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Nous nous sommes longuement interrogés (vos deux serviteurs, à savoir Manon Moncoq et Charles Simpson) avant de nous lancer sur les deux sujets que sont la chambre funéraire et les soins de conservation. Nous avons voulu les traiter simultanément car ils sont intimement liés et soulignent l’importance de la dernière rencontre entre la famille et le défunt.


MONCOQ Manon 1Depuis que les services funéraires se sont substitués à la "pompe" funèbre, les prestations de service dédiées "au mort" ont remplacé la mise en scène de "la mort" (Trompette & Boissin, 2000). C’est notamment la raison pour laquelle, aujourd’hui, la présentation du défunt en chambre funéraire – généralement rendue possible grâce aux soins de conservation – prend une place si importante dans les pratiques funéraires. Nous avons voulu en savoir plus sur ce qu’en savent et pensent les professionnels du secteur.

Nous remercions nos 200 lecteurs qui ont pris le temps de répondre au sondage. Ces retours sont précieux et nous permettent de mieux comprendre ce sujet plein de convictions fortes.

1. Êtes-vous à l’aise avec le sujet de la présentation du défunt lors des échanges avec la famille ?

1. Êtes vous à laise avec le sujet de la présentation du défunt lors des échanges avec la famille 2

En matière de présentation des défunts, notre étude révèle que 89 % des personnes sondées se sentent à l’aise pour aborder ce sujet délicat avec les familles endeuillées. Seul un petit 9 % trouve cela peu évident. Le fait que cela soit un tabou ne concerne que 2 % des répondants.

2. Pour vous, quels sont les avantages d’un soin de conservation ?

2. Pour vous quels sont les avantages dun soin de conservation

Dans notre sondage, 62 % des répondants estiment que ces soins permettent de laisser une bonne dernière image du défunt, soulignant l’importance accordée à l’aspect visuel lors des derniers adieux. Par ailleurs, 26 % des personnes interrogées reconnaissent que ces soins réduisent le choc émotionnel pour la famille, ce qui met en évidence la dimension de soutien psychologique inhérente à cette pratique. D’autres aspects, comme ne pas prendre de risque sanitaire (7 %) et faciliter la gestion du corps (3 %), sont également considérés comme des avantages, bien que dans une moindre mesure. Enfin, l’intérêt économique semble être le moins influent, avec seulement 2 % des voix. Au moins, c’est clair : les soins sont avant tout là pour aider la famille dans sa relation avec le défunt et pour la mémoire du défunt.

Si, jusque dans les années 1950, il était coutumier de veiller les défunts au cœur des maisons, sans apparat, c’est aujourd’hui la présentation en chambre funéraire qui est devenue majoritaire, tandis que près d’un défunt sur deux reçoit des soins de conservation. Cette pratique, relativement récente dans l’histoire des faits funéraires, n’est pas sans lien avec l’évolution contemporaine de notre rapport à la mort (et aux morts) en France. C’est aussi le résultat d’une réelle professionnalisation des services funéraires, corrélée à une intolérance nouvelle à la matérialité de la mort.

Pour G. Clavandier (2009), la thanatopraxie constitue un confort à la fois organisationnel (retrouvé à seulement à 3 % dans notre sondage) et émotionnel (exprimé ici à près de 90 %). Les soins de conservation permettent de limiter les stigmates visibles de la mort, et ainsi de simplifier la relation entre le défunt et sa famille. Néanmoins, le taux de soins de conservation reste inférieur à 10 % dans certaines coopératives funéraires en France, et demeure encore plus marginal dans certains pays limitrophes, par exemple la Suisse.
La thanatopraxie est donc une pratique culturellement et historiquement située. Force est de constater que les questions réglementaires et environnementales actuelles interrogent notamment les produits utilisés aujourd’hui par les thanatopracteurs. Peut-être serons-nous spectateurs – et acteurs – de nouveaux soins sur nos défunts ?

