Prendre soin des morts, des familles ou de soi ? La crise du Covid-19 et la tension entre précautions techniques et accompagnement du rituel.
Pic de décès ou risque lié aux maladies contagieuses sont des situations de tension auxquelles le secteur funéraire sait faire face. Mais, par sa gravité, la crise sanitaire du Covid-19 a une portée amplificatrice et accélératrice de changement. Pour les professions funéraires comme pour d’autres, le temps du "faire face " apparaît indissociable d’une réflexion sur ce que sera le funéraire de demain : la façon de travailler et de se protéger, le rôle du professionnel dans l’accompagnement d’un service qui est aussi un rite, sa place dans une chaîne d’activités qui associe des soignants, des officiants et des agents publics, sa représentation dans la société civile.
C’est dans cet horizon que nous – Victor Potier et Pascale Trompette, sociologues – vous proposons une première lecture de la crise dans le secteur funéraire. Elle est fondée sur des échanges avec des professionnels qui ont accepté de nous répondre, souvent dans les conditions difficiles de leur quotidien bouleversé. Nous les en remercions. Cette réflexion se base également sur une analyse de la façon dont les médias, locaux ou nationaux, relaient aujourd’hui l’impact de la crise sur la prise en charge des défunts.
Nous profitons de cet espace privilégié que nous offre Résonance pour inviter tous ceux qui souhaitent témoigner à nous contacter pour échanger sur leur vécu(1) : que l’on soit en suractivité ou en sous-activité – car c’est aussi cela, la crise du Covid-19 –, que l’on soit dirigeant ou employé, professionnel ou partie prenante du monde du funéraire à quelque titre que ce soit, vos témoignages nous aideront à élaborer une compréhension plus représentative de l’évolution du secteur, de la crise et de l’après-crise.
Comment réinventer la relation de service en situation de crise sanitaire ?
Les témoignages que nous avons recueillis, à la fois directement et dans la presse, font largement écho aux émotions des familles et à leurs difficultés à accomplir leur démarche d’adieu et d’hommage comme premier temps du deuil. Cet enjeu, qui intéresse plus directement les sociologues et anthropologues de la mort (cf. Le Monde, "Face au risque de contagion, comment maintenir les pratiques au fondement de la relation entre les vivants et les morts ?", 25 mars 2020), nous interpelle à travers la façon dont il retentit sur l’exercise professionnel des acteurs funéraires.
Sous cet angle, le premier constat est celui d’une tension majeure entre la priorité assignée au contrôle du process technique de gestion des défunts et la capacité à maintenir une relation de service laissant des espaces aux familles pour accomplir les gestes et témoignages d’hommage au défunt, sous quelque forme que ce soit.
Cette tension a été manifeste dans les zones fortement touchées par le Covid-19, exposées aux pressions "logistiques" liées à la surmortalité en même temps qu’au déficit d’Équipements de Protection Individuelle (EPI) : "J’ai géré des coups de fil par dizaine, les uns derrière les autres. Vous raccrochez, il faut prendre l’appel suivant, en bousculant le moins possible les familles, mais vous ne pouvez pas vous attarder. C’est du travail à la chaîne, on ne respire plus, on ne mange plus, on n’a pas l’habitude de travailler comme cela", raconte Michèle Aubry, directrice d’une entreprise de pompes funèbres strasbourgeoise.
La majorité des localités a pourtant davantage fait face à une sous-activité. Mais l’organisation de la relation de service a dû intégrer des dispositions réglementaires restrictives s’appliquant uniformément sur le territoire national pour l’ensemble des funérailles : impossibilité de recevoir les familles dans les enseignes, d’autoriser les visites nombreuses au funérarium, d’accéder à des lieux de culte, ou d’accueillir plus d’une quinzaine de personnes au cimetière.
D’autres contraintes ont affecté l’équilibre entre gestion des restrictions matérielles et qualité de service et d’accompagnement. La difficulté à exécuter des travaux de cimetière, par exemple, a empêché la réalisation de travaux anticipés, comme la pose de caveau, et accentué la pression sur les équipes au moment des inhumations. Conjuguée aux difficultés de gestion du personnel, la multiplication de ce type d’entraves pratiques peut inciter les opérateurs à recourir de fait à des simplifications provisoires dans l’organisation des funérailles.
Au-delà, c’est surtout la peur du Covid-19 qui oriente nombre de professionnels vers un principe de précaution renforcée : pourquoi ne pas appliquer les dispositions restrictives à "l’ensemble des défunts" dès lors que la suspicion de contamination est quasi générale ? Autoriser les familles à voir le défunt, n’est-ce pas courir le risque de contacts dangereux ? Faut-il dépouiller les funérailles de tout "objet-contact" : goupillon, cercueil, urnes, fleurs, etc. ?
À toutes ces questions, il peut être plus simple et précautionneux de répondre par des stratégies d’évitement : éviter de présenter le défunt, éviter de laisser les familles revendiquer tel ou tel geste, éviter de toucher le cercueil, éviter l’inhumation en présence des proches, etc. Mais le risque est aussi qu’à dépouiller toujours davantage l’espace rituel par des interdits pratiques, on finisse par priver les familles de toute capacité d’investir symboliquement l’adieu et l’hommage à leur proche. Or cet investissement passe aussi par des gestes et des mises en situation permettant d’exprimer de l’attachement et des affects, ou d’accomplir un travail rituel. "Un deuil, c’est tout sauf du confinement, vous avez besoin de voir les personnes et de les serrer… Des personnes espacées les unes par rapport aux autres, c’est très difficile, parce qu’on a l’impression de ne pas mener les choses jusqu’au bout", évoque Manuel Sauveplane.
