ne pas glorifier la mort mais de la reconnaître comme une étape naturelle de l’existence.

Pour le judaïsme, le respect dû aux morts s’étend également aux cimetières. Il existe des règles strictes quant à la façon de traiter les tombes, le corps et même les pierres placées sur les sépultures pour montrer que la mémoire est toujours vivante. Il n’est pas question ici de fleurs éphémères, mais de pierres pérennes, comme la mémoire que l’on souhaite éternelle.

Dans d’autres cultures et traditions, les cimetières jouent aussi un rôle cérémonial, mais parfois de manière plus festive. Le Mexique, par exemple, célèbre le "Día de los Muertos" (Jour des Morts), une fête qui honore les défunts à travers des processions, des offrandes colorées (les ofrendas) et des moments joyeux passés dans les cimetières avec la famille. Ici, la mort n’est pas perçue comme une rupture tragique, mais comme une continuité de la vie, un passage où les âmes des ancêtres peuvent revenir brièvement parmi les vivants pour partager un repas, des rires et des souvenirs.

En somme, chaque culture ou chaque religion entretient une relation particulière avec le cimetière, mêlant souvent respect, mémoire et espoir. Pourtant, un aspect plus moderne et populaire commence aussi à influencer la perception de ces lieux solennels.

III - Le cimetière et le folklore : entre rires et frissons !

Alors que le cimetière, dans sa conception religieuse et culturelle, est souvent marqué par la sacralité et le respect, il s’ouvre aussi aux influences du folklore et des croyances populaires. Parmi les traditions contemporaines, Halloween occupe une place singulière dans la manière dont nous abordons la mort et les cimetières.

La perception folklorique du cimetière

Si la mort inspire la peur, elle peut aussi prêter à sourire, et certains aspects du folklore jouent sur cette ambiguïté. Dans la culture populaire, les cimetières sont régulièrement les décors d’histoires de revenants ou de morts-vivants, comme si ces lieux étaient des portes vers un autre monde, mystérieux et inquiétant.

Ils sont le théâtre de récits où la mort prend vie, où l’au-delà se manifeste sous des formes terrifiantes ou intrigantes. Cela dit, même cette approche légère et quelque peu sarcastique de la mort témoigne d’une fascination universelle pour la condition humaine et son rapport à l’inévitable.

Ainsi, comme le disait l’écrivain Jean Giono : "L’homme a besoin d’avoir peur de temps en temps. Cela lui permet de savoir qu’il est encore vivant."

Halloween enfants
Halloween, la fête des morts qui amuse

Halloween, célébrée le 31 octobre, veille de la Toussaint, est sans doute l’exemple le plus emblématique de cette approche ludique de la mort. Fête d’origine celtique dérivée de Samhain, elle marque le passage entre l’été et l’hiver, entre le monde des vivants et celui des morts. Les anciens Celtes croyaient que durant cette nuit, le voile entre ces deux mondes s’amincissait, permettant aux esprits de le traverser.

Celle-ci fut ensuite christianisée pour devenir la veille de la Toussaint, ou "All Hallows’ Eve", et revêtir un aspect plus folklorique, avec des déguisements, des citrouilles illuminées et des histoires de revenants. Ainsi, Halloween, loin d’être une célébration morbide, s’est transformée au fil des siècles en une fête joyeuse où les enfants déguisés en squelettes ou en sorcières défilent dans les rues en quête de friandises.

Le cimetière, ici, devient presque une figure comique : la mort n’est plus effrayante, elle est tournée en dérision. Les tombes ne sont plus que des accessoires de décor, et les squelettes se transforment en personnages sympathiques.

De fait, la symbolique d’Halloween rappelle que le rire peut parfois être une forme de résistance face à la peur de l’inconnu. En prenant plaisir à se faire peur, on apprivoise la mort, on la rend plus familière, plus accessible. Cela n’enlève rien à son mystère, mais permet de la tenir à distance, le temps d’une soirée.

IV - Ce que l’on retiendra…

Le cimetière, loin de n’être qu’un lieu de repos éternel, est un espace symbolique chargé de significations. Historiquement, il a vu évoluer nos pratiques funéraires, nos croyances et nos rapports à la mort. D’abord sacralisé, puis humanisé, il est devenu aujourd’hui un lieu de mémoire, de recueillement, mais aussi, paradoxalement, de célébration et de folklore.

Entre la solennité de la Toussaint et l’espièglerie d’Halloween, le cimetière est le reflet de notre ambivalence face à la mort : entre crainte et acceptation, entre tristesse et rire. Peut-être est-ce là la plus grande leçon qu’il nous enseigne : la mort fait partie de la vie, et il vaut mieux l’accepter avec un brin d’humour, à défaut de pouvoir la comprendre totalement. Après tout, comme l’écrivait Woody Allen : "Je n’ai pas peur de la mort, je veux juste ne pas être là quand elle arrivera."
 
Résonance n° 208 - Octobre 2024
 

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