3. Selon vous, un soin doit-il être systématiquement proposé (en cas de présentation en salon) ?

3. Selon vous un soin doit il être systématiquement proposé en cas de présentation en salon

Pour 49 % des personnes interrogées, un soin devrait être systématiquement proposé lors d’une présentation en salon. Par ailleurs, 41 % estiment que la proposition de soin doit être évaluée au cas par cas, soulignant l’importance de personnaliser l’approche en fonction des besoins spécifiques du client. Enfin, 9 % des répondants ne sont pas en faveur de l’offre systématique d’un soin dans ces circonstances.

4. Quels sont les retours les plus fréquents après un soin ?

4. Quels sont les retours les plus fréquents après un soin

L’étude montre que, pour 35 % des répondants, les familles ont l’impression que leur défunt semble dormir juste après le soin. Un taux encore plus élevé, 58 %, indique que, pour les familles, le défunt "a l’air plus apaisé". Pour une minorité, 8 %, les familles expriment que "ce n’est pas lui". Ce constat démontre l’impact positif de nos soins.

On pourrait se demander si les soins de conservation ne seraient pas finalement un moyen d’escamoter la mort, dans notre société où le rapport à la mort est aujourd’hui si complexe. Pour Berthod, ils consistent plutôt "à créer les conditions nécessaires à la présentation du cadavre dans un espace public où la mort est visible sans ambiguïté, attestée en permanence par tout l’attirail funéraire, l’immobilité du corps et la gravité de la situation" (Bethod, 2006).

Tout le travail du thanatopracteur réside in fine dans le parfait équilibre entre l’effacement des stigmates de la mort, afin de faciliter la "rencontre" entre le défunt et ses proches le temps du recueillement, et le respect de l’identité du défunt, notamment celle de ses derniers jours ou mois, pour que ses proches puissent le reconnaître. Un objectif parfois difficile à atteindre, mais dont les enjeux sont souvent cruciaux pour les proches.

Le professionnalisme de la pratique s’exprime alors par la sérénité donnée au mort (et aux vivants ?), par l’apaisement qu’il dégage, voire par l’impression qu’il est seulement en train de dormir.

5. De quelle façon les familles investissent-elles les salons funéraires ?

5. De quelle façon les familles investissent elles les salons funéraires

Les familles peuvent investir le salon funéraire lors de leur hommage au défunt.

Plus de la moitié des familles (51 %) choisissent d’agrémenter les salons funéraires avec des photographies du défunt et/ou de sa famille. Les objets personnels sont également utilisés par 25 % des familles pour personnaliser cet espace de recueillement. Cependant, 20 % des familles ne personnalisent pas les salons funéraires à ce moment-là.

L’expulsion de la mort dans notre société s’est notamment exprimée par la médicalisation de la fin de vie et de la mort, avec aujourd’hui près de 70 % des défunts qui décèdent en dehors de leur maison. Les veillées funéraires se raréfient et ne se font plus au cœur des foyers. Dans ces conditions, les proches trouvent du sens à vouloir recréer l’environnement du défunt dans le salon funéraire où il repose avant sa mise en sépulture, le temps pour eux de se recueillir dans un lieu le plus chaleureux possible et faisant écho à la personnalité du défunt. C’est aussi un moyen de ne pas avoir à "supporter" la présence de leur défunt dans leur quotidien, tout en recréant un environnement familier.

6. Les familles sont-elles surprises par la chambre funéraire ?

6. Les familles sont elles surprises par la chambre funéraire

L’accueil d’une chambre funéraire réserve souvent des surprises aux familles endeuillées. Une part significative des répondants, 44 %, souligne l’importance pour les familles d’un environnement agréable pour voir le défunt, tandis que, pour 46 %, les personnes ne sont pas surprises, souvent grâce à une familiarité préalable. Seules 10 % des familles sont étonnées car elles ne savent pas à quoi s’attendre. On peut en déduire que la chambre funéraire est entrée dans les mœurs : les familles s’y habituent. La présentation du défunt à domicile a largement été remplacée par une présentation en chambre funéraire.