Conséquence indirecte d’ailleurs du poids des restrictions, certaines familles se désengagent totalement : "Par deux fois, nous nous sommes retrouvés seuls aux obsèques", évoque Olivier Corolleur, directeur d’agence de la périphérie lyonnaise. Une famille témoigne : "On ne va pas traverser la France pour se retrouver quelques minutes devant un cercueil fermé", témoigne l’une d’entre elles. L’enjeu est donc que les réponses bâties dans l’urgence ou sous la contrainte fassent place à des apprentissages dans la gestion et la maîtrise des risques, compatibles avec les exigences de protection des salariés. L’entrée dans une seconde phase de "vie avec le Covid-19 pourrait ainsi ouvrir à de meilleurs équilibres entre facilitation matérielle, principe de précaution et accompagnement des familles. "On reste le dernier témoignage d’humanité sur terre", rappelle le sociologue Tanguy Chatel.
Sur ce plan, c’est autour de l’organisation des funérailles et des cérémonies à distance que l’on peut identifier un premier mouvement de renouvellement de l’offre de services. Certes, de nouveaux "players" avaient déjà fait leur entrée dans le secteur avec des offres accordant une place croissante à la dématérialisation des process, en particulier dans les échanges avec les conseillers et l’organisation pratique des obsèques. Mais le champ du cérémonial et de l’hommage était encore peu investi. Une participation lointaine à la cérémonie, relayée par le média numérique, est devenue, en un temps accéléré, une pratique acceptable, voire socialement acceptée, faisant place à de nouvelles offres de service privées ou associatives. "Les pompes funèbres commencent à aller sur le terrain du deuil", suggère Tanguy Chatel. Le numérique prend le relais là où les interactions directes sont prohibées : condoléances sur site, cérémonie ou hommage à distance.
Pour les pionniers mentionnés plus haut, l’offre d’une plateforme de retransmission pour les proches a été très rapidement intégrée. Des entreprises bénéficiant d’un certain volume de décès, comme la SEM de Béziers, se sont équipées en matériel audiovisuel, et assurent une retransmission conforme aux réglementations (RGPD). Pour les petites structures, l’offre peut passer par la sous-traitance à des sociétés de l’événementiel qui se positionnent d’autant mieux sur ce marché de niche que leurs segments privilégiés ont disparu avec la crise. Mais, dans leur majorité, les témoignages recueillis évoquent des initiatives informelles et bricolées, portées par les familles à l’aide de leur propre smartphone. "Je ne vois pas une explosion de la demande des clients, ça se fait déjà tout seul, par ceux qui veulent", relativise Didier Kahlouche, co-président de la CPFM.
Il faudra attendre le temps des enquêtes systématiques pour diagnostiquer si cette évolution est massive et durable, ou tient d’une adaptation ponctuelle au contexte sanitaire. Étonnamment, seule la presse nationale s’est un peu arrêtée sur ces nouvelles pratiques, sans leur accorder une attention soutenue. L’évocation de l’entrée du numérique dans les funérailles est plutôt de l’ordre du trivia et de l’anecdote : on raconte ici que les gens du voyage sont 3 000 sur un Facebook Live, là qu’un proche filme sur WhatsApp, là encore qu’une régie a proposé des funérailles en vidéo ou une agence un boîtier audio, tandis qu’un gérant de pompes funèbres suggère que cela ne touche pas même 10 % des cérémonies. Dans la représentation produite par les médias, l’enjeu de la numérisation semble rester marginal.
Autre voie explorée aussi bien par les opérateurs funéraires que par d’autres participants à l’espace des funérailles et du deuil ainsi que par les familles : des cérémonies organisées ultérieurement, lorsque l’épisode pandémique sera terminé. C’est notamment du côté des petites coopératives (Nantes, Bordeaux) et des pompes funèbres confessionnelles, qui ont fait du cérémonial et de l’accompagnement du deuil un lieu privilégié de différenciation, que l’on voit apparaître ce type d’initiatives.
Funérailles simplifiées, numérisation des cérémonies ou des condoléances, limitation des déplacements : la crise du Covid-19 pourrait être prétexte à voir se manifester des formes de réinvention sociale des funérailles, accentuant une tendance au resserrement autour du cercle des proches et à l’assouplissement des obligations conventionnelles des cercles plus éloignés.
La presse : un autre regard sur les pompes funèbres
Interpellés par la façon dont les journalistes relayaient les difficultés au quotidien des opérateurs funéraires, nous avons collecté plusieurs centaines d’articles issus des diverses presses locales et nationales françaises, suisses et belges entre le 1er mars et le 30 avril, et analysé la façon dont ils rendaient compte de la situation de crise au sein du secteur.
Notre constat est que les médias ont offert une tribune inédite aux pompes funèbres en apportant un éclairage nouveau sur leur activité. La presse, d’ordinaire habituée à produire des variations autour de l’image d’Épinal du croque-mort sans scrupule de Lucky Luke, s’est davantage intéressée aux travailleurs de l’ombre, à l’arrière-boutique de l’épidémie, au travail des pompes funèbres "la peur au ventre" face au virus.
