Cet article comporte 2 parties. La première est consacrée à la compréhension des différentes bases de données disponibles, et la deuxième à l’analyse des lieux de décès. Pour votre information et pour votre plaisir, toutes les photos ont été générées par intelligence artificielle (Midjourney ou DALL.E).
1. Décès non domiciliés, "état civil" ou "nominatifs"
Depuis plusieurs années, je travaille sur les bases de données brutes de l’INSEE (source : INSEE https://www.insee.fr/fr/information/4190491). Appelons ce fichier "décès nominatifs". Chaque ligne correspond à un défunt : pour chaque défunt, en plus des nom et prénom, nous avons le sexe, la date et le lieu de naissance, ainsi que la date et le lieu du décès.
Exemple :
Les intitulés se lisent facilement, ce qui n’est pas toujours le cas avec l’INSEE.
La complexité réside dans le "matching" géographique, car nous ne disposons que du code INSEE du défunt, correspondant au lieu du décès indiqué sur l’avis de décès (codifié en référence au code officiel géographique en vigueur au moment de la prise en compte du décès par l’INSEE.)
Avec cette base, nous connaissons le lieu de décès, mais pas le lieu de domicile du défunt. Si Georges Bouchon décède à l’hôpital de Dijon mais qu’il réside à Arnay-le-Duc, le lieu du décès sera évidemment Dijon. Sachant que plus de 50 % des décès ont lieu à l’hôpital, la lecture de ces données est incomplète et biaisée. En l’occurrence, Georges Bouchon devrait être comptabilisé comme un défunt de la ville d’Arnay-le-Duc.
2. Décès domiciliés et décès transcrits
Décès transcrit, transcription…
c’est-à-dire ?
Tous les événements qui ont lieu dans une commune doivent être enregistrés. En outre, certains événements ayant eu lieu ailleurs ou ayant fait l’objet par ailleurs d’actes authentiques (ou de jugements) doivent aussi être transcrits. C’est notamment le cas de la transcription de tout acte de décès d’une personne domiciliée dans la commune ayant eu lieu ailleurs, ou de la transcription d’un jugement d’adoption. De même, tout ce qui est mentionné en marge d’actes dressés dans la commune doit être transcrit : par exemple, la mention en marge des actes de naissance et de mariage des parties prenantes d’un jugement de divorce.
Ainsi, la mairie a l’obligation de transcrire les actes de décès des personnes habitant sa commune. Pour simplifier, nous utiliserons la définition de "décès domicilié".
Il existe un autre fichier qui propose des données différentes et complémentaires. Ce fichier contient des données non nominatives, avec les informations suivantes sur chaque décès ayant eu lieu entre 2018 et 2023 (jusqu’au 13 novembre 2023) : la date de décès, le sexe, la date de naissance et la commune de résidence de la personne décédée, le département et la commune de décès, ainsi que le lieu du décès.
Ce fichier est très intéressant, car, comme je le disais, il est complémentaire. Certes, il n’est pas nominatif, donc on ne peut pas le "matcher" avec le fichier habituel, mais il apporte une information importante sur le lieu du décès. Néanmoins, pour 2023, il est nettement moins complet, notamment sur le lieu du décès.
Pour comprendre les intitulés :
COD_VAR | LIB_VAR |
ADEC | Année de décès |
MDEC | Mois de décès |
JDEC | Jour de décès |
DEPDEC | Département de décès |
COMDEC | Commune de décès |
ANAISS | Année de naissance |
MNAISS | Mois de naissance |
JNAISS | Jour de naissance |
SEXE | Sexe |
SEXE | Sexe |
COMDOM | Commune de domicile du décès |
Attardons-nous sur COMDEC (Commune d’enregistrement du décès de la personne décédée) et COMDOM (Commune de domicile de la personne décédée) : nous avons là 2 informations différentes. Sur toute la période analysée (2012-2023), dans 50 % des cas, les lieux sont différents. Voici un récapitulatif de cette évolution (en %) :
Les données sont à analyser, car on observe à partir de 2020 une bascule de plus de 2 points, qui ne bouge plus par la suite. Nous étudierons cela ultérieurement.
3. Y a-t-il des écarts ?
Oui, évidemment, mais ils restent limités. L’explication de ces écarts n’est pas évidente… on va devoir vivre avec pour l’instant :)
4. Exemples sur une ville connue des Messins (habitants de Metz)
En faisant des tests avec des partenaires, j’ai découvert la ville d’Ars-Laquenexy (https://meilleures-pompes-funebres.com/57/ars-laquenexy). Outre que son nom est difficile à prononcer, elle compte 930 habitants (en 2020, selon wikipedia) et a connu en 2022… 1 420 décès. Bien sûr, cette ville n’a pas le record du taux de mortalité le plus important du monde : en réalité, elle comporte un hôpital, où de nombreuses personnes décèdent.
Voici l’évolution du nombre de décès nominatifs (1 500 en moyenne) :
Voici l’évolution du nombre de décès domiciliés (6 en moyenne) :
À partir de cet exemple, vous constaterez que les 2 bases sont très différentes, avec 1 500 décès d’un côté, et 6 de l’autre. Il y aurait beaucoup d’articles à rédiger sur les différences, je vous propose de garder cela pour l’année prochaine… En tous les cas, une question reste : un opérateur funéraire doit-il s’installer sur la commune de l’hôpital, ou privilégier les communes d’habitation ?