7. Selon vous, les familles sont-elles capables de distinguer la chambre funéraire et la chambre mortuaire de l’hôpital ?

7. Selon vous les familles sont elles capables de distinguer la chambre funéraire et la chambre mortuaire de lhôpital

La majorité des familles (64 %) confond chambre funéraire et chambre mortuaire d’hôpital, accentuant le rôle crucial du conseiller funéraire dans la démystification de ces espaces. Seulement 13 % des familles expriment une préférence marquée pour les funérariums en raison de la mauvaise réputation des chambres mortuaires. Le budget demeure un facteur déterminant pour 23 % des décisions prises par les familles endeuillées.

Les familles méconnaissent le secteur funéraire : c’est une vraie problématique à laquelle tous les professionnels sont confrontés. Lors d’un décès, les familles éprouvent des difficultés pour se renseigner, compte tenu de la dureté de l’épreuve qu’elles traversent, de la temporalité serrée liée à l’organisation des funérailles, ou encore de l’accès et la compréhension des informations. La médicalisation de la fin de vie depuis les années 1970, corrélée à la professionnalisation majeure des services funéraires, a démultiplié les scénarios, et il n’est pas simple de s’y retrouver.

L’un des enjeux actuels serait de développer la pédagogie autour des obsèques, par la généralisation des "cafés mortels", conférences grand public ou ateliers autour des funérailles, mais aussi et surtout par la (re)socialisation entre vivants et morts, passant notamment par un rôle plus central, régulier et diversifié des pompes funèbres. Pour le bien du défunt et surtout de sa famille, il est important que celle-ci puisse faire des choix éclairés, tant sur les aspects réglementaires que financiers.

8. Les familles posent-elles des questions sur les soins ?

8. Les familles posent elles des questions sur les soins

Globalement, les familles s’intéressent aux soins funéraires. En effet, 25 % posent des questions plutôt d’ordre général. Seulement 4 % ont des questions très précises, tandis que 6 % ne questionnent pas, pensant à tort que les soins sont obligatoires. Mais, pour la grande majorité, soit 65 %, les interrogations varient au cas par cas, la priorité étant que le défunt soit présenté sous son meilleur jour.

9. Selon vous, quels éléments peuvent porter atteinte à la dignité du défunt ?

9. Selon vous quels éléments peuvent porter atteinte à la dignité du défunt

La dignité du défunt est au cœur des préoccupations lors des rites funéraires. Notre sondage révèle que, pour 51 % des personnes interrogées, c’est l’absence de toilette funéraire qui porte le plus atteinte à la dignité du défunt, suivie par l’absence de capitons, à 20 %, et de cercueil, à 18 %. Ces données soulignent l’importance accordée aux traditions et au respect des étapes de la dernière veillée.

La toilette funéraire est une pratique quasiment ancestrale, pratiquée dans de très nombreuses sociétés et depuis très longtemps. Ce rituel, qui peut être religieux ou non, "marque le fait que la personne n’est plus vivante tout en continuant à être rattachée à la communauté des vivants, et qu’elle s’apprête à devenir cadavre" (Hardy, 2007). Il s’agit de redonner au défunt à la fois son identité et son appartenance à l’humanité, avant son dernier voyage.

Par la toilette funéraire, le défunt fait l’objet d’une sollicitude universelle, pendant laquelle on l’entoure de soins, avant qu’il ne quitte définitivement le monde des vivants. Bien que la toilette soit moins pratiquée qu’autrefois, où elle était principalement réalisée par les proches du défunt, on constate que ce rituel, qu’il soit réalisé par des professionnels ou par les proches, joue encore un rôle central dans le rite funéraire, notamment dans l’appréhension rattachée à la dignité du défunt.

10. Pensez-vous que la famille devrait voir le thanatopracteur avant les soins ?

10. Pensez vous que la famille devrait voir le thanatopracteur avant les soins

Le regard des familles sur l’intervention du thanatopracteur avant les soins est varié : 26 % des personnes sondées ne trouvent pas cette rencontre nécessaire, tandis qu’une majorité de 51 % considère que cela pourrait être utile dans certains cas. Seulement 17 % pensent que c’est une bonne idée, mais difficile à réaliser, et pour 6 % des répondants, c’est une pratique déjà mise en œuvre.