Du "bout de la chaîne" à la "première ligne", la presse ne tarit pas de métaphores empruntant au champ lexical du champ de bataille pour raconter les travailleurs affrontant la crise sanitaire, en contact direct avec les corps potentiellement habités par le virus, peut-être même davantage qu’avec la mort elle-même. Les professionnels du funéraire sont "au front", "en première ligne", mais "oubliés", ils opèrent un "discret labeur", "sacrifiés" dans des "morgues comme un champ de bataille", ils sont "sur le pied de guerre" pour "faire face".
D’autres articles accentuent leur solitude à distance de toutes les autres premières lignes, et les décrivent comme étant "en dernière ligne", ou "en bout de chaîne". Ces histoires sont illustrées de récits, de portraits, et de professionnels qui se racontent. Elles sont majoritairement couvertes par la presse locale, mais elles évoquent des problèmes qui n’ont rien d’anecdotique, comme l’accès aux EPI ou les conditions troublées de l’accueil humain des proches et des familles.
Ce récit médiatique du funéraire permet également à la presse de faire du secteur une caisse de résonance pour des problématiques politiques, sanitaires et organisationnelles relatives à la gestion de la crise. Les témoignages parlent de l’impossible maintien de la dignité et de la pudeur dans l’accompagnement des défunts. Ils décrivent de nouveaux protocoles, mais aussi la difficulté de les appliquer en situation (mise en bière immédiate, retrait du pacemaker, contraintes formelles d’organisation des funérailles en comité réduit, etc.). Dans la presse locale, l’angoisse d’être au contact de défunts potentiellement infectés est transformée en dénonciation de l’impossibilité d’accéder à des protections sanitaires. Enfin, ces récits donnent à voir toutes les interfaces avec d’autres systèmes en tension (soignants en hôpital ou en EHPAD, par exemple). En somme, la presse reconstruit l’arrière-boutique des pompes funèbres aux yeux du grand public, et dépasse l’image de façade.
En toute logique, cette même presse locale se transforme aussi en nouvelle tribune, notamment politique. Tous les jours, des professionnels déplorent d’abord ne pas être classés parmi les professions à risques et prioritaires dans l’accès aux équipements. Puis ils interpellent les pouvoirs publics, via des courriers adressés au Premier ministre, quant au manque d’équipement et à l’impréparation des circuits d’approvisionnements. La presse relaie un préavis de grève déposé par la CGT et auxquels se joignent des opérateurs funéraires syndiqués. Dans le secteur de la thanatopraxie, certains praticiens attirent le regard sur le fait que leur profession pâtit de l’arrêt des soins, quand d’autres publient des tribunes en faveur d’une continuité de leur activité. Partout, des opérateurs ou des gérants déplorent le peu d’attention qu’on leur prête, ne serait-ce que sur le plan institutionnel et politique. "On exerce déjà un métier connoté très négativement au départ. Avec le Covid-19, c’est encore pire", confie une gérante de la Somme au Courrier Picard le 29 mars. "Pas d’applaudissements tous les soirs à 20 heures, pas de "Merci” sur des petits mots", déplore La Provence le 11 avril, avant de laisser la parole à un gérant bruxellois : "On a un fort sentiment d’abandon. Les soignants ont eux une sorte de reconnaissance. Pour les masques et les combinaisons, on s’est débrouillés seuls. Les autorités n’ont pas pensé à nous."
La presse locale et régionale donne de l’écho à la façon dont les pompes funèbres contribuent à l’effort collectif sans nécessairement mettre l’accent sur les régions en tension. Elle multiplie les récits d’attente et d’adaptation, "l’attente de la vague" et la préparation "pour faire face". Alors que l’épidémie avance, de plus en plus d’articles et de témoignages paraissent pour nuancer la crise et raconter une curieuse normalité. "Je n’ai pas enregistré de décès depuis deux semaines", raconte un gérant de Niort au Courrier de l’Ouest du 11 avril. Les professionnels interrogés expliquent qu’il faut nuancer le pic de mortalité, que le confinement réduit les accidents de la route, certains s’estiment "préservés pour le moment". On lit aussi le sentiment d’être coincés dans le calme avant la tempête, un temps long qui dure, marqué par de nouvelles mesures drastiques de sécurité, l’inquiétude, et un sursaut d’activité qui ne vient pas.
Dans la presse nationale, le traitement est tout autre. Ses comptes rendus médiatiques fonctionnent moins par portraits que par zones… comme une série de reportages sur le front. "Chaque maillon de la chaîne du funéraire est en tension", les pompes funèbres sont "submergées", elles craignent la "saturation dans les morgues" en Alsace, c’est un "cauchemar collectif" dans l’Est, elles fonctionnent à "flux tendu", en proie au "désarroi". Ce faisant, elle se fait aussi l’écho de polémiques nationales, autour de la gestion de la morgue de Rungis, par exemple. Elle relate tout autant les tensions que subissent les services funéraires ailleurs dans le monde : les convois militarisés de cercueils en Italie, les fosses communes à New York, les infrastructures équatoriennes saturées jusque dans les rues de Guayaquil, ou encore la réquisition de la patinoire à Madrid.
