Dans un précédent article, je plaidais pour la mise en place d’un comité de liaison du funéraire dont l’objectif est d’engager une réflexion autour de préoccupations communes, telles que la déontologie professionnelle. En effet, depuis la création des premières fédérations professionnelles, le code de déontologie a constitué l’élément central de leurs engagements envers les familles et de la sensibilisation de leurs adhérents autour des conditions de mise en œuvre des missions induites durant l’exercice de leur activité.
Des décennies après, le temps est désormais venu d’adapter le contenu de la déontologie professionnelle à l’évolution de la société contemporaine et des pratiques funéraires, en apportant les ajustements de circonstances. Les conditions d’exercice de l’activité funéraire ont connu d’importantes mutations tant sur le plan sociétal, que humain et matériel. Sans compter une digitalisation rampante qui vient bouleverser fortement l’environnement de l’entreprise, impactant fortement le contenu de la relation avec les familles.
Par ailleurs, l’inflation législative, réglementaire tant nationale qu’européenne, s’est traduite par des contraintes nouvelles imposant une mise à jour des principes déontologiques liés à l’exercice du métier de pompes funèbres.
Quatre éléments fondamentaux sont venus bouleverser considérablement son environnement :
• L’opérateur funéraire exerce, depuis la loi du 8 janvier 1993, une mission de service public, apportant de nouvelles perspectives déontologiques ;
• Le régime de protection des données introduit par le règlement RGPD relatif à la protection des données, qui met en valeur l’indispensable protection de la donnée collectée, notamment la donnée religieuse ;
• L’éclosion de services funéraires affinitaires s’appuyant sur un rite funéraire spécifique, posant clairement la question de la laïcité dans l’exercice du métier ;
• La digitalisation, l’Intelligence Artificielle (IA) et les réseaux sociaux, qui interpellent sur les limites de leur périmètre et de la contrainte déontologique à adopter ;
• La charte du respect de la personne endeuillée, signée le 26 octobre 2009, qui apporte de nouvelles avancées dans la relation entre les professionnels et les familles endeuillées.
Dans une vision prospective, je propose d’engager une réflexion autour des orientations qui suivent afin d’identifier les aspects sur lesquels l’évolution des principes déontologiques devrait être initiée.
Prendre en considération la dimension de la mission de service public
La mission de service public est une activité d’intérêt général qui peut être assurée par une entreprise privée. Elle se caractérise par trois grands principes qui régissent son bon fonctionnement :
• La continuité du service public, principe de valeur constitutionnelle qui repose sur la nécessité de répondre aux besoins usagers (les familles) sans interruption ;
• L’égalité devant le service public, également de valeur constitutionnelle. Toute personne a un droit égal à l’accès au service et doit être traitée de la même façon que tout autre usager, sans discrimination ni avantage particulier. Le défaut de neutralité constitue une faute déontologique grave ;
• L’adaptabilité ou mutabilité suppose que le service public s’adapte aux évolutions de la société. Il doit suivre les besoins des usagers.
Certes, ces principes ont inspiré bon nombre de prescriptions du code de déontologie. Néanmoins, il est souhaitable de faire référence, clairement, à la mission de service afin de donner du sens aux engagements des professionnels.
Faire référence à la Charte du respect de la personne endeuillée
La signature de la Charte du respect de la personne endeuillée a très nettement contribué à la baisse de la perception de complication ressentie dans la gestion administrative d’un décès. Et cela a été rappelé dans de nombreux débats parlementaires. Par ailleurs, elle a contribué à mettre en valeur le devoir d’information des professionnels à l’égard des familles, notamment dans le domaine d’aides et avantages tarifaires dont elles pourraient bénéficier.
En introduisant la référence à la Charte dans leurs règles de déontologie professionnelle, les opérateurs funéraires ne manqueront pas de donner à leurs engagements la crédibilité attendue à travers un document à caractère officiel.
Consolider la laïcité et lui donner de la visibilité
Les services funéraires affinitaires constituent une évolution récente en France. Ils incarnent, désormais, la diversité du service funéraire à la française. À terme, très rapproché, les rites spécifiques signeront une nouvelle évolution des services à la personne au moment du deuil, tout comme ils poseront avec acuité la place de la laïcité dans l’espace public funéraire.
Si les spécificités des demandes de services affinitaires ne doivent pas s’ériger en exception à l’environnement des services funéraires et être prises en compte en tant que telles, elles ne doivent pas conduire à la manifestation de comportements, attitudes et pratiques professionnelles conduisant à rompre le principe de la neutralité de la mission de service public des pompes funèbres.
