Quelle est l’offre de crématoriums en France ? Comment évolue-t-elle ? Comment analyser cette offre en lien avec les décès aux niveaux national et départemental ? Au vu du nombre de crémations, comment évolue le taux de crémation nationalement et localement ? Peut-on voir des corrélations entre le taux de crémation et d’autres éléments, comme la densité ou le niveau de vie ? Enfin, peut-on prédire le futur taux de crémation en France ? Autant de questions pour lesquelles nous vous proposons des réponses précises, à partir de données de la Fédération Française de Crémation (FFC) ainsi que des données INSEE.
Commençons par un rapide historique. En France, la crémation s’est vraiment développée à la fin des années 1980. Cela a été rendu possible grâce à l’appui des pouvoirs publics, aux militants crématistes, à l’ouverture de crématoriums appropriés, à la levée de l’interdiction religieuse par le Vatican et à une acceptation croissante de la crémation dans la société (dont les raisons sociologiques sont multiples). Aujourd’hui, il existe une réelle offre de crématoriums, et près de 42 % des Français choisissent la crémation pour la disparition de leur corps.
I. Offre des crématoriums en France
A. Évolution du nombre de crématoriums en France
On dénombre 221 crématoriums en France, dont 216 en métropole, 4 dans les 3 départements d’outre-mer (Guadeloupe, La Réunion, Martinique) et 1 dans une collectivité d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie). Il n’y a pas de crématorium en Guyane (département d’outre-mer). Nous n’avons pas intégré la Nouvelle-Calédonie dans notre analyse car, si nous disposons des données sur les crémations, nous n’avons pas les données des décès de l’INSEE.
Observer l’évolution du nombre de crématoriums en France permet plusieurs constats. Tout d’abord, c’est réellement à partir de 1988 qu’on assiste à une forte augmentation du nombre de crématoriums, avec près de 10 créations. Le record revient à l’année 2000, avec plus de 12 nouveaux sites créés. Le nombre de créations est assez variable d’une année sur l’autre : il faut savoir qu’il n’y a pas de plan national dans l’organisation des crématoriums, car toutes les créations sont décidées au niveau des collectivités locales. À ma connaissance, il y a eu une fermeture de crématorium, mais dans la plupart des cas, lorsqu’une Délégation de Service Public (DSP) touche à sa fin, un nouveau contrat est mis en place, accompagné d’un engagement de travaux de modernisation ou destruction assorti d’une nouvelle construction et/ou une augmentation significative de la redevance.
Les communes profitent de la nouvelle mise en concurrence pour améliorer le service. Mais la source de revenus est trop tentante et trop peu visible de la population pour que la majorité des communes ne privilégient pas des rentrées intéressantes.
Même si les modalités juridiques restent assez variables, il faut retenir que les contrats couvrent souvent des durées de 20 ans et plus. Les investissements sont à la charge du gestionnaire du crématorium, qui s’engage à reverser une redevance à la collectivité. Pour certaines collectivités, cela peut générer une source de revenu importante.
B . Évolution par décennie de la création de crématoriums
Une autre perspective, par décennie, nous permet une meilleure lecture de l’évolution de l’offre. On observe ainsi une forte progression dans les années 2000.
On constate un ralentissement sur la décennie 2010. Quant à la décennie actuelle, elle devrait donner lieu à une nouvelle augmentation, ce que nous verrons par la suite.
C. Offre et demande, analyse du taux de crémation : le choix des familles de recourir à une crémation
Il nous semble également important d’analyser l’offre de crématoriums en fonction de l’évolution des décès. Il faut savoir que l’évolution des décès est restée relativement stable sur la période 2010-2019 (~+3 % par an), puis a connu une forte augmentation dans les années 2020-2022, en partie liée à la Covid.
En rapportant le nombre de crématoriums au nombre de décès en France, on observe logiquement une baisse continue du nombre de décès par crématorium. En 2010, on dénombre 3 770 décès par crématorium, mais ce chiffre est passé à 3 133 en 2022, soit une baisse de 17 %. Il faut dire qu’en parallèle, l’offre de crématoriums a augmenté de 47 % sur la même période.
Il faut rester prudent sur les chiffres de 2023, mais nous estimons qu’il y a eu 620 913 décès : les décès de décembre 2023 n’étant pas encore publiés, nous avons appliqué une règle de 3. Cela signifierait une importante baisse du nombre de décès, de l’ordre de -7 à -8 %, donc une très forte baisse du ratio.