Enfin, la presse raconte, dans l’immense majorité de ses publications, la peur et les émotions des professionnels du funéraire. Les pompes funèbres sont "inquiètes", ce qui se passe est vécu comme "inhumain", les professionnels sont dans "le flou", en proie à "l’angoisse", "désemparés" et "démunis", le travail est un "enfer" vers lequel on va "la boule au ventre". Les pompes funèbres se retrouvent "au pied du mur ", tout est "très dur", d’urgence et de "système D", on n’est "pas sereins" tant la situation est "horrible à vivre". "Confrontées au pire", les pompes funèbres sont "bouleversées", l’ambiance est à la "paranoïa" et à la "rancœur", le manque de reconnaissance des pouvoirs publics est une "double peine". "C’est très dur" pour un gérant qui pensait "avoir le cuir dur", mais "dont la voix chevrote" dans l’édition d’Aujourd’hui en France du 2 avril. "C’est trop, il n’y a plus d’humanité, je ne suis pas entré dans les pompes funèbres pour faire ce que je fais aujourd’hui", raconte une gérante dans le Berry Républicain le 7 avril. La détresse psychologique est palpable, dans un travail décrit "sous l’ombre inquiétante du virus".
Le Covid-19, accélérateur de mutations sur le marché funéraire ?
S’il est encore tôt pour projeter le marché funéraire de l’après-coronavirus, il nous semble intéressant d’identifier des retombées possibles sur le marché funéraire. La crise aurait ici un effet accélérateur davantage qu’elle ne serait à l’origine de ruptures en tant que telles.
Une première ligne de changement prolonge ce que nous avons évoqué autour de la dématérialisation et de la transformation de la relation de service. Alors que le numérique s’invitait au sein du secteur funéraire sous la forme d’une révolution "douce", ralentie par ses spécificités – une clientèle âgée, attachée aux interactions personnalisées, un service indissociable de pratiques rituelles traversées par le lien à la tradition, etc. –, la crise a légitimé le recours à des interactions à distance en différents lieux de la chaîne des opérations funéraires : organisation avec le conseiller, démarches administratives, cérémonie rediffusée, condoléances en ligne, etc.
Ce phénomène pourrait accélérer une certaine banalisation du numérique dans les pratiques funéraires. Le rachat de "pure players" du Net par les groupes OGF-PFG et FUNÉCAP confirme l’attention portée par les leaders du secteur à une tendance qui pourrait à l’avenir ne plus se limiter à la clientèle des grandes agglomérations. Dans l’histoire des funérailles sur la longue période, la numérisation vient renforcer une transformation sociologique engagée depuis plusieurs décennies : allègement du faste, mise à distance de l’hommage dans son expression ostentatoire, pour privilégier l’expression de l’authenticité du lien, le resserrement autour du cercle familial, etc. Autrement dit, les rares ornementations encore présentes telles que les couronnes de fleurs et les plaques pourraient faire place à des modes d’expression encore plus en plus dématérialisés d’expression de l’hommage.
Autre tendance susceptible d’être intensifiée par la crise : la prévoyance
Le développement de la prévoyance funéraire, on le sait, connaît une croissance continue depuis le début des années 2000, conséquence de l’entrée de la bancassurance dans le secteur funéraire à la suite de la libéralisation de 1993. L’accroissement de la mortalité liée au Covid-19 touchant une population sensiblement plus jeune, de façon souvent brutale et accélérée, pourrait sensibiliser encore davantage la population des seniors, qui constitue le cœur de cible de ce marché.
Si, pour Philippe Martineau, directeur général de l’UDIFE (Le Choix Funéraire), le monde funéraire de demain sera plus que jamais celui de la prévoyance, c’est aussi en s’organisant à partir d’une offre de garanties de prévoyance intégrées. C’est déjà le cas aujourd’hui, les portefeuilles de contrat obsèques étant principalement associés à des contrats en capital souscrits auprès de grands acteurs de la bancassurance. Mais ces positionnements stratégiques ne viennent pas seulement de "pure players" financiers. Une offre de prévoyance intégrée couplée à celle de réseaux de soin (santé et services, transport sanitaire) et d’établissements de santé conventionnés ou intégrés (cliniques, EHPAD), comme peut le proposer le groupe Vyv (Maison des Obsèques), pourrait être particulièrement attractive dans une économie "d’après- Covid-19" au sein de laquelle l’économie de la santé sera encore plus centrale. "De grands groupes dont la mutualité se posent la question de faire de l’intégration horizontale. Ils vont de la crèche à l’obsèque, avec des sociétés de transport sanitaire, des cliniques, des EHPAD", confirme Philippe Martineau.
Nous terminerons cette première lecture réflexive de la crise par une interrogation sur les retombées de la crise sur les entreprises funéraires. Car, surmortalité passagère ou pas, les opérations funéraires en temps de Covid-19 sont loin d’être économiquement rentables. Interdiction des soins de thanatopraxie, des personnels en moins, une offre de services réduite au strict minimum, arrêt de la vente d’accessoires et report des travaux de marbrerie, des pans entiers de l’activité professionnelle et économique disparaissent. Tandis que les mesures de prévention augmentent les coûts fixes. "Le tissu des PME-TPE est habitué à subir des pics et est relativement résilient", indique Sylvestre Olgiati, directeur de FUNEPRO, spécialisé dans la vente d’articles funéraires. L’agilité et l’inscription territoriale forte des indépendants favorisent une certaine résistance, mais pour combien de temps ?
