Dans un article publié dans Résonance n° 99 d’avril 2014 consacré au transport de marchandises par les compagnies aériennes, j’évoquais l’hypothèse de la perte d’un cercueil à l’occasion d’une opération de rapatriement en faisant état d’une situation inédite qui s’est présentée une fois, sans en approfondir le contexte. L’histoire rapportée illustre la cruauté de la situation pour la famille endeuillée et met à nu l’aberration des conventions internationales régissant le transport aérien en la matière.
Cette histoire est venue rappeler combien certaines compagnies aériennes manquaient d’analyse et d’anticipation sur ce type de situation, mais surtout d’humanité à l’égard de la famille victime d’un fait inédit dans l’histoire de l’aviation civile.
Quand une compagnie aérienne perd un cercueil…
À l’origine de cette incroyable histoire, le 6 avril 2011, un vol au départ de l’aéroport de Lille vers Alger desservi par la compagnie X… (en liquidation depuis). À son bord, une dépouille mortelle et son cercueil pour une inhumation le lendemain de son arrivée à destination. Lorsque la famille se présente à la structure chargée de la remise des dépouilles, elle est informée qu’aucun cercueil n’avait été déchargé du vol indiqué.
Très inquiète, la famille avait tout mis œuvre afin de retrouver son défunt, car la compagnie aérienne ne savait pas où était passé le cercueil. Selon son témoignage : "Lorsqu’on appelait la compagnie, une fois ils nous disaient qu’ils n’avaient pas de dossier. Une autre fois, qu’il avait atterri dans une autre ville d’Algérie." En réalité, personne ne savait où était leur défunt père.
Lasse d’attendre, la famille avait décidé de prendre attache avec les services de l’antenne locale de l’association de consommateurs d’UFC-Que Choisir ? Après des jours de recherche, le constat était sans appel. Le cercueil avait bien disparu, mais était réapparu à l’aéroport de Lyon, sur le même appareil, qui avait effectué plusieurs rotations entre des villes françaises et algériennes.
Face à cette terrible épreuve pour la famille, mais également pour l’image de l’entreprise, le président de la compagnie s’était rendu à son domicile pour lui présenter ses excuses. Mais ce geste d’humanité avait explosé devant le communiqué publié par ses services.
Un remboursement au poids !
En effet, l’affaire aurait pu connaître une autre tournure, si la compagnie n’avait pas proposé à la famille, sur la base des dispositions de la convention de Varsovie, 3 800 € d’indemnités. Une somme équivalente au poids du cercueil : 172 kg à 22 € le kilogramme. En appliquant à la lettre la convention précitée, la compagnie avait suscité la colère de la famille, qui, tout en rejetant l’offre financière, avait dénoncé "ce manque de considération", estimant qu’elle était traitée "avec un manque d’humanisme flagrant".
Certes, la compagnie avait tenté de minimiser ce grave incident en rappelant que, sur les 1 700 cercueils transportés annuellement, c’était la première fois que cette situation s’était présentée. Elle illustrait très bien le manque de préparation de certaines compagnies à la gestion de ce type d’événement.
Changer le statut de la dépouille mortelle pour qu’elle ne soit pas considérée comme une marchandise
L’histoire ainsi rapportée est révélatrice du manque de prise en charge de la question de transport aérien de dépouilles mortelles dans les conventions régissant le transport aérien. Il est désormais urgent, pour les organismes internationaux régissant le transport aérien, de prendre une position forte en supprimant le transport de cercueil du transport de marchandises et en le considérant comme un transport de personne, afin que les modalités d’indemnisation en cas de perte ou de dommage affectant le cercueil soient plus adaptées à la peine subie par les familles. Bien évidemment, quel que soit le montant de l’indemnisation accordée aux proches, elle ne compensera jamais le préjudice moral enduré.
Le sénateur Jean-Pierre Sueur n’avait pas manqué de prendre en considération cette préoccupation en appelant l’attention de M. le secrétaire d’État chargé des Transports "sur le fait que, lorsqu’elles doivent être transportées par avion, les dépouilles mortelles font actuellement l’objet d’une pesée avant leur embarquement à bord des appareils. Cette pratique qui assimile le transport de dépouilles mortelles à un transport de marchandises est choquante eu égard au respect dû aux morts et aux principes inscrits dans l’art. 11 de la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire. Il lui demande en conséquence quelles initiatives il compte prendre auprès des instances compétentes pour mettre fin à cette pratique". (Question écrite n° 10951 de Jean-Pierre Sueur (Loiret – SOC) publiée dans le JO Sénat du 19/11/2009 – page 2681).