À partir de ce graphique, on peut considérer que l’offre de crématoriums, malgré une importante augmentation, est en retard si on l’on considère uniquement le ratio du nombre de décès par crématorium. Il faudra aussi vérifier si l’année 2023 est finalement une année à faible niveau de décès, ou voit un retour à un niveau plus normatif après 3 années marquées par un important excès de décès.
D. Quelle tendance sur la prochaine décennie ?
À partir de l’historique, nous avons cherché à anticiper l’évolution du parc sur la base des données 2020-2023 (soit près de 40 % de la décennie écoulée !).
Nous savons qu’actuellement, il y a près d’une trentaine de crématoriums en projets. Mais attention, tous les projets n’aboutissent pas. Une estimation pour 2020 réalisée sur la base d’une simple règle de 3 donne un record de créations, avec plus de 6 nouveaux crématoriums en moyenne par an.
E. Offre de crématoriums en France par département
La répartition du nombre de crématoriums est très variable d’un département à l’autre. Évidemment, ce nombre dépend en partie du nombre de décès dans le département. Ceux qui comptent les populations les plus importantes, comme le Nord, les Bouches-du-Rhône et le Pas-de-Calais, bénéficient d’un important parc de crématoriums. Notons aussi la position spécifique de Paris, qui ne compte qu’un seul crématorium : celui du Père-Lachaise, néanmoins une infrastructure importante. Un autre projet de crématorium parisien est en cours, mais la date d’ouverture n’est pas encore connue.
Ainsi, si on met en relation le nombre de crématoriums avec le nombre de décès en 2022, on observe que quelques départements sont en sous-équipement : c’est le cas de Paris, du Bas-Rhin, des Yvelines ou du Calvados. Par ailleurs, 6 départements n’ont toujours pas de crématoriums, comme la Haute-Loire, la Guyane ou le Lot. Le nombre de crématoriums n’est pas le seul indicateur : il faut aussi prendre en compte l’importance de l’établissement. En effet, un crématorium peut avoir des équipements techniques de tailles différentes, avec un nombre d’appareils de crémation variable. Ainsi, certains départements comptent davantage de crématoriums, mais avec des capacités plus réduites, et inversement.
II. Analyse du volume de crémation
A. Évolution nationale
La hausse du taux de crémation est relativement linéaire, avec le passage en une décennie d’un taux de 30 % à un taux de plus de 42 % (2022). Ces données proviennent de l’INSEE (en intégrant les départements d’outre-mer) pour les décès, et de la FFC pour le nombre de crémations par crématorium (données collectées annuellement).
On observe une croissance continue, même en 2020, 2021 et 2022, période au cours de laquelle le pays a connu une forte augmentation du nombre de décès (environ + 50 000 par an). Les données 2023 pour le nombre de crémations ne sont pas encore disponibles.
B. Analyse du taux de crémation en 2022 par département
Une analyse statistique utilisant un histogramme de fréquences nous permet de visualiser graphiquement les données par département. Pour chaque intervalle de taux (par exemple, entre 20 et 25 %), nous calculons leur fréquence. Ainsi, le taux de crémation de 40 % apparaît 19 fois dans la base de données (tout comme celui de 45 %), tandis que le taux de 0 % est présent 6 fois. Cette visualisation nous permet de mieux comprendre la répartition des taux dans les différents départements.
Seul un département se distingue : la Haute-Saône. En effet, le crématorium d’Héricourt affiche un taux supérieur à 100 %. Selon toute vraisemblance, il attire des familles des départements limitrophes, ainsi que des clients provenant de Suisse et d’Allemagne.
On constate une cloche relativement resserrée : la plupart des départements ont des taux de crémation entre 25 % et 55 %. Notons également que 6 départements présentent un taux nul.
Lorsqu’un crématorium est présent dans un département, le taux de crémation augmente généralement d'environ 25 %, avec peu d’occurrences inférieures à 5 %. Autrement dit, dès qu’il existe un crématorium, la demande pour la crémation se manifeste rapidement. Mais les départements de la Somme et des Yvelines montrent un faible taux de crémation, alors que dans ces deux départements, les crématoriums existent depuis longtemps. Il est possible que des comportements plus traditionnels favorisant l’inhumation, ou des limitations géographiques, conduisent les familles à accéder à des crématoriums situés dans des départements voisins.