C’est dans cet horizon que nous – Victor Potier et Pascale Trompette, sociologues – vous proposons une première lecture de la crise dans le secteur funéraire. Elle est fondée sur des échanges avec des professionnels qui ont accepté de nous répondre, souvent dans les conditions difficiles de leur quotidien bouleversé. Nous les en remercions. Cette réflexion se base également sur une analyse de la façon dont les médias, locaux ou nationaux, relaient aujourd’hui l’impact de la crise sur la prise en charge des défunts.
Nous profitons de cet espace privilégié que nous offre Résonance pour inviter tous ceux qui souhaitent témoigner à nous contacter pour échanger sur leur vécu(1) : que l’on soit en suractivité ou en sous-activité – car c’est aussi cela, la crise du Covid-19 –, que l’on soit dirigeant ou employé, professionnel ou partie prenante du monde du funéraire à quelque titre que ce soit, vos témoignages nous aideront à élaborer une compréhension plus représentative de l’évolution du secteur, de la crise et de l’après-crise.
Comment réinventer la relation de service en situation de crise sanitaire ?
Les témoignages que nous avons recueillis, à la fois directement et dans la presse, font largement écho aux émotions des familles et à leurs difficultés à accomplir leur démarche d’adieu et d’hommage comme premier temps du deuil. Cet enjeu, qui intéresse plus directement les sociologues et anthropologues de la mort (cf. Le Monde, "Face au risque de contagion, comment maintenir les pratiques au fondement de la relation entre les vivants et les morts ?", 25 mars 2020), nous interpelle à travers la façon dont il retentit sur l’exercise professionnel des acteurs funéraires.
Sous cet angle, le premier constat est celui d’une tension majeure entre la priorité assignée au contrôle du process technique de gestion des défunts et la capacité à maintenir une relation de service laissant des espaces aux familles pour accomplir les gestes et témoignages d’hommage au défunt, sous quelque forme que ce soit.
Cette tension a été manifeste dans les zones fortement touchées par le Covid-19, exposées aux pressions "logistiques" liées à la surmortalité en même temps qu’au déficit d’Équipements de Protection Individuelle (EPI) : "J’ai géré des coups de fil par dizaine, les uns derrière les autres. Vous raccrochez, il faut prendre l’appel suivant, en bousculant le moins possible les familles, mais vous ne pouvez pas vous attarder. C’est du travail à la chaîne, on ne respire plus, on ne mange plus, on n’a pas l’habitude de travailler comme cela", raconte Michèle Aubry, directrice d’une entreprise de pompes funèbres strasbourgeoise.
La majorité des localités a pourtant davantage fait face à une sous-activité. Mais l’organisation de la relation de service a dû intégrer des dispositions réglementaires restrictives s’appliquant uniformément sur le territoire national pour l’ensemble des funérailles : impossibilité de recevoir les familles dans les enseignes, d’autoriser les visites nombreuses au funérarium, d’accéder à des lieux de culte, ou d’accueillir plus d’une quinzaine de personnes au cimetière.
D’autres contraintes ont affecté l’équilibre entre gestion des restrictions matérielles et qualité de service et d’accompagnement. La difficulté à exécuter des travaux de cimetière, par exemple, a empêché la réalisation de travaux anticipés, comme la pose de caveau, et accentué la pression sur les équipes au moment des inhumations. Conjuguée aux difficultés de gestion du personnel, la multiplication de ce type d’entraves pratiques peut inciter les opérateurs à recourir de fait à des simplifications provisoires dans l’organisation des funérailles.
Au-delà, c’est surtout la peur du Covid-19 qui oriente nombre de professionnels vers un principe de précaution renforcée : pourquoi ne pas appliquer les dispositions restrictives à "l’ensemble des défunts" dès lors que la suspicion de contamination est quasi générale ? Autoriser les familles à voir le défunt, n’est-ce pas courir le risque de contacts dangereux ? Faut-il dépouiller les funérailles de tout "objet-contact" : goupillon, cercueil, urnes, fleurs, etc. ?
À toutes ces questions, il peut être plus simple et précautionneux de répondre par des stratégies d’évitement : éviter de présenter le défunt, éviter de laisser les familles revendiquer tel ou tel geste, éviter de toucher le cercueil, éviter l’inhumation en présence des proches, etc. Mais le risque est aussi qu’à dépouiller toujours davantage l’espace rituel par des interdits pratiques, on finisse par priver les familles de toute capacité d’investir symboliquement l’adieu et l’hommage à leur proche. Or cet investissement passe aussi par des gestes et des mises en situation permettant d’exprimer de l’attachement et des affects, ou d’accomplir un travail rituel. "Un deuil, c’est tout sauf du confinement, vous avez besoin de voir les personnes et de les serrer… Des personnes espacées les unes par rapport aux autres, c’est très difficile, parce qu’on a l’impression de ne pas mener les choses jusqu’au bout", évoque Manuel Sauveplane.
