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La maîtrise de cérémonie a grandement évolué depuis une quarantaine d’années. Internet et l’électronique sono-audio démultiplient les capacités créatives et la spécialité du maître de cérémonie évolue de pair. Probablement que les prochaines années vont consacrer un profil d’aptitudes différentes de ce que nous avons connu dans le passé. Mais les familles et les défunts, dans tout cela, y trouvent-elles leur compte ?...


Nous nous dirigeons vers une évolution technologique qui risque d’enfermer les rites funéraires dans un mode opératoire à bénéfice réduit pour les familles et les défunts. Le tout technologique a déjà été testé ailleurs, au Japon notamment où toutes les exploitations possibles des nouveautés ont été intégrées dans une scénographie des funérailles (hologrammes, lasers, Internet bien sûr etc.). Or dans ce même pays, on assiste désormais au retour des pratiques funéraires ancestrales inspirées notamment du cocktail bouddhiste-shintoïste.

Collectivement, nous autres Occidentaux n’iront jamais aussi loin que les Japonais, ni dans la folie du gadget technologique, ni dans le niveau d’exigences des traditions sacrées. Néanmoins, l’expérience des Japonais occidentalisés peut apporter un enseignement utile à notre réflexion de Français du fait que nous partageons avec eux une spécificité au sein de l’Europe : notre modèle culturel est double, mi-méditerranéen, mi-germanique tout comme il l’est aussi au Japon en balançant entre modernité occidentale et tradition asiatique. Notre culture funéraire en France a traduit sa différence dès les années 60 en étant en avance sur ses pays voisins pour ce qui concerne les créations de chambres funéraires et une pratique particulière de la thanatopraxie (mi-anglaise, mi-américaine).

Ce passé nous positionne de manière originale pour assimiler à notre façon les technologies nouvelles et les commodités d’Internet dans la conduite des funérailles.

Encore faut-il ne pas lâcher la proie pour l’ombre en abandonnant au passage le discernement psychologique indispensable en de telles circonstances.

La pression concurrentielle des moyens matériels

Indéniablement, les possibilités offertes par les chambres funéraires, complexes multifonctionnels ou crématoriums ont modifié le panier de produits et services proposés aux familles. Du fait de la concurrence entre opérateurs funéraires, véhicules, bâtiments et services sont entrés dans la spirale de l’innovation et de la qualité, autant de facteurs censés garantir une différence positive pour l’entreprise sur son marché.

Les parts concurrentielles se sont principalement conquises ces dernières décennies par la capacité d’investir dans des équipements et structures canalisant un flux sécurisé de clientèle à la recherche du pratique, du simple et non pas de l’agréable (faut pas exagérer…) mais du moins désagréable possible dans de telles circonstances.

Néanmoins, les études et sondages de ces dernières années font ressentir parmi les plus fortes attentes des familles un besoin d’être bien accueillies et conseillées, d’être bien prises en charge etc., somme toute un besoin qui tient essentiellement à la qualité de la relation humaine.

Une telle réalité des attentes familiales doit être mise en comparaison avec les priorités d’investissements réalisés dans la filière funéraire. Ces priorités sont essentiellement matérielles. On parle ici de murs, de véhicules, de sonorisation, de vidéo etc. Tout un chacun cherche à être "au top", tant chez les privés que dans le public.

On constate dès lors que le principal des efforts fournis par les professionnels tourne le dos aux priorités recherchées par les familles quand (ou si) l’investissement des entreprises ne met pas suffisamment l’accent sur la qualité de la relation humaine et donc sur la qualification des personnels en principal contact avec les endeuillés (conseiller funéraire et maître de cérémonie).

La qualité donc, celle que recherchent les familles et la seule qui puisse pérenniser à long terme la prospérité d’un opérateur funéraire, repose sur un savant dosage d’investissement entre le matériel et l’humain (salaires mais aussi stabilité de l’emploi).

Du côté des familles, les critères de choix de l’opérateur funéraire à la suite d’un décès s’appuient rarement sur la certitude d’une bonne réponse à leurs besoins psychologiques pourtant ressentis comme essentiels en ce type de circonstances. Tout du moins c’est plutôt le cas en secteur urbain car en milieu rural ou semi-rural, la réputation de l’opérateur funéraire et les liens sociaux tissés sont suffisamment existants pour qu’il n’y ait pas de "surprise", dans un sens comme dans l’autre. Ce qui explique qu’un rachat d’entreprise en milieu rural fasse appel à une stratégie commerciale sur mesure, au cas par cas et non selon un schéma directeur de réseau.

Constat et pronostic : l’investissement en "dur", matériel, permet au professionnel funéraire de consolider ses activités dans un périmètre géographique en rapport. Mais cette logique est susceptible de basculer petit à petit, mais assez rapidement, au profit d’une sélection par les familles faisant appel à d’autres critères que l’emplacement physique de l’entreprise.

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Internet et l’expertise de conduite des cérémonies

En dehors du critère du prix, nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’au fond, ce que recherchent prioritairement les familles relève essentiellement du registre psychologique. Il n’y a pas qu’une question de dignité accordée au défunt à qui s’adresse le dernier hommage. Il y a aussi et peut-être tout d’abord aujourd’hui un besoin pressant des endeuillés de trouver tout au long des funérailles matière à calmer l’angoisse, la peur et le désarroi.

La réponse à ce besoin doit désormais trouver une première concrétisation dans le contenu du site Internet de l’entreprise au même titre que ce qui prévaut dans les conditions de l’accueil classique en agence. La présence physique de l’opérateur doit donc être doublée par une présence "efficace et sensible" sur la toile. Nous en sommes loin pour beaucoup qui conçoivent encore leur site comme une simple vitrine alors que le raisonnement de base sur Internet devrait toujours reposer sur la volonté de réponse évidente et ajustée au questionnement de l’internaute endeuillé ou en passe de l’être.

