Cette présidence est également l’occasion de faire le bilan de l’Europe du funéraire. Un précédent article paru en mars 2014 dans le magazine Résonance intitulé "L’Europe du funéraire : la grande désillusion" ? dressait un constat sans appel à la veille des élections européennes de l’époque, depuis, rien ne semble avoir évolué en la matière. Le funéraire reste le seul domaine d’activités où l’Europe ne s’est pas faite. Pire encore, où les frontières persistent encore. Pour preuve, le franchissement de la frontière à l’occasion d’un transport de dépouille mortelle génère forcément l’utilisation d’un cercueil zingué.
Trois arguments pour relancer le dossier du projet de directive relatif aux transferts intracommunautaires de dépouilles mortelles
1 - Le premier argument réside dans la présence, au sein de la Commission européenne à Bruxelles, de la France qui joue un rôle fondamental dans l’approfondissement du marché unique européen à travers la présence d’un Commissaire européen. En effet, depuis le 29 novembre 2019, Thierry Breton a été installé par les parlementaires européens parmi le Collège des commissaires.
Depuis, il a été mandaté pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, y compris la libre circulation des biens et des services, tant en ligne que dans le monde physique. Très certainement la charge la plus conséquente au sein du Collège des commissaires. La relance du projet de directive sur les transferts intracommunautaires passera forcément par ses services, appuyés par ceux de la Direction générale des affaires sociales. Dans cette perspective, le secrétariat d’État chargé des Affaires européennes constitue une excellente courroie de relance du projet.
2 - Le second argument est lié directement à la nécessaire évolution des pouvoirs du Parlement européen (PE) en matière législative. Lors de son intervention devant le PE, le président Emmanuel Macron s’est prononcé, à Strasbourg, en faveur d’un droit d’initiative parlementaire pour le PE qui pourrait ainsi engager de nouvelles législations dans l’UE, un droit pour l’heure détenu par la seule Commission.
En effet, dans l’UE, l’initiative législative revient actuellement à la Commission européenne, même si le PE, seule institution élue, peut lui soumettre des propositions. Les législations sont ensuite négociées entre les trois institutions européennes (Commission, Conseil et Parlement), puis votées par les eurodéputés.
Importante sur le plan institutionnel, cette évolution législative permettrait aux eurodéputés de légiférer sur les sujets d’extrême sensibilité pour eux, tels que la libre circulation des citoyens dans l’espace européen.
La crise sanitaire actuelle a éveillé au sein de l’instance parlementaire une grande sensibilité à la gestion des transferts intracommunautaires de dépouilles. Nos eurodéputés sont preneurs de dossiers aussi porteurs sur le plan de la visibilité citoyenne à l’échelon européen. Pour l’instant, aucune actualité sur le sujet n’a été évoquée dans leurs travaux.
En consultant le site Internet de l’institution, force est de constater que pas même une question écrite ou orale n’a été posée lors de cette mandature. C’est dire que les élus n’ont pas été relayés de demandes émanant des professionnels ou des associations concernés. Un travail d’approche et de sensibilisation des eurodéputés est désormais indispensable pour relancer le dossier.
3 - L’ardent plaidoyer du PE sur le dossier des transferts intracommunautaires de dépouilles mortelles. Dans sa session plénière du 4 décembre 2003, le PE a adopté une résolution dans laquelle il "considère que la liberté de circulation et de séjour est un droit fondamental dans l’UE, que ce droit s’inscrit dans un contexte plus vaste, celui de marché intérieur, dans lequel il ne peut y avoir de frontières et où cette liberté ne peut être entravée, et que ce droit est en outre consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’UE, que la Convention européenne a proposé d’incorporer à la nouvelle Constitution".
Le PE a également pris conscience des surcoûts financiers générés par le transfert intracommunautaire de dépouilles en plaidant pour un "rapatriement de la dépouille sans frais et démarches administratives excessifs en cas de décès d’un ressortissant communautaire dans un pays autre que celui où doit avoir lieu soit l’inhumation, soit la crémation, peut être considéré comme un corollaire de ce droit dont dispose chaque citoyen européen de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membes (EM)".
C’est sur un autre plan que l’institution européenne s’est montrée sévèrement critique en considérant que les dispositions de l’Accord de Strasbourg du Conseil de l’Europe du 26 octobre 1973, qui imposent des normes strictes au transfert transfrontalier des dépouilles, "instaurent une discrimination indirecte résultant du fait qu’elles s’appliquent essentiellement aux "non-nationaux", et qu’elles vont de ce fait à l’encontre de la logique communautaire".