Conséquence indirecte d’ailleurs du poids des restrictions, certaines familles se désengagent totalement : "Par deux fois, nous nous sommes retrouvés seuls aux obsèques", évoque Olivier Corolleur, directeur d’agence de la périphérie lyonnaise. Une famille témoigne : "On ne va pas traverser la France pour se retrouver quelques minutes devant un cercueil fermé", témoigne l’une d’entre elles. L’enjeu est donc que les réponses bâties dans l’urgence ou sous la contrainte fassent place à des apprentissages dans la gestion et la maîtrise des risques, compatibles avec les exigences de protection des salariés. L’entrée dans une seconde phase de "vie avec le Covid-19 pourrait ainsi ouvrir à de meilleurs équilibres entre facilitation matérielle, principe de précaution et accompagnement des familles. "On reste le dernier témoignage d’humanité sur terre", rappelle le sociologue Tanguy Chatel.
Sur ce plan, c’est autour de l’organisation des funérailles et des cérémonies à distance que l’on peut identifier un premier mouvement de renouvellement de l’offre de services. Certes, de nouveaux "players" avaient déjà fait leur entrée dans le secteur avec des offres accordant une place croissante à la dématérialisation des process, en particulier dans les échanges avec les conseillers et l’organisation pratique des obsèques. Mais le champ du cérémonial et de l’hommage était encore peu investi. Une participation lointaine à la cérémonie, relayée par le média numérique, est devenue, en un temps accéléré, une pratique acceptable, voire socialement acceptée, faisant place à de nouvelles offres de service privées ou associatives. "Les pompes funèbres commencent à aller sur le terrain du deuil", suggère Tanguy Chatel. Le numérique prend le relais là où les interactions directes sont prohibées : condoléances sur site, cérémonie ou hommage à distance.
Pour les pionniers mentionnés plus haut, l’offre d’une plateforme de retransmission pour les proches a été très rapidement intégrée. Des entreprises bénéficiant d’un certain volume de décès, comme la SEM de Béziers, se sont équipées en matériel audiovisuel, et assurent une retransmission conforme aux réglementations (RGPD). Pour les petites structures, l’offre peut passer par la sous-traitance à des sociétés de l’événementiel qui se positionnent d’autant mieux sur ce marché de niche que leurs segments privilégiés ont disparu avec la crise. Mais, dans leur majorité, les témoignages recueillis évoquent des initiatives informelles et bricolées, portées par les familles à l’aide de leur propre smartphone. "Je ne vois pas une explosion de la demande des clients, ça se fait déjà tout seul, par ceux qui veulent", relativise Didier Kahlouche, co-président de la CPFM.
Il faudra attendre le temps des enquêtes systématiques pour diagnostiquer si cette évolution est massive et durable, ou tient d’une adaptation ponctuelle au contexte sanitaire. Étonnamment, seule la presse nationale s’est un peu arrêtée sur ces nouvelles pratiques, sans leur accorder une attention soutenue. L’évocation de l’entrée du numérique dans les funérailles est plutôt de l’ordre du trivia et de l’anecdote : on raconte ici que les gens du voyage sont 3 000 sur un Facebook Live, là qu’un proche filme sur WhatsApp, là encore qu’une régie a proposé des funérailles en vidéo ou une agence un boîtier audio, tandis qu’un gérant de pompes funèbres suggère que cela ne touche pas même 10 % des cérémonies. Dans la représentation produite par les médias, l’enjeu de la numérisation semble rester marginal.
Autre voie explorée aussi bien par les opérateurs funéraires que par d’autres participants à l’espace des funérailles et du deuil ainsi que par les familles : des cérémonies organisées ultérieurement, lorsque l’épisode pandémique sera terminé. C’est notamment du côté des petites coopératives (Nantes, Bordeaux) et des pompes funèbres confessionnelles, qui ont fait du cérémonial et de l’accompagnement du deuil un lieu privilégié de différenciation, que l’on voit apparaître ce type d’initiatives.
Funérailles simplifiées, numérisation des cérémonies ou des condoléances, limitation des déplacements : la crise du Covid-19 pourrait être prétexte à voir se manifester des formes de réinvention sociale des funérailles, accentuant une tendance au resserrement autour du cercle des proches et à l’assouplissement des obligations conventionnelles des cercles plus éloignés.
La presse : un autre regard sur les pompes funèbres
Interpellés par la façon dont les journalistes relayaient les difficultés au quotidien des opérateurs funéraires, nous avons collecté plusieurs centaines d’articles issus des diverses presses locales et nationales françaises, suisses et belges entre le 1er mars et le 30 avril, et analysé la façon dont ils rendaient compte de la situation de crise au sein du secteur.
Notre constat est que les médias ont offert une tribune inédite aux pompes funèbres en apportant un éclairage nouveau sur leur activité. La presse, d’ordinaire habituée à produire des variations autour de l’image d’Épinal du croque-mort sans scrupule de Lucky Luke, s’est davantage intéressée aux travailleurs de l’ombre, à l’arrière-boutique de l’épidémie, au travail des pompes funèbres "la peur au ventre" face au virus.
Du "bout de la chaîne" à la "première ligne", la presse ne tarit pas de métaphores empruntant au champ lexical du champ de bataille pour raconter les travailleurs affrontant la crise sanitaire, en contact direct avec les corps potentiellement habités par le virus, peut-être même davantage qu’avec la mort elle-même. Les professionnels du funéraire sont "au front", "en première ligne", mais "oubliés", ils opèrent un "discret labeur", "sacrifiés" dans des "morgues comme un champ de bataille", ils sont "sur le pied de guerre" pour "faire face".