11. À quel moment la famille exprime-t-elle le plus l’envie de voir le défunt ?

11. À quel moment la famille exprime t elle le plus lenvie de voir le défunt

La question traite d’un moment poignant du processus de deuil : 55 % des familles ressentent le plus le désir de voir le défunt juste après son décès. La veillée ou l’exposition en salon recueillent également une part significative, avec 20 % des familles exprimant ce souhait à ce moment-là. L’envie de la famille de voir rapidement le défunt est intéressante à analyser, car cette temporalité doit être intégrée par les pompes funèbres dans la gestion des obsèques. Cette "urgence" s’explique-t-elle par le besoin des familles de prendre conscience de cette réalité ?

En anthropologie, les rites funéraires font partie intégrante des rites de passage (approche développée par L.-V. Thomas). Scindés en trois grandes étapes, ceux-ci sont constitués de temps pré-liminaires, liminaires et post-liminaires. C’est durant cette première phase qu’ont lieu les rituels de séparation, auxquels sont rattachées par exemple la levée de corps, la mise en bière ou encore la mise en sépulture.

Si plus d’un répondant sur quatre a répondu que la famille exprime l’envie de voir le défunt juste avant la mise en bière ou la cérémonie, la majorité des familles le demandent juste après le décès. En effet, c’est notamment par la vue du corps, qui rend la mort matérielle et palpable, que le rite funéraire peut débuter. Cet élément est important à prendre en compte, également pour le personnel hospitalier : on sait à quel point il a pu être difficile à vivre durant la période de la Covid, par exemple.

Conclusion

Ce sondage et l’analyse des réponses apportées nous ont permis de prendre conscience de l’importance de la présentation du défunt en salon funéraire, ainsi que des impacts positifs des soins de conservation sur les familles. Ces deux pratiques, relativement récentes dans notre société dont elles révèlent l’évolution du rapport à la mort, constituent aujourd’hui une part importante du rite funéraire.

En effet, les chambres funéraires entrent de plus en plus dans les habitudes des Français, et elles sont davantage investies par les familles lors des hommages au défunt : les professionnels du funéraire pourraient développer davantage ce service afin de proposer une personnalisation encore plus importante. Quant aux soins de conservation, ils ont visiblement une importance cruciale, puisqu’ils permettent aux familles non seulement de garder une bonne dernière image de leur défunt, mais également d’être confrontées à la mort le plus sereinement possible, alors même qu’elles traversent un moment très chargé émotionnellement et bien moins accompagné qu’autrefois.

Les professionnels du secteur funéraire ont donc ici un rôle clé à jouer, dont ils prennent conscience au fil de l’évolution des pratiques et des relations avec les familles. Chambres funéraires et soins de conservation sont deux aspects concrets de leurs métiers par lesquels ils peuvent toujours mieux accompagner les familles endeuillées. Restons attentifs aux évolutions à venir : quels services supplémentaires, liés à la présentation du défunt en chambre funéraire, les funérariums pourraient-ils proposer pour toujours mieux accompagner les familles ? L’apparition de nouveaux produits de conservation développera-t-elle de nouvelles pratiques ? Affaire à suivre…
 
Manon Moncoq
Anthropologue du funéraire
Charles Simpson
Fondateur de Meilleures Pompes Funèbres
 
Bibliographie
Berthod, M. (2006). De si beaux cadavres : réflexions sur les soins de conservation des morts. L’Autre, 7, 427-440.
Clavandier, G. (2009). Sociologie de la mort. Vivre et mourir dans la société contemporaine. Armand Colin.
Trompette, P., & Boissin, O. (2000). Entre les vivants et les morts : Les pompes funèbres aux portes du marché. Sociologie du travail, 42(3), 457‑482.

Résonance n° 201 - Mars 2024

Instances fédérales nationales et internationales :

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