Institution muséale de référence dédiée à l’évolution de la société bretonne, le Musée de Bretagne de la ville de Rennes s’est vu, en co-production avec l’Abbaye de Daoulas, proposer une sélection exceptionnelle d’œuvres et d’objets aussi bien patrimoniaux que cosmopolites de toutes époques ayant pour volonté commune de lever le voile sur le tabou qu’est la mort dans nos sociétés occidentales. Le contexte mondialisé de cette exposition, offre une approche plus étendue, à la fois de nos connaissances professionnelles, mais nous amène également à un questionnement plus profond sur notre approche personnelle de la mort.
Pour reprendre l’intitulé de l’exposition : "Mourir, quelle histoire !", l’on découvre qu’en effet la mort a bel et bien une histoire. Outre le fait de nous aider à donner un sens à la mort en mettant en lumière le caractère éphémère de nos existences, cette exposition retrace, à partir de la mort dans l’histoire bretonne, sa dimension multiculturelle. Au-delà des frontières culturelles, elle offre au visiteur un savant jumelage d’universalité, mêlant à la fois traditions et mythologies, car, oui, s’il y a bien un domaine dans lequel le monde entier se retrouve au-delà des civilisations et des croyances, c’est la mort. Il y aura toujours un avant et un après.
"Comment vivre avec l’idée que nous allons mourir ?" C’est à cette réflexion que l’exposition invite le visiteur, à la fois au travers d’un voyage dans le temps, de la Préhistoire à nos jours, en évoquant les différentes pratiques traditionnelles de conservation des corps et les différents cérémonials, mais également dans l’espace, à la découverte de pratiques méconnues à travers le monde. Le voyage commence en Bretagne, pays mystique au caractère identitaire, où le visiteur part à la découverte des mythes et traditions ancestraux qui perdurent encore de nos jours. La suite de la visite invite également à la découverte de l’Égypte, du Tibet, du Venezuela ou de Madagascar, où la scénographie de l’exposition n’a de cesse d’immerger le visiteur dans des contrées lointaines, laissant les yeux se tourner vers des totems et autres exotismes où les oreilles sont bercées par les chants des cérémonies. Alors, bec’h dei ! (C’est parti ! en breton).
De la mort au deuil
C’est d’abord à travers les étapes "classiques" évoquant la mort que le visiteur est invité à cheminer dans une mise en perspective tout à la fois historique et civilisationnelle.
L’annonce du décès
À partir du XVIIe siècle, et principalement dans les milieux aisés, il était de coutume d’annoncer le décès d’un proche par le biais de "placards mortuaires" affichés aux portes d’entrée des maisons, des églises et des cimetières. Les placards mortuaires sont signalés à Paris depuis au moins 1634. Jusqu’alors, c’était seulement le "clocheteur", également appelé "recommandeur des trépassés" ou encore "crieur des corps", qui était chargé d’annoncer aux habitants les décès. À partir de 1680, on commence progressivement à illustrer les placards.
Plus tard, ils seront envoyés par voie postale : les "placards" deviennent faire-part…
Les obsèques
Il n’est pas aisé de vivre avec l’idée, parfois omniprésente, que tout ce que nous vivons peut prendre fin inopinément. C’est en cela que nos civilisations ont mis en place les subterfuges que constituent les rites funéraires pour affronter la perte d’un être cher dans une unique finalité : assurer la paix des vivants et faire son deuil.
En Bretagne, il était courant, principalement en Finistère et dans les milieux modestes, de transmettre de génération en génération une toile de lin en lin brodé sur laquelle était disposée le corps du défunt lors de la cérémonie.
Le deuil
"La mort peut s’envisager comme le contraire de la naissance où s’unissent corps et âme." Dans les légendes bretonnes, l’âme est vue sous la forme d’un moucheron qui, comme l’âme, quitterait le corps pour rejoindre l’au-delà. Il était également coutumier pour les femmes de porter une coiffe beige rosé, barbes défaites en signe de deuil.
Pour ceux qui restent, les rituels et les croyances permettent de surmonter, d’exprimer la douleur, et donc d’accompagner la période de deuil. Ces derniers permettent également d’honorer la mémoire du défunt, et, selon certaines croyances, de lui permettre de rejoindre l’au-delà, en paix.
La mémoire
Au cours de l’exposition, une activité ludique est proposée permettant aux enfants mais également aux adultes de réaliser des épitaphes pour la personne ou l’animal de leur choix puis de l’accrocher sur un pan de mur prévu à cet effet, laissant libre cours à chacun de s’attarder sur certains d’entre eux.