D’autres articles accentuent leur solitude à distance de toutes les autres premières lignes, et les décrivent comme étant "en dernière ligne", ou "en bout de chaîne". Ces histoires sont illustrées de récits, de portraits, et de professionnels qui se racontent. Elles sont majoritairement couvertes par la presse locale, mais elles évoquent des problèmes qui n’ont rien d’anecdotique, comme l’accès aux EPI ou les conditions troublées de l’accueil humain des proches et des familles.
Ce récit médiatique du funéraire permet également à la presse de faire du secteur une caisse de résonance pour des problématiques politiques, sanitaires et organisationnelles relatives à la gestion de la crise. Les témoignages parlent de l’impossible maintien de la dignité et de la pudeur dans l’accompagnement des défunts. Ils décrivent de nouveaux protocoles, mais aussi la difficulté de les appliquer en situation (mise en bière immédiate, retrait du pacemaker, contraintes formelles d’organisation des funérailles en comité réduit, etc.). Dans la presse locale, l’angoisse d’être au contact de défunts potentiellement infectés est transformée en dénonciation de l’impossibilité d’accéder à des protections sanitaires. Enfin, ces récits donnent à voir toutes les interfaces avec d’autres systèmes en tension (soignants en hôpital ou en EHPAD, par exemple). En somme, la presse reconstruit l’arrière-boutique des pompes funèbres aux yeux du grand public, et dépasse l’image de façade.
En toute logique, cette même presse locale se transforme aussi en nouvelle tribune, notamment politique. Tous les jours, des professionnels déplorent d’abord ne pas être classés parmi les professions à risques et prioritaires dans l’accès aux équipements. Puis ils interpellent les pouvoirs publics, via des courriers adressés au Premier ministre, quant au manque d’équipement et à l’impréparation des circuits d’approvisionnements. La presse relaie un préavis de grève déposé par la CGT et auxquels se joignent des opérateurs funéraires syndiqués. Dans le secteur de la thanatopraxie, certains praticiens attirent le regard sur le fait que leur profession pâtit de l’arrêt des soins, quand d’autres publient des tribunes en faveur d’une continuité de leur activité. Partout, des opérateurs ou des gérants déplorent le peu d’attention qu’on leur prête, ne serait-ce que sur le plan institutionnel et politique. "On exerce déjà un métier connoté très négativement au départ. Avec le Covid-19, c’est encore pire", confie une gérante de la Somme au Courrier Picard le 29 mars. "Pas d’applaudissements tous les soirs à 20 heures, pas de "Merci” sur des petits mots", déplore La Provence le 11 avril, avant de laisser la parole à un gérant bruxellois : "On a un fort sentiment d’abandon. Les soignants ont eux une sorte de reconnaissance. Pour les masques et les combinaisons, on s’est débrouillés seuls. Les autorités n’ont pas pensé à nous."
La presse locale et régionale donne de l’écho à la façon dont les pompes funèbres contribuent à l’effort collectif sans nécessairement mettre l’accent sur les régions en tension. Elle multiplie les récits d’attente et d’adaptation, "l’attente de la vague" et la préparation "pour faire face". Alors que l’épidémie avance, de plus en plus d’articles et de témoignages paraissent pour nuancer la crise et raconter une curieuse normalité. "Je n’ai pas enregistré de décès depuis deux semaines", raconte un gérant de Niort au Courrier de l’Ouest du 11 avril. Les professionnels interrogés expliquent qu’il faut nuancer le pic de mortalité, que le confinement réduit les accidents de la route, certains s’estiment "préservés pour le moment". On lit aussi le sentiment d’être coincés dans le calme avant la tempête, un temps long qui dure, marqué par de nouvelles mesures drastiques de sécurité, l’inquiétude, et un sursaut d’activité qui ne vient pas.
Dans la presse nationale, le traitement est tout autre. Ses comptes rendus médiatiques fonctionnent moins par portraits que par zones… comme une série de reportages sur le front. "Chaque maillon de la chaîne du funéraire est en tension", les pompes funèbres sont "submergées", elles craignent la "saturation dans les morgues" en Alsace, c’est un "cauchemar collectif" dans l’Est, elles fonctionnent à "flux tendu", en proie au "désarroi". Ce faisant, elle se fait aussi l’écho de polémiques nationales, autour de la gestion de la morgue de Rungis, par exemple. Elle relate tout autant les tensions que subissent les services funéraires ailleurs dans le monde : les convois militarisés de cercueils en Italie, les fosses communes à New York, les infrastructures équatoriennes saturées jusque dans les rues de Guayaquil, ou encore la réquisition de la patinoire à Madrid.
Enfin, la presse raconte, dans l’immense majorité de ses publications, la peur et les émotions des professionnels du funéraire. Les pompes funèbres sont "inquiètes", ce qui se passe est vécu comme "inhumain", les professionnels sont dans "le flou", en proie à "l’angoisse", "désemparés" et "démunis", le travail est un "enfer" vers lequel on va "la boule au ventre". Les pompes funèbres se retrouvent "au pied du mur ", tout est "très dur", d’urgence et de "système D", on n’est "pas sereins" tant la situation est "horrible à vivre". "Confrontées au pire", les pompes funèbres sont "bouleversées", l’ambiance est à la "paranoïa" et à la "rancœur", le manque de reconnaissance des pouvoirs publics est une "double peine". "C’est très dur" pour un gérant qui pensait "avoir le cuir dur", mais "dont la voix chevrote" dans l’édition d’Aujourd’hui en France du 2 avril. "C’est trop, il n’y a plus d’humanité, je ne suis pas entré dans les pompes funèbres pour faire ce que je fais aujourd’hui", raconte une gérante dans le Berry Républicain le 7 avril. La détresse psychologique est palpable, dans un travail décrit "sous l’ombre inquiétante du virus".