Il est évident que cette réserve est de nature à susciter un recours devant la Cour de justice de l’UE à Luxembourg au titre de l’art. 2 du Traité sur l’UE qui fait de la non-discrimination une valeur fondamentale.
Jugé contraire aux dispositions communautaires, l’Accord de Strasbourg perdrait son effectivité et imposerait alors à la Commission européenne, en sa qualité de gardienne des traités, d’assumer ses responsabilités et de reprendre les travaux du projet de directive de 1992 afin d’assurer la libre circulation des services funéraires sur le territoire communautaire.
Sur quelles bases relancer le projet de directive ?
Les bases de relance des travaux existent bien, tant sur le plan juridique que sur le plan politique. Sur le plan juridique, les travaux des experts nationaux réunis à Luxembourg le 18 décembre 1991 sont toujours d’actualité. Ils permettent d’établir une projection du contenu d’un nouveau projet de directive. Ainsi, l’architecture du nouveau projet pourrait être la suivante :
1 - Le périmètre du projet de directive
C’est une question qui avait été débattue à l’époque, et il fallait trancher la question en se prononçant sur l’étendue du périmètre de la directive intégrant la libre circulation des services funéraires et la libre circulation des dépouilles. Certaines délégations n’étaient pas favorables à l’intégration de la dimension relative à la libre circulation des services funéraires.
La logique est de le maintenir à ces deux aspects, intimement liés. En effet, il ne peut y avoir de libre circulation des dépouilles sans libre circulation des services funéraires. Bien évidemment, la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles règle l’essentiel des difficultés en la matière. Néanmoins, il convient de lever quelques obstacles résiduels pouvant limiter la liberté de prestations de services des professionnels.
Enfin, il est utile de souligner l’aspect relatif aux cendres cinéraires. Ne représentant pas de danger particulier sur le plan de la santé publique, il convient néanmoins de prévoir des mesures liées à leur identification et traçabilité.
2 - Le préambule de la directive
Le préambule du futur projet doit s’appuyer sur les constats suivants et rappeler :
- que, malgré la suppression des frontières physiques entre les EM, il subsiste encore des obstacles au franchissement des frontières dans le domaine funéraire avec l’obligation de recourir à un cercueil zingué ;
- que les contrôles en matière de transferts intracommunautaires ont essentiellement pour objectif d’assurer la protection de la santé publique. Dès lors, ils doivent être organisés et limités au lieu de départ ;
- que l’harmonisation de certaines exigences relatives à la protection de la santé publique et la reconnaissance mutuelle de certaines prescriptions administratives, légales ou réglementaires sont nécessaires ;
- que l’harmonisation envisagée implique une reconnaissance mutuelle de l’ensemble des formalités effectuées par l’État de départ, notamment les modalités relatives à la délivrance de l’acte de décès et du laissez-passer mortuaire ;
- qu’il est nécessaire d’harmoniser les listes des maladies transmissibles des EM ;
- qu’il est indispensable d’harmoniser les mesures légales, réglementaires ou administratives – depuis la préparation du corps jusqu’à, et y compris, leurs conditions de transport ;
- que l’Accord de Strasbourg et l’Arrangement international de Berlin visaient déjà à simplifier les formalités relatives aux transferts internationaux ;
- qu’il est indispensable que le deuil des familles puisse revêtir des conditions de grande humanité et que l’ensemble des formalités nécessaires puissent être effectuées dans les délais les plus brefs sans être grevées de coûts excessifs et les réduire le plus possible ;
- que la directive ne définit pas les exigences essentielles auxquelles doivent satisfaire les cercueils et les matériels de transport ; que, pour faciliter la preuve de la conformité aux exigences essentielles, il est indispensable de disposer de normes harmonisées sur le plan européen, concernant notamment l’étanchéité, les matériaux utilisés pour leur construction, l’épaisseur des parois, l’appareil épurateur, aux normes dont le respect assure à ces produits une présomption de conformité aux exigences essentielles de la directive ;
- que ces normes seront élaborées par le Comité Européen de Normalisation (CEN).
3 - Le texte de la directive
Les dispositions de la future directive pourraient s’articuler autour d’une série de dix articles, accompagnés de quelques annexes de nature administrative.
Art. 1 : Les EM veillent à ce que les dispositions prises et les contrôles sanitaires effectués lors des transferts intracommunautaires des dépouilles mortelles soient conformes aux exigences de la présente directive.
Art. 2 : Aux fins de la présente directive, on entend par :
- Exigences sanitaires : tout contrôle physique et/ou toute formalité administrative portant sur les dépouilles mortelles lors de leur transfert d’un État membre à un autre, et visant de manière directe ou indirecte à assurer la protection de la santé publique.