Dans sa réponse du 20/05/2010, M. le secrétaire d’État chargé des Transports précise : "Les opérations de pesée des cercueils, préalablement au transport aérien des dépouilles mortelles, sont effectuées au départ de la France, en amont de l’embarquement, par un transitaire spécialisé et agréé agissant pour le compte de l’opérateur funéraire choisi par la famille, en vue de l’organisation du déplacement du corps du défunt par voie aérienne. Elles sont réalisées en conformité avec les principes de respect, de décence et de dignité humaine énoncés par la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.
Tout en étant conscient du caractère choquant que peut avoir pour les familles endeuillées le traitement de ces cercueils, le secrétaire d’État chargé des Transports rappelle que leur convoyage doit répondre à des exigences particulières pour des motifs sanitaires et de sécurité. La réglementation applicable dans ce contexte a été fixée dans le cadre de l’accord sur le transport international des corps des personnes décédées, signé à Strasbourg le 26 octobre 1973 sous l’égide du Conseil de l’Europe, et entré en vigueur en France le 10 juin 2000. Il ne paraît pas possible d’y déroger".
Il convient, très certainement, de changer l’angle de la question à l’exécutif. Il ne s’agit plus de répondre sur le terrain de la décence et du respect liés à la manipulation de la dépouille, mais de l’indemnisation des familles en cas de perte du cercueil et de reconsidérer la tarification de la compensation de la peine des familles au poids, admis en fonction du préjudice moral subi. Le moment est tout indiqué pour reconsidérer le statut de la dépouille mortelle lors des opérations de transports aériens, et appeler à plus d’humanité en considérant qu’il s’agit plus d’un transport de personne que de marchandises.
AC Compassion : le service d’accompagnement des proches de la compagnie Air Canada, un modèle dont il faut s’inspirer
Nous ne pouvions achever cette réflexion sans mettre en valeur l’expérience déployée par Air Canada qui permet à cette compagnie de marquer sa présence même dans les moments les plus difficiles. Après la perte accablante d’un être cher, les personnes éprouvées peuvent trouver du réconfort à l’idée qu’on ne les laissera pas seules dans les moments les plus difficiles.
AC Compassion est une solution spéciale compatissante qui offre une assistance attentionnée au moment où vous en avez le plus besoin. Elle est une solution conçue pour transporter avec le plus grand soin et en toute dignité des cendres dans une urne funéraire ou une dépouille dans un cercueil.
La solution AC Compassion est toujours associée au niveau de service "Priorité 1", ce qui signifie que la dépouille mortelle est mise à bord de l’appareil et retirée de celui-ci de façon prioritaire, toujours avec le même professionnalisme et le même respect.
Le service AC Compassion est conçu pour l’expédition spécialisée de ce qui suit :
1 - Dépouilles mortelles – cercueils
Dans le cas des envois internationaux de dépouilles mortelles dans un cercueil, il faut utiliser un cercueil hermétique doublé de métal qui doit être placé dans un contenant type plateau. Sont acceptés les envois de dépouilles mortelles dans un contenant type plateau de réemploi, sauf si la mort a été causée par une maladie infectieuse, ou si la dépouille est en état avancé de décomposition.
Dans le cas des envois intérieurs, le cercueil renfermant la dépouille n’est accepté que si l’emballage extérieur appartient à l’un des types ci-après :
- caisse d’expédition munie de six poignées ;
- tôle ondulée (double face) à une épaisseur ;
- housse souple (en grosse toile, en plastique ou d’une autre matière) ;
- contenant rigide de type plateau avec couvercle de protection.
2 - Cendres
Les cendres doivent être transportées dans des urnes bien protégées contre les dommages par un emballage rembourré.
3 - Ce que les proches peuvent attendre de la formule AC Compassion
- niveau de priorité plus élevé pour le chargement ;
- manipulation des dépouilles mortelles avec dignité, soin et respect ;
- processus de transport et de manutention efficace ;
- délais de remise et de récupération précis.
Saisir l’occasion pour amender la Charte du respect de la personne endeuillée
L’humanité qui doit être réservée à la dépouille mortelle lors de son transport par les compagnies aériennes mérite d’être "totémisée" dans la Charte du respect de la personne endeuillée signée en 2009 dont la révision doit être engagée afin de la faire évoluer et de prendre en considération de nouvelles préoccupations sociétales.
Méziane Benarab
Résonance n° 187 - Janvier 2023
Résonance n° 187 - Janvier 2023
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