5. Évolution des décès en fonction du lieu
La donnée essentielle de cette base est le fait de connaître le lieu de décès pour chaque défunt. De ce fait, nous pouvons mener une analyse assez précise.
Répartition des décès en fonction de leur lieu de décès :
On a tendance à l’oublier, mais plus d’un décès sur 4 a lieu à domicile. C’est important de garder cette notion en tête, car les familles sont nettement plus désemparées lorsque le décès a lieu à domicile. En effet, elles ne savent pas trop comment gérer le corps. Le sentiment d’urgence est nettement plus fort. En revanche, les décès à l’hôpital ou en EHPAD sont gérés en partie par l’établissement, qui est plus habitué à s’occuper d’un décès. Je ne parlerai pas des autres lieux, que ce soit la voie publique ou l’"absence" de lieu (notamment les décès à l’étranger), car ils ne représentent qu’une toute partie des décès.
Évolution du lieu de décès entre 2018 et 2022 (les chiffres de 2023 ne sont pas encore connus).
Comme vous pouvez le constater, l’évolution du lieu de décès a peu changé dans les dernières années. Lors de la Covid, on observe un changement dans le suivi du lieu de décès, avec une baisse du nombre de décès à l’hôpital et une hausse des décès à l’EHPAD.
Mais il faut rester très prudent sur ces données, car on relève un changement radical en 2021, avec une baisse de plus de 4 % des lieux de décès absents du bulletin de décès. En effet, il semble que les services de l’INSEE ont alors effectué un important travail pour réduire le pourcentage des décès dont le lieu n’était pas précisé. Selon moi, on ne peut donc réellement analyser les chiffres que depuis 2021, ce qui laisse peu d’historique… Attendons les chiffres de 2023 pour avoir un peu plus de recul.
A. Pourcentage des décès à l’hôpital
Sur la carte, nous pouvons observer que le pourcentage des décès par département varie fortement d’un département à l’autre. On peut observer que ceux d’Île-de-France et du Nord-Est de la France connaissent des taux plus importants que le reste du pays, avec des variations fortes.
B. Pourcentage des décès à domicile
À l’inverse du nombre de décès à l’hôpital, on observe que les décès à domicile sont proportionnellement plus importants sur toute la zone Ouest, dans le Nord et dans le Sud-Est.
C. Pourcentage des décès en EHPAD
La grande surprise provoquée par cette carte, c’est le faible nombre de décès en EHPAD dans le Nord de la France : le taux de décès y est nettement plus faible. Deux explications sont possibles : soit le nombre d’EHPAD par habitant est vraiment plus faible, soit les EHPAD dans ces départements ont tendance à transférer les personnes en fin de vie.
Corrélation entre l’âge moyen des défunts et le taux de décès à l’hôpital
En analysant les données, je me suis posé la question de savoir quelle était la corrélation entre l’âge moyen des décès par département et le taux de décès à l’hôpital. Intuitivement, on pourrait se dire que, si le pourcentage des décès est plus important à l’hôpital, l’âge moyen des défunts devrait être plus important. Voici ce que cela donne sur un graphique :
La relation existe. Nous obtenons un coefficient de corrélation de -0,4. Ce chiffre négatif indique que, quand le taux augmente sur une des variables, l’impact sera négatif sur l’autre variable. Quant au chiffre 0,4, il indique une corrélation modérée. Autrement dit, on observe une corrélation négativement modérée. Ainsi, à l’inverse de mon intuition, plus le taux de décès à l’hôpital est important, moins l’âge moyen sera important… modérément, évidemment.
La relation existe. Nous obtenons un coefficient de corrélation de -0,4. Ce chiffre négatif indique que, quand le taux augmente sur une des variables, l’impact sera négatif sur l’autre variable. Quant au chiffre 0,4, il indique une corrélation modérée. Autrement dit, on observe une corrélation négativement modérée. Ainsi, à l’inverse de mon intuition, plus le taux de décès à l’hôpital est important, moins l’âge moyen sera important… modérément, évidemment.
Conclusion
Nous y voyons maintenant plus clair sur les différentes bases de données, entre décès domiciliés, transcrits et nominatifs. Ces bases sont complémentaires, et leur combinaison est très intéressante : elles vont me permettre de réaliser de nouvelles analyses, toujours dans l’objectif de mieux comprendre les décès en France.
En France, "plus de 1 décès sur 2 a lieu à l’hôpital. Si on y ajoute les EHPAD, on arrive à près de 2 décès sur 3 qui ont lieu dans une infrastructure de santé". C’est un schéma radicalement différent du début du siècle, où, dans leur écrasante majorité, les décès avaient lieu à domicile. Pour l’instant, on observe une relative stabilité de ces proportions. Il faudra voir si les changements actuels dans l’organisation territoriale de la santé vont modifier ces pourcentages… Je pense notamment à l’hôpital à domicile.
Le détail de la localisation des décès en fonction du type de lieu est très intéressant, car il permet de mieux "comprendre les disparités départementales". En effet, les écarts sont importants : on décède plus à l’hôpital en Île-de-France, dans le Centre et dans l’Est de la France. À l’inverse, on observe davantage de décès à domicile dans l’Ouest et le Sud-Est.
Charles Simpson
Fondateur de Meilleures Pompes Funèbres
Résonance n° 198 - Décembre 2023
Résonance n° 198 - Décembre 2023
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