- Dépouilles mortelles : corps de personne décédée sur le territoire d’un État membre et destinée à être rapatriée dans un autre État membre.
- Restes mortels : restes relevés suite à la dégradation totale du corps après son inhumation.
- Urne cinéraire : enveloppe rigide équipée d’un cendrier pour le dépôt des cendres cinéraires.
- Cercueil : enveloppe en bois destinée au transport de corps.
- Filtre : appareil destiné à égaliser la pression à l’intérieur du cercueil.
Art. 3 : Les EM désignent les autorités compétentes pour la mise en œuvre de la directive.
Art. 4 : Les autorités compétentes veillent à ce qu’avant d’être transférées vers un autre État membre les dépouilles mortelles aient fait l’objet sur leur territoire de l’ensemble des mesures décrites à l’annexe 1. Lorsque la personne décédée était atteinte d’une des maladies transmissibles selon l’annexe 2, les autorités compétentes veillent au respect des dispositions prévues à l’annexe 3. Lors du transfert, les documents administratifs prévus à l’annexe 4 doivent être joints.
Les autorités compétentes veilleront à ce que l’ensemble des formalités soit effectué avec diligence pour assurer au deuil de la famille la plus grande dignité possible et le respect de conditions sociales et économiques permettant de réduire dans la mesure du possible les coûts occasionnés.
Art. 5 : Les exigences essentielles concernant les normes des cercueils utilisés doivent satisfaire celles décrites à l’annexe 5.
Art. 6 : Les autorités compétentes de destination finale peuvent vérifier ou faire vérifier que les différentes dispositions qui ont été prises sont conformes à celles de la présente directive. Lorsque des éléments d’information lui permettant de présumer une infraction sont portés à la connaissance de l’État membre, des contrôles peuvent également être effectués en cours de transport sur le territoire.
Art. 7 : Le transfert intracommunautaire de cendres répondra aux conditions décrites à l’annexe 6.
Art. 8 : L’expéditeur extracommunautaire de la dépouille mortelle doit s’assurer que toutes les exigences prescrites pour le transfert aient été faites en conformité avec la présente directive. Les EM s’assurent que, lors de l’entrée sur le territoire de l’Union, de dépouilles provenant de pays tiers les exigences de la présente directive soient respectées.
Art. 9 : En vue des adaptations strictement techniques des annexes de la présente directive, en fonction du progrès technique ou de l’évolution des réglementations ou spécifications internationales et des connaissances, la Commission est assistée par un comité composé des représentants des EM et présidé par le représentant de la Commission.
Le représentant de la Commission soumet au comité un projet des mesures à prendre. Le comité émet son avis sur ce projet dans un délai que le président peut fixer en fonction de l’urgence de la situation en cause. L’avis est émis à la majorité prévue par le traité pour l’adoption des décisions que le Conseil est appelé à prendre sur proposition de la Commission. Lors des votes au sein du comité, les voix des représentants des EM sont affectées de la pondération définie par le traité instituant l’UE, le président du Comité ne prend pas part au vote.
La Commission arrête les mesures envisagées lorsqu’elles sont conformes à l’avis du comité. Lorsque les mesures envisagées ne sont pas conformes à l’avis du comité, ou en l’absence d’avis, la Commission soumet sans tarder au Conseil une proposition relative aux mesures à prendre. Le Conseil statue à la majorité qualifiée. Si, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la saisine de Conseil, celui-ci n’a pas statué, les mesures proposées sont arrêtées par la Commission.
Art. 10 : Les EM mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard à la fin de l’année suivant l’entrée en application de la présente directive. Lorsque les EM adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les EM.
Les EM communiquent à la Commission le texte des dispositions de droit interne déjà adoptées ou qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.
Art. 11 : Les EM sont destinataires de la présente directive.