Le second moyen de rejoindre les familles dans l’évolution de leur demande sera de plus en plus une réponse adaptée aux besoins particuliers et uniques de chaque famille en matière de conduite du dernier hommage. La baisse du recours aux services d’un culte traditionnel est un phénomène qui augmente d’année en année.

Du fait de causes convergentes, affaiblissement des réponses paroissiales, divorce avec la foi et les pratiques religieuses, recours à des alternatives d’endroits (crématoriums) et de contenus (cérémonies civiles), les professionnels funéraires sont de plus en plus sollicités pour conduire eux-mêmes les rites du dernier hommage en lieu et place des intervenants traditionnels.

Constat et pronostic : depuis une vingtaine d’années, les professionnels ont évolué dans leurs savoirs en matière de conduite des cérémonies. Une gestion qualitative des sites Internet combinée à un investissement dans la qualité d’organisation des cérémonies va infléchir les paramètres de choix de l’opérateur par les familles, même et peut-être surtout en milieu urbain…


L’écueil à éviter

La mutation en cours va nécessiter un accompagnement global des mentalités actuellement en pleine évolution. La conduite des cérémonies s’est effectuée ces deux dernières décennies avec un état d’esprit dominé par le matériel et une logique d’intendance. Posséder les conditions d’organisation comme le local, les moyens audio-vidéo, l’organisation en amont des textes et musiques, choisis ou non avec l’assentiment des familles, tout ceci ne sort pas toujours des bonnes vieilles habitudes d’intendance gérées par l’opérateur funéraire.

Mais avec les changements en cours favorisant la crémation et les cérémonies civiles, les familles sauront reconnaître à terme celui ou celle qui sait apporter plus qu’une simple mise en œuvre de technicité, fut-elle support d’éléments classiques de rites tels que les textes et les musiques. En sortant de son ancien rôle d’auxiliaire des cultes (facilitateur de sacré), le maître de cérémonie est désormais pris au défi de savoir créer du sacré (c’est lui qui remplace de plus en plus l’officiant cultuel dans son rôle traditionnel).

L’exercice est pour le moins délicat, c’est logique. Mais croire qu’une telle évolution de compétence va se résoudre avec de simples dotations matérielles relève d’une erreur fondamentale qui sera préjudiciable à ceux qui s’y réfèreront.

Constat et pronostic : en bon organisateur- intendant, l’opérateur funéraire officie en alignant ses moyens matériels comme il le peut dans la limite de ses connaissances en matière de rites. Internet permettra de plus en plus d’élaborer par avance le contenu des cérémonies, en concertation avec les familles. Mais la réalité des cérémonies, de leur préparation à leur exécution, échappe le plus souvent à une logique de planification. L’ensemble des équipements audio-vidéo permettra de mettre en œuvre le tout mais quid du vécu des familles si la prestation ne colle pas aux besoins réels en présence ? Quid également de la densité sacrée de l’hommage si le personnel funéraire n’a ni la qualité ni la sensibilité à hauteur des circonstances ?


En réalité (il faut y réfléchir), les larmes du moment peuvent ne rien imprimer de durable, rien de consistant dans la mémoire des familles pendant les semaines et les mois qui suivront. À peine quelques souvenirs furtifs passé quelques jours après les funérailles. Une cérémonie digne de ce nom n’a de force dans le temps que si, au-delà du souvenir et des témoignages, les participants s’engagent in situ dans un partage et des résolutions.

Si le maître de cérémonie réussit à mener l’hommage jusqu’au bout pour qu’il soit complet et parfaitement adapté aux circonstances, le souvenir de ses prestations s’associera à la continuité positive obtenue grâce au contenu du dernier hommage. Mais si le maître de cérémonie n’y parvient pas, en ne dépassant pas le stade de la mise en œuvre des textes et musiques choisis par la famille, à fortiori lorsqu’il répète des formules toutes faites en s’adressant à l’assistance, soyez certains que son souvenir s’estompera rapidement dans la mémoire familiale.

Il faut, et c’est là toute la difficulté, être capable d’organiser des rites qui s’adressent autant au défunt qu’à ses proches ou l’assistance pour que le contenu du dernier hommage imprime durablement et favorablement les esprits.

C’est à ce prix (qui est très élevé en termes de dimension personnelle), que les professionnels rejoindront l’évolution des attentes familiales car il n’y a pas de réconfort des vivants sans assurer un repos bien mérité à celui ou celle qui vient de mourir. Le principal est ailleurs car pour administrer du sacré, on ne peut réduire une cérémonie funéraire à un simple discours entre vivants.

Pour ne pas tenir le défunt à l’écart de ce qui s’y passe, le maître de cérémonie ne peut faire l’économie d’administrer implicitement ou explicitement quelque chose qui relève d’un positionnement vis à vis du sacré et donc de l’invisible. Dès lors, cet aspect de la cérémonie doit correspondre à la sensibilité de chaque famille tout en ayant le mérite, le plus souvent possible, d’ouvrir encore plus le champ de réflexion de chacun, notamment en tirant les enseignements du parcours de vie du défunt. Ceci est un art, une façon d’être et de se perfectionner dans le travail qui fera peut-être l’objet d’articles ultérieurs dans cette revue…
 
Olivier Géhin
Professionnel funéraire

Résonance n° 190 - Avril 2023

Instances fédérales nationales et internationales :

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