La cloche que nous observons sur le graphique révèle une moyenne nationale : environ 40 % de taux de crémation. Pour plus de précision, ce graphique présente la moyenne des taux de crémation par département, alors que le taux de crémation national est de 42 %. Cet écart s’explique par le fait que les départements sont représentés à égalité dans ce graphique, sans tenir compte du nombre de décès. Ainsi, ceux qui connaissent un faible taux de crémation sont surreprésentés, et, par exemple, le département du Cantal (avec 2 209 décès et un taux de crémation de 19,6 %) est représenté comme le département du Nord (avec 25 233 décès et un taux de crémation de 46 %).
Le taux de crémation varie considérablement d’un département à l’autre. La carte suivante nous aide à repérer les régions géographiques ayant les taux les plus élevés. De manière générale, on remarque que le centre de la France a un taux relativement faible.
Pour une analyse plus fine, nous avons divisé les départements en 4 catégories :
• les départements avec un pourcentage de 0 à 30 % sont classés dans la catégorie 0,
• ceux avec un pourcentage de 30 % à 39 % sont classés dans la catégorie 1,
• ceux avec un pourcentage de 40 % à 48 % sont classés dans la catégorie 2,
• et ceux avec un pourcentage supérieur à 49 % sont classés dans la catégorie 3.
Cette classification se fonde sur la méthode des quartiles.
Cette méthode amplifie les différences. En effet, on observe que la moitié de la France présente des taux de crémation plus élevés, dans la partie centrale, tandis que dans la partie ouest du pays, seuls la Bretagne et les départements côtiers de l’Aquitaine ont des taux plus élevés. Notons également que, dans toutes les zones, certains départements se démarquent par des taux nettement plus faibles.
Cette méthodologie nous permet de mieux comprendre les disparités régionales en matière de crémation en France.
III. Analyse du taux de corrélation avec d’autres variables
Il est important d’analyser le taux de crémation par département en tenant compte d’autres variables. J’en ai identifié 7 qui me semblent clés :
• Densité de population (nombre d’habitants par kilomètre carré).
• Niveau de vie médian par département en euros (données de l’INSEE pour l’année 2019).
• Pourcentage de natifs (personnes nées et décédées dans le même département, données de l’INSEE).
• Variation de la population entre 2013 et 2018 (données de l’INSEE) : cela permettra de voir si les départements en forte croissance démographique sont mieux équipés.
• Pourcentage de la population ayant plus de 65 ans (données de l’INSEE) : cela permettra de voir si les départements avec une proportion plus élevée de personnes âgées sont mieux équipés.
• Pourcentage de décès à l’hôpital (données de l’INSEE).
• Âge moyen des personnes décédées (données de l’INSEE).
• Population totale (données de l’INSEE).
En analysant ces variables, l’objectif est double : mieux comprendre la situation, et prendre des décisions éclairées pour améliorer les équipements et les services funéraires dans les départements. Lorsque les deux variables ont tendance à augmenter et à diminuer ensemble, la corrélation est positive. Mais si l’une augmente tandis que l’autre diminue, la corrélation est négative. Si la corrélation se rapproche de zéro, cela signifie qu’il y a peu de lien entre les variables. Et malheureusement, nous ne pouvons pas trouver de lien significatif entre le taux de crémation et les variables que nous avons étudiées. En effet, les valeurs de corrélation varient entre -1 et +1.
Coefficient de corrélation (Pearson) par variable :
- Densité : - 0,03
- Niveau de vie : 0,2
- Pourcentage de natifs : - 0,05
- Variation de population 2013-2018 : - 0,2
- Pourcentage de la population ayant plus de 65 ans : 0,01
- Pourcentage des décès en hôpital : 0,16
- Âge moyen des défunts : - 0,02
- Population : 0,2.
La corrélation la plus forte est liée au niveau de vie. Plus il est élevé, plus le taux de crémation est élevé. Cependant, il est important de noter que le taux de corrélation est seulement de 0,2 : cela reste relativement faible. En revanche, plus la population augmente, plus le taux de crémation diminue, avec un taux de corrélation de 0,2. Voici un graphique pour illustrer cette analyse : bien que la droite de régression soit très esthétique, les corrélations sont faibles.