Annexe 1 Mise en condition de la dépouille mortelle en vue d’un transport intracommunautaire. 1. Transport par route a) Dépouille mortelle avant mise en bière - Délai de transport après décès 48 heures (transport terminé). - Véhicule agréé réfrigéré conforme à la norme. - Housse biodégradable fermée, à l’intérieur de laquelle le corps sera placé. - Bracelet identificateur (personne habilitée par l’autorité compétente). - Soins de conservation internationaux (5 points UFC) effectués par un thanatopracteur diplômé reconnu. - S’assurer que le corps ne comporte pas d’appareils pouvant nuire à certaines opérations d’inhumation ou de crémation. b) Dépouille mortelle après mise en bière - Délai de transport, après mise en bière, de 48 heures (transport terminé). - Cercueil en bois dur d’une épaisseur minimum de 20 mm. - Plaque d’identification sur le cercueil. - Cuvette et/ou housse biodégradable (étanche). - Au-delà de 48 heures, transport exclusif après mise en bière dans un cercueil hermétique équipé d’un filtre épurateur. - Dans les deux cas, produits absorbants. c) Transport par avion - Soins de conservation internationaux (5 points). - Cercueil hermétique dans un matériau agréé et filtre épurateur. - Plaque d’identification sur le cercueil. - Toile de jute enveloppant le cercueil. Dans le cas d’une exhumation en vue d’une réinhumation, le conteneur pour exhumation doit être en bois d’une épaisseur de 30 mm pour un cercueil unique, doublé intérieurement d’une feuille de zinc ou d’une autre matière autodestructible. Annexe 2 Liste des maladies transmissibles de l’art. 4. • 1re catégorie : - Variole, - Choléra, - Charbon, - Fièvres hémorragiques virales. • 2e catégorie : - Peste, - Hépatite virale sauf hépatite A confirmée, - Rage, - Sida. Annexe 3 Prescriptions particulières liées à l’existence d’une maladie transmissible. • 1re catégorie : - cercueil hermétique équipé d’un filtre épurateur de gaz. • 2e catégorie : - mise en bière immédiate après le décès, dans le cas d’un décès à domicile et avant la sortie de l’établissement (cas de décès en milieu hospitalier). Annexe 4 Documents administratifs à établir préalablement au transport : - Constat de décès délivré par un médecin ou médecin légiste. - Laissez-passer mortuaire. - Délivré par l’autorité compétente après que celle-ci s’est assurée : › Que les formalités médicales, sanitaires, administratives et légales ont été remplies ; › Que le corps est placé dans un cercueil dont les caractéristiques sont conformes aux règles en vigueur dans l’État membre de départ. Le cas échéant, que les conditions soient remplies pour un transfert sans cercueil du corps ; › Que le cercueil ne contient que le corps de la personne mentionnée dans le laissez-passer, et les objets personnel destinés à être inhumés ou crématisés avec le corps. - Procès-verbal de mise en bière. - Permis d’inhumer délivré par l’autorité compétente. - Attestation du thanatopracteur pour les soins de conservation. - Autorisation de crémation. Délivrée par le maire du lieu de décès au vu du permis d’inhumer. - Pose de scellés sur le cercueil. - Le laissez-passer mortuaire doit reproduire les données figurant dans un modèle harmonisé. Annexe 5 Conditions essentielles concernant les exigences essentielles pour les cercueils. • Le cercueil doit : - être étanche, - contenir un matériau absorbant, - être équipe d’un filtre épurateur destiné à égaliser la pression extérieure et intérieure, - être en bois et d’une épaisseur de 20 mm minimum, - être équipé d’une enveloppe en zinc collé ou soudé, ou en une autre matière autodestructible. Annexe 6 Conditions de transport de cendres. - Laisse-passez délivré par l’autorité compétente de l’État membre de départ. - L’urne doit être équipée d’une plaque d’identification. - Le cendrier doit porter le numéro de l’acte de décès et une attestation du responsable du crématorium. - L’urne doit être insérée dans un emballage résistant. - L’urne doit être transportée dans des conditions de décence et de respect. La relance du projet de directive passe nécessairement par la mise en œuvre d’une stratégie impliquant les trois acteurs décisifs de ce dossier : le secrétariat d’État aux Affaires européennes, l’ensemble de la représentation française au PE et la direction des affaires sociales de la Commission européenne à Bruxelles. Sans oublier, bien évidemment, le rôle très actif de la Fédération Européenne des Services Funéraires (EFFS) qui est déjà intervenue avec efficacité dans les instances européennes. La principale source de blocage des travaux de l’époque ayant disparu avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union, il est désormais permis d’espérer une avancée possible des travaux. Néanmoins, il convient de na pas occulter les difficultés liées à la mise en place des normes techniques (filtre, cercueil…) souhaitées par la Commission européenne. Du côté des instances européennes, une évolution des mentalités doit voir le jour. En effet, à trop vouloir tout harmoniser, on sombre dans la complexité. Or, sur le sujet du funéraire, les législations des EM sont, de nos jours, à un degré comparable de mesures liées au respect des exigences essentielles en matière de gestion des décès. Il suffit de procéder à leur reconnaissance mutuelle. C’est ce que l’on appelle le principe de subsidiarité. Quant à l’épineuse question des maladies transmissibles, la prise en compte de la liste édictée par l’OMS serait une piste pertinente. |
Méziane Benarab
Expertises et performances funéraires
Résonance n°177 - Février 2022
Résonance n°177 - Février 2022
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