Ainsi, l’engagement du code de déontologie relatif à l’allure générale des personnels et à leurs tenues vestimentaires doit être adapté à la circonstance précitée. Tout comme le cérémonial de célébration de la mémoire du défunt, qui doit être dépouillé de toute autre considération que l’application stricte du rituel retenu par la famille.
Étendre le devoir d’information du professionnel
Ces dernières années, sous l’effet de dispositions législatives nationales ou européennes, le devoir d’information des professionnels a connu de réelles avancées, consistant notamment à renforcer le périmètre de cette obligation. Le domaine des contrats obsèques offre un bel exemple d’extension du devoir d’information quant à la proposition au prospect d’un mécanisme financier de couverture des frais d’obsèques qui peut comporter un risque en termes de perte de capital.
La densification du devoir d’information doit être prise en considération sur le plan des prescriptions déontologiques, et étendue aux aides, réductions tarifaires ou à tout autre avantage dont pourrait bénéficier la personne endeuillée à l’occasion d’un décès.
Cette extension du périmètre du devoir de conseil revêt une pertinence particulière, dans la mesure où l’opérateur funéraire est amené à proposer aux familles des supports de prestations ayant une implication financière conséquente. Il est ainsi de produits relatifs à la couverture assurantielle des frais d’obsèques et des financements complémentaires des obsèques faisant de l’opérateur funéraire un mandataire d’intermédiaire d’assurance et de banque. La percée de ces deux nouvelles missions rend indispensable la mise à jour des règles relatives à la déontologie professionnelle.
Intégrer la relation avec les administrations
L’environnement administratif de l’entreprise de pompes funèbres pèse de tout son poids dans la gestion des opérations funéraires. Malgré le mouvement de simplification administrative initiée par l’exécutif, il n’en demeure pas moins que l’inflation législative et réglementaire a conduit au renforcement du poids de l’Administration dans le contrôle de l’activité des professionnels.
Le pouvoir administratif s’est érigé en autorité de contrôle, de régulation et de sanction des opérateurs funéraires, compliquant – assez souvent – la lisibilité des différentes strates mises en place et suscitant bon nombre de conflits avec les usagers que sont les entreprises de pompes funèbres.
À l’origine de ces situations d’opposition et de confrontation, les divergences dans l’interprétation des textes ou des situations dérogatoires dues à une insuffisance de formation des personnels affectés à ces missions, suscitant la colère des professionnels. Au point de conforter les agents administratifs dans leur perception négative de la profession funéraire. La référence, dans le code de déontologie, à l’entretien de la bonne relation avec l’Administration doit être mise en valeur. Gage de la réhabilitation de la relation entre les deux partenaires est de nature à redorer l’image des professionnels.
Renforcer l’engagement en matière de protection de données
Les données sensibles forment une catégorie particulière des informations personnelles. Ce sont des indications qui révèlent la prétendue origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique.
Parmi l’ensemble de ces données collectées dans le cadre de l’exercice de la profession funéraire, la donnée relative à la religion pose de nombreuses questions tant concernant sa collecte, son utilisation, que sa protection. La pratique des grands groupes d’entreprises, en général, sécurise fortement la protection de cette donnée en mettant en place des procédures très strictes de préservation, en limitant même l’accès aux supports de conservation.
En se référant au dispositif RGPD, les règles déontologiques ne feraient que s’adapter à l’évolution de l’environnement de l’entreprise.
Encadrer l’utilisation des réseaux sociaux et le recours à l’IA
Ces dernières années ont été marquées par une arrivée remarquée des professionnels du funéraire sur les réseaux sociaux. Ces derniers ont contribué à réinventer un nouveau modèle de communication moderne devenant un cercle de diffusion interactif et instantané.
Du côté des familles, les réseaux sociaux donnent l’impression aux utilisateurs de "graver dans le marbre" une trace indélébile de leur proche disparu. Concernant les professionnels, ils découvrent un nouveau canal, relais – pour ne pas dire vitrine – de promotion de leurs activités. Néanmoins, des deux côtés, des dérives ont été relevées. Si celles issues des internautes nous interpellent, les pratiques professionnelles visées appellent à une utilisation relative et parcimonieuse des réseaux sociaux.
Le recours à la médiation
L’innovation de ces dernières années réside dans la mise en place du dispositif de la médiation dans le règlement des litiges pouvant survenir entre les professionnels et les familles avec la création d’un médiateur de la consommation des professions funéraires. Il est désormais fait obligation d’y faire la référence dans les conditions générales de vente de l’entreprise de pompes funèbres. Le recours à la médiation doit figurer en tant que tel dans les engagements déontologiques de la profession. Il ne manquera pas de donner du sens à la mission de l’opérateur funéraire.
Méziane Benarab
Résonance n° 202 - Avril 2024
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