IV. Prospective : quel sera le taux de crémation en 2023 ?
L’objectif ici est de vous permettre de comprendre facilement les projections pour 2023, afin que vous puissiez vous forger votre propre opinion à ce sujet. Nous avons développé deux méthodes : la première se fonde sur les données historiques au niveau national, tandis que la deuxième, un peu plus complexe, s’appuie sur les projections par département.
A. Régression linéaire sur l’évolution historique du taux de crémation
Pour mémoire, voici une définition de la régression linéaire : un modèle de régression linéaire est un modèle de régression qui cherche à établir une relation linéaire entre une variable, dite expliquée, et une ou plusieurs variables, dites explicatives. Ainsi, à partir de la droite que nous avons calculée et tracée (y = 0.01x + 19.19) pour les données historiques, nous pouvons anticiper le taux de crémation pour 2023-2030.
Comme vous pouvez le constater, les différences entre la régression linéaire et les données de 2010 à 2022 sont assez minimes (zone en bleu). Comme nous l’avons expliqué précédemment, la tendance est claire et indéniable. Selon nos projections, 50 % des Français opteront pour la crémation d’ici 2030, soit un Français sur deux. Les régressions linéaires sont rarement aussi concluantes, mais nous avons là un exemple parfait pour nos élèves du collège. Nous savons par ailleurs que la crémation est largement privilégiée dans les volontés agrégées aux contrats obsèques.
B. Régression linéaire par département
Nous vous proposons une autre méthode pour estimer le taux de crémation par département. Cette approche prend en compte la projection de croissance possible dans certains départements. Afin de maintenir une cohérence territoriale, nous avons fixé un taux maximum de crémation de 1. Cet ajustement ne concerne finalement que 2 départements.
Selon cette méthode, le taux de crémation prévu pour 2030 est de 49 %. Toutefois, il est important de noter que cette projection est une moyenne de taux de tous les départements. De nouveau, dans ce graphique, le Cantal, avec 2 209 décès et un taux de crémation de 19,6 %, a autant de poids que le Nord, qui compte 25 233 décès et un taux de crémation de 46 %. D’où un taux de crémation moyen de 40 % en 2022, soit 2 % de moins que le taux calculé globalement. Cette méthode permet d’analyser les taux de crémation département par département.
Le problème avec cette approche initiale est l’absence de projection pour les départements qui n’ont pas de crématoriums. Actuellement, c’est le cas de 6 départements, et il est important de prendre en compte qu’ils pourraient un jour être équipés d’un crématorium.
Pour pouvoir intégrer un taux de crémation pour ces départements, j’ai analysé comment il avait évolué dans les 10 départements qui ont ouvert un premier crématorium plus récemment, entre 2010 et 2023 (Aisne, Cantal, Creuse, Orne, Gers, Haute-Corse, Corse du Sud, Loir-et-Cher, Ardèche et Hautes-Alpes).
Ce graphique montre une augmentation du taux de crémation dès la deuxième année, dépassant ainsi les 20 %. Par la suite, cette croissance ralentit considérablement, atteignant les 40 % au bout de 10 ans. Cela suggère une tendance positive vers l’adoption de la crémation en tant que choix funéraire.
En intégrant un crématorium dans ces départements qui n’en comptent pas aujourd’hui, nous prévoyons d’atteindre un taux de crémation de 49,7 %, un taux très proche de la moyenne nationale. Ces nouveaux départements sont visibles dans le graphique à partir de 2024, représentés par des lignes grises qui débutent chaque année.
Cette modélisation est très importante, car elle confirme une progression nationale et laisse penser que le taux de crémation dépassera 50 % en 2030. Nous avons constaté que les départements avec un taux de crémation plus faible sont surreprésentés dans cette modélisation, mais cela nous permet tout de même une compréhension plus précise de la tendance à venir.
Conclusion
Après des millénaires de tradition d’inhumation, la crémation s’est rapidement intégrée dans le paysage des funérailles françaises. Aujourd’hui, près de 42 % des familles optent pour la crémation. Ce changement a été rendu possible grâce à la mise en place d’une infrastructure bien développée, présente dans presque tous les départements. La décentralisation a prouvé son efficacité dans ce domaine. La France se trouve à un moment clé et tout laisse prévoir que la crémation deviendra majoritaire d’ici 2030.
Sources :
Données sur la densité, part des 65 ans et plus
Données sur la richesse par habitant
Charles Simpson
Fondateur de Meilleures Pompes Funèbres
Résonance n° 199 - Janvier 2024
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