Le Covid-19, accélérateur de mutations sur le marché funéraire ?
S’il est encore tôt pour projeter le marché funéraire de l’après-coronavirus, il nous semble intéressant d’identifier des retombées possibles sur le marché funéraire. La crise aurait ici un effet accélérateur davantage qu’elle ne serait à l’origine de ruptures en tant que telles.
Une première ligne de changement prolonge ce que nous avons évoqué autour de la dématérialisation et de la transformation de la relation de service. Alors que le numérique s’invitait au sein du secteur funéraire sous la forme d’une révolution "douce", ralentie par ses spécificités – une clientèle âgée, attachée aux interactions personnalisées, un service indissociable de pratiques rituelles traversées par le lien à la tradition, etc. –, la crise a légitimé le recours à des interactions à distance en différents lieux de la chaîne des opérations funéraires : organisation avec le conseiller, démarches administratives, cérémonie rediffusée, condoléances en ligne, etc.
Ce phénomène pourrait accélérer une certaine banalisation du numérique dans les pratiques funéraires. Le rachat de "pure players" du Net par les groupes OGF-PFG et FUNÉCAP confirme l’attention portée par les leaders du secteur à une tendance qui pourrait à l’avenir ne plus se limiter à la clientèle des grandes agglomérations. Dans l’histoire des funérailles sur la longue période, la numérisation vient renforcer une transformation sociologique engagée depuis plusieurs décennies : allègement du faste, mise à distance de l’hommage dans son expression ostentatoire, pour privilégier l’expression de l’authenticité du lien, le resserrement autour du cercle familial, etc. Autrement dit, les rares ornementations encore présentes telles que les couronnes de fleurs et les plaques pourraient faire place à des modes d’expression encore plus en plus dématérialisés d’expression de l’hommage.
Autre tendance susceptible d’être intensifiée par la crise : la prévoyance
Le développement de la prévoyance funéraire, on le sait, connaît une croissance continue depuis le début des années 2000, conséquence de l’entrée de la bancassurance dans le secteur funéraire à la suite de la libéralisation de 1993. L’accroissement de la mortalité liée au Covid-19 touchant une population sensiblement plus jeune, de façon souvent brutale et accélérée, pourrait sensibiliser encore davantage la population des seniors, qui constitue le cœur de cible de ce marché.
Si, pour Philippe Martineau, directeur général de l’UDIFE (Le Choix Funéraire), le monde funéraire de demain sera plus que jamais celui de la prévoyance, c’est aussi en s’organisant à partir d’une offre de garanties de prévoyance intégrées. C’est déjà le cas aujourd’hui, les portefeuilles de contrat obsèques étant principalement associés à des contrats en capital souscrits auprès de grands acteurs de la bancassurance. Mais ces positionnements stratégiques ne viennent pas seulement de "pure players" financiers. Une offre de prévoyance intégrée couplée à celle de réseaux de soin (santé et services, transport sanitaire) et d’établissements de santé conventionnés ou intégrés (cliniques, EHPAD), comme peut le proposer le groupe Vyv (Maison des Obsèques), pourrait être particulièrement attractive dans une économie "d’après- Covid-19" au sein de laquelle l’économie de la santé sera encore plus centrale. "De grands groupes dont la mutualité se posent la question de faire de l’intégration horizontale. Ils vont de la crèche à l’obsèque, avec des sociétés de transport sanitaire, des cliniques, des EHPAD", confirme Philippe Martineau.
Nous terminerons cette première lecture réflexive de la crise par une interrogation sur les retombées de la crise sur les entreprises funéraires. Car, surmortalité passagère ou pas, les opérations funéraires en temps de Covid-19 sont loin d’être économiquement rentables. Interdiction des soins de thanatopraxie, des personnels en moins, une offre de services réduite au strict minimum, arrêt de la vente d’accessoires et report des travaux de marbrerie, des pans entiers de l’activité professionnelle et économique disparaissent. Tandis que les mesures de prévention augmentent les coûts fixes. "Le tissu des PME-TPE est habitué à subir des pics et est relativement résilient", indique Sylvestre Olgiati, directeur de FUNEPRO, spécialisé dans la vente d’articles funéraires. L’agilité et l’inscription territoriale forte des indépendants favorisent une certaine résistance, mais pour combien de temps ?
Pascale Trompette
Directrice de Recherche/Senior Research Fellow, CNRS, Laboratoire PACTE
Victor Potier
Docteur en sociologie/Post-Doctorant – Projet ANR CaNoE, Laboratoire PACTE
Directrice de Recherche/Senior Research Fellow, CNRS, Laboratoire PACTE
Victor Potier
Docteur en sociologie/Post-Doctorant – Projet ANR CaNoE, Laboratoire PACTE
Nota :
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Résonance n° 161 - Juin 2020
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