Situé au nord-ouest du golfe d’Ajaccio, sur la route des Sanguinaires, qui mène à la pointe de la Parata, ce qui lui vaut son surnom de "cimetière des Sanguinaires", U Cannicciu, avec ses allées, ses places et ses imposantes chapelles, est une véritable petite ville dans la ville. Il tire son nom des cannes qui avaient envahi le terrain sur lequel il a été créé dans les années 1830, sous lequel passe un cours d’eau.
En 1868, Jérôme Maglioli, célèbre architecte et décorateur ajaccien, à qui l’on doit notamment un célèbre portrait du cardinal Fesch, conservé au musée du même nom, la Fontaine des quatre lions, monument à la gloire de Napoléon premier, qui fournissait autrefois de l’eau potable aux habitants de la ville, ou encore la fresque qui orne la chapelle impériale, fit réaliser les premiers travaux d’agrandissement du cimetière.
Nommée "nouveau cimetière", cette extension si semblable à une petite cité, vue du ciel et éclairée de nuit par la lumière des bougies, fut bombardée durant la Seconde Guerre mondiale, en lieu et place de la véritable ville d’Ajaccio. En réalité, il semble plutôt que la cible des Allemands ait été un dépôt de munitions italien situé un peu plus haut, mais l’anecdote est jolie.
À l’instar de Napoléon, qui fit construire le Père-Lachaise à Paris, afin d’y abriter les sépultures des personnalités qui ont marqué l’histoire de France, Maglioli s’inscrit dans cette continuité pour celle de la Corse. Ainsi, si son plus célèbre pensionnaire est le chanteur Tino Rossi, dont la villa fait face au cimetière, le Cannicciu abrite bien d’autres illustres personnages, à commencer par celui qui l’a inspiré, le ténor Gaston Micheletti. Le sculpteur ajaccien Pierre Dionisi fit de lui un portrait qui orne son caveau.
On y trouve également la tombe de Félicité Nicolai, première femme élue de l’histoire de France, qui siégea au conseil municipal après la Libération ou encore Joseph Spoturno, dit François Coty. Grand parfumeur, mécène et politicien, ce dernier fut sénateur de la Corse, puis maire d’Ajaccio de 1931 à 1934. Sa fille fit ériger une statue de la Madunnuccia au centre de l’allée principale.
Ironie de l’histoire, dans ce cimetière, se côtoient cet admirateur du fascisme mussolinien et un héros et martyr de la Résistance, Godefroy, dit Fred Scamaroni, haut fonctionnaire qui participa à de nombreuses missions au sein de la France Libre et se suicida dans sa cellule de la citadelle d’Ajaccio afin de ne rien dévoiler à ses tortionnaires italiens.
Le poète et écrivain Carulu Giovoni, le célèbre photographe Ange Tomasi. Le coureur cycliste Pierre Bordigoni, premier Corse à participer au Tour de France et fondateur du Tour de Corse… La liste des personnalités qui reposent au Cannicciu est encore trop longue pour toutes les citer, mais parmi les illustres insulaires, se trouve une lady anglaise. Ethnologue et historienne de la Corse, Dorothy Carrington, qui étudia durant cinquante années l’île, qu’elle parcourut à pied, et ses habitants. Elle disait d’elle : "Je crois que j’ai trouvé en Corse la part d’absolu que je quêtais depuis mon enfance".
De majestueuses sépultures, comme celle des Colonna d’Ornano, y côtoient des tombes plus modestes, dont de nombreux enfeus et des chapelles qui laissent parfois entrevoir des cercueils sur plusieurs étages. Il est possible d’arpenter le cimetière avec un guide, mais les plus beaux monuments, qui s'apparentent à des mausolées, se trouvent à l’extérieur, le long de la route des Sanguinaires, ce qui ne manque pas de surprendre les visiteurs.
En Corse comme ailleurs, l’art funéraire fait partie intégrante de la culture et pour qui cherche à découvrir d’Ajaccio davantage que ses plages et ses paillotes, la visite du Canniciu s’impose, au même titre que celle du musée Fesch.
Claire Sarazin
Résonance n° 153 - Septembre 2019
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