En 1963, Jacques Marette, premier thanatopracteur (et coinventeur du terme), fondait, avec Éric Aubert et Anne-Marie Bouquet, l’Institut Français de Thanatopraxie, afin de former les employés des pompes funèbres à cette technique d’embaumement chimique qu’il avait lui-même apprise en Angleterre.
L’opération consistait à ce moment là à conserver et présenter les corps des défunts en leur injectant une solution à base de formaldéhyde. Cinquante-cinq ans plus tard, l’école de Jacques Marette existe toujours et, si deux nouveaux fluides sans formol ont obtenu un agrément, la majorité des soins de conservation se déroulent exactement comme à l’époque.
Or, les temps changent, les mentalités évoluent et, si les attentes des familles restent les mêmes, les préoccupations écologiques entrent à présent en ligne de compte. À l’heure où les soins de conservation sont sur la sellette et que leur intérêt est remis en question, la thanatopraxie, si elle veut perdurer, va devoir s’adapter aux nouvelles exigences.
Les fluides d’embaumement du futur seront forcément sans formol, mais au-delà des molécules, c’est peut-être tout le procédé qui est à revoir. En effet, la conservation, qui a été jusqu’alors le point essentiel, l’est-elle encore ? Lorsque la question centrale était d’éviter à tout prix la dégradation des corps, la fin justifiait les moyens. La dangerosité des produits, la pollution des sols et les délais de rotation dans les cimetières ne préoccupaient personne en ce temps là. Il faut ajouter que, jusqu’ici, la thanatopraxie restait assez mystérieuse et que les questions des familles sur le mode opératoire étaient facilement éludées, non par manque d’honnêteté de la part des conseillers, mais simplement dans un souci de tact. À présent, les pompes funèbres ont un devoir d’information et de transparence.
Le moment est donc arrivé de s’inter-roger sur l’avenir des soins aux défunts. Le formaldéhyde est très efficace et nous maîtrisons bien son utilisation mais, en plus de ses effets délétères sur la santé des thanatopracteurs, il présente l’inconvénient d’enrayer le processus de thanatomorphose parce qu’il conserve par déshydratation, tout comme le sel utilisé pour les salaisons.
Certes, rien n’égalera cette molécule pour la conservation et la présentation des défunts, mais les enjeux sont différents aujourd’hui. Il s’agit à présent de permettre aux familles de veiller sereinement leurs défunts pendant les quelques jours qui précèdent les obsèques, mais aussi de laisser la nature reprendre ses droits ensuite et de limiter au maximum l’impact écologique. La thanatopraxie devra donc s’adapter à ces nouvelles exigences, sans quoi elle pourrait disparaître.
La pratique de l’embaumement a connu un formidable essor à partir des années deux mille. À cette époque où la cryogénisation faisait encore fantasmer sur l’immortalité, la thanatopraxie, en effaçant les stigmates de la mort, pouvait la rendre plus "acceptable".
Les soins de conservation sont aujourd’hui totalement rentrés dans les mœurs et un retour en arrière est difficilement concevable même si, comme le souligne un jeune confrère, thanatopracteur : "À part l’Amérique du Nord, le Royaume-Uni, la France et quelques exceptions ici et là, dans la plupart des autres pays du monde, on se passe des soins de conservation sans que cela semble poser problème. C’est avant tout une question de culture. Peut-être faut-il redéfinir la thanatopraxie pour assurer son avenir ?"
En plus de la méthodologie et des produits, c’est aussi l’organisation des soins qui serait à revoir : "Que dire du bilan carbone de chaque soin avec les kilomètres que nous parcourons ?" poursuit-il.
La thanatopraxie a connu son âge d’or et son apogée, elle doit à présent évoluer pour s’adapter aux nouvelles exigences de notre époque. Les thanatopracteurs sont très attachés à leur technique, que certains d’entre nous ont élevée au rang d’art, et l’idéal pour nous tous serait de continuer comme ça, mais ce que nous voulons a peu d’importance face à la réalité qui nous rattrape.
Une des pistes à explorer pour l’avenir serait peut-être de créer des étapes intermédiaires entre la simple toilette et le soin, qui ne devra plus être "de conservation" mais vraiment "d’hygiène et de présentation", comme cela est parfois aujourd’hui présenté à tort. Ainsi, les pompes funèbres disposeraient de plus d’options à proposer aux familles pour coller au mieux à leurs exigences et à leur budget.
Nous pourrions également imaginer que, dans le futur, les thanatopracteurs puissent - et c’est le cas quasiment partout ailleurs - travailler dans des locaux dédiés comme, par exemple, de grands laboratoires où les défunts transiteraient.
Bien sûr, tout cela impliquera une série de réformes dont les plus importantes seront celles de la formation et du diplôme. Si elle réussit cette transition, qui ne sera pas forcément simple et indolore, la thanatopraxie a sans doute encore de beaux jours devant elle.
Claire Sarazin
Thanatopracteur
Formatrice en thanatopraxie
Résonance numéro spécial - Août 2019
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