La mort, une histoire bretonne
L’Ankou
L’Ankou est la version bretonne de la "Grande Faucheuse", qui dans nos croyances occidentales est symbole de mort, de passeur d’âme. Il est indifféremment représenté comme un homme très grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, ou sous forme d’un squelette, drapé d’un linceul. Il tranche les âmes avec une faux montée à l’envers.
En Basse-Bretagne, il est considéré comme "l’ouvrier de la mort" ("oberour ar maro" en breton). Dans la légende, il est dit que, dans chaque paroisse, le dernier mort de l’année devient l’Ankou pour l’année suivante, et, quand il y a eu dans l’année plus de décès que d’habitude, la tradition considérait : "Sur ma foi, celui-ci est un Ankou méchant" ("War ma fé, heman zo eun Anko drouk"). L’Ankou circule la nuit, debout sur un chariot dont les essieux grincent. Ce funèbre convoi est le "karrig an Ankou", char de l’Ankou (ou "Karriguel an Ankou" littéralement brouette de l’Ankou), remplacé par le "Bag nez", bateau de nuit dans les régions du littoral.
Entendre grincer les roues du "karrig an Ankou" ou croiser en chemin le sinistre attelage sont des signes annonciateurs de la mort d’un proche. L’odeur de bougie, le chant du coq la nuit, les bruits de clochettes sont également interprétés comme des signes annonciateurs de mort. L’implacable Ankou nous met en garde contre l’oubli de notre fin dernière. Ses sentences sont gravées sur les murs d’ossuaires ou d’églises : "Je vous tue tous" (Brasparts et La Roche-Maurice), "Souviens-toi, homme, que tu es poussière" (La Roche-Maurice) ou encore, inscrit en breton, "La mort, le jugement, l’enfer froid : quand l’homme y pense, il doit trembler" (La Martyre).
La maison en deuil
Outre les coiffes et les placards, le deuil se matérialisait également par des tentures qui ornaient le cadran de la porte d’entrée des maisons mortuaires afin de signifier aux passants et habitants du village que la famille était en deuil. Cette tradition, présente également dans l’ensemble de la France, est tombée progressivement en désuétude à partir des années 1950.
La Proella
Sur les îles d’Ouessant et de Sein notamment, il était de coutume d’effectuer ce que l’on appelle la cérémonie de la "Proella" lorsque le corps d’un marin, disparu en mer, n’était pas retrouvé. Une façon symbolique de permettre à la famille de faire son deuil et d’honorer la mémoire du disparu.
Une petite croix était alors consacrée, représentant le corps du défunt. Elle était placée sur la "nappe de la Proella" par l’officiant. Puis on veillait la croix avant de la porter en procession à l’église. À la fin de la cérémonie, la croix représentant le disparu était alors placée dans une urne en bois située derrière l’autel.
Célébrer les morts, célébrer la vie, au-delà des frontières
Les poteaux funéraires de Madagascar
Les poteaux funéraires malgaches "Aloalo" avaient pour vocation de retracer la vie de la personne, tel un totem. Cette tradition date du XVIe siècle. Très colorés, ils sont à la fois symbole de mémoire, mais aussi symbole d’honneurs adressés au défunt. L’Aloalo est un art funéraire, mais un art qui n’est pas à la portée de n’importe qui. La fabrication des poteaux funéraires sculptés et peints est en effet réservée à une poignée d’initiés qui transmettent leur savoir-faire de père en fils. Il n’est en outre traditionnellement pas permis de fabriquer ses propres totems, de sorte que chaque famille ou tribu possède son fournisseur attitré. Celui-ci travaille en forêt, loin des villages et des habitations. Le bois utilisé est le Mendoravy, bois endémique du sud-est de Madagascar. Rare et dense, il est également utilisé pour la fabrication des cercueils.
Le Jour des morts au Mexique (Dia de Muertos)
Fidèle à une tradition catholique très ancrée, les morts sont également fêtés au Mexique le 2 novembre, au lendemain de la Toussaint. Mais au Mexique, la fête des morts est une réelle fête. Véritable mélange de traditions catholiques et de rites indigènes, honorer les défunts se traduit par la constitution d’autels à la maison, dans l’espace public et sur les tombes des défunts. Les autels des morts sont richement ornés d’étoffes de couleurs, d’offrandes constituées des aliments préférés du défunt et de "calaveras" (représentations fantaisistes de la mort : squelettes, têtes de mort, etc.). Traditionnellement, les proches des défunts se retrouvent pour partager le "pan de muerto" (pain spécial consommé exclusivement le Jour des morts) et écrire des "calaveras literarias" (fausses épitaphes rédigées en vers, évoquant dans un humour décalé le défunt).
Me Xavier Anonin
Résonance n° 206 - Août 2024
Résonance n° 206 - Août 2024
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