Le 10 juillet dernier, Jean-Pierre Sueur présentait les conclusions du rapport sénatorial dont il a assumé la fonction de rapporteur. C’est le point final de travaux qui ont démarré en décembre 2017 et mobilisé de nombreuses auditions. Le constat est parfois sévère pour les professionnels de pompes funèbres, tout en étant ambitieux pour les thanatopracteurs. Nul doute qu’une page va se tourner dans l’histoire de la thanatopraxie en France.
Ce rapport est le cinquième, en peu de temps, qui interpelle la filière funéraire sur ses pratiques :
- Le défenseur des droits a relevé les difficultés psychologiques liées à l’interdiction de soins de conservation sur un défunt porteur de virus du sida ou d’hépatite : la liste des maladies contagieuses a été rectifiée en conséquence, devenant au passage la liste des maladies transmissibles.
- L’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) a rédigé un rapport sur l’état des pratiques thanatopraxiques à la suite duquel le législateur de 2016 a défini précisément les soins de conservation pour les distinguer des autres techniques appliquées au cadavre. Un décret d’application a ensuite complété les recommandations de l’IGAS pour améliorer l’information des familles.
- 2019 a vu trois rapports tomber coup sur coup concernant au moins pour partie la thanatopraxie, sinon totalement pour ce qui concerne le rapport sénatorial. La Cour des comptes s’est inquiétée du coût des obsèques et a relevé l’incidence dans ce domaine des soins de conservation. La Direction Générale de la Concurrence, Consommation et Répression des Fraudes (DGCCRF) a souligné de nouveau l’incidence des soins de conservation à l’égard du libre choix des familles, de leur parfaite information au préalable et du coût entraîné par leur recours. Le rapport sénatorial opère ensuite comme la voiture-balai en synthétisant tous les aspects des soins de conservation prêtant à discussion, et en ouvrant la voie d’une évolution très large.
Si les professionnels du funéraire ne comprennent pas qu’après tout cela une mutation des pratiques est prévisible, ce serait désespérant pour eux. Il est impensable d’imaginer pouvoir résister désormais à l’évolution qui s’enclenche devant nos yeux. Il est possible, en revanche, de l’accompagner en améliorant sa trajectoire.
Vous remarquerez que, dans l’ensemble des rapports, s’il est souligné qu’existent des alternatives techniques aux soins de conservation, personne ne s’est donné la peine de les décrire précisément. Il y a là une lacune évidente pour aboutir à une saine réflexion dans ce dossier touchant aux pratiques sur le cadavre. C’est pourquoi ce dossier revient plus loin sur cette question.
Par ailleurs, vous remarquerez également qu’il est hautement probable que ceux qui ont pris leur plume pour écrire sur les soins de conservation, parmi les autorités qui ont délivré leurs rapports respectifs, n’ont que peu ou pas de connaissance concrète des réalités du cadavre. Tout du moins, on peut le penser en lisant entre les lignes. Il sera alors très, très utile d’établir un rapport détaillé à leur intention pour recentrer efficacement la pensée en la matière, d’autant que, pour parler de matière en la circonstance, il s’agit très souvent et logiquement de matières fécales (on ne peut jouer ici que sur les mots quand il s’agit d’intervenir de façon ultime sur les maux)... Fort modestement, un chapitre de ce dossier vise à poser le cadre des contraintes techniques s’appliquant au cadavre.
Enfin, à la lecture du rapport sénatorial, il m’est souvent venu à l’esprit le constat qu’une page est aussi tournée sur les connaissances scientifiques ayant contrôlé jusqu’à ce jour le dossier de la thanatopraxie. Pour exemple, le rapport sénatorial propose d’interdire les soins de conservation après une autopsie, alors même qu’en 1969, le premier rapport du professeur Fesneau sur la thanatopraxie touchait à son intérêt justement après une autopsie. Or ce professeur savait de quoi il parlait à l’époque, puisqu’il était la pointure nationale en matière de médecine légale avec Léon Derobert.
Ce n’est qu’en 1976, parallèlement à l’évolution réglementaire favorable à la thanatopraxie, que d’autres discours scientifiques prospices à celle-ci sont apparus (sociologie, psychiatrie, etc.). La thanatopraxie a profité d’illustres et qualifiés parrains faisant autorité dans leurs disciplines professorales, et j’ai profondément le sentiment que leurs pensées ne sont aujourd’hui pas prises en compte, mais, pire que cela, qu’elles sont tombées dans l’oubli. Thanatologie et thanatopraxie allaient de pair.
Mais où sont passé nos thanatologues aujourd’hui ? Où est la relève capable d’élever aujourd’hui le débat ? Telle est la question qu’il est nécessaire de poser non seulement à toute la filière funéraire, mais aussi aux pouvoirs publics…
Liste des 58 propositions :
I - Faire de la protection des familles une priorité
A - Clarifier la définition de la thanatopraxie
1. Compléter la définition de la thanatopraxie en précisant qu’elle constitue l’une des techniques autorisées de conservation temporaire du corps, avec d’autres techniques de conservation par le froid.
2. Clarifier la définition de la thanatopraxie en tant qu’acte invasif de conservation du corps et établir une distinction avec la toilette funéraire et les soins de présentation.
B - Garantir la liberté de choix des familles et lutter contre des pratiques abusives
3. Réaffirmer par voie de circulaire l’impossibilité de recourir à la thanatopraxie en cas d’obstacle médico-légal, y compris après autopsie judiciaire.
4 . Maintenir le principe du libre choix des familles ou du défunt de recourir ou non à la thanatopraxie, sauf exceptions légalement prévues.
5. Mener une réflexion dans le cadre du Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF) sur l’utilité de la thanatopraxie lorsqu’elle n’a pas d’effet conservateur.
6. Garantir le libre accès à la thanatopraxie pour tous les défunts :
- en corrigeant le modèle du certificat de décès pour assurer sa mise en conformité avec les règles en vigueur sur le don de corps ;
- en organisant des réunions d’information avec des médecins à l’intention des thanatopracteurs sur la prévention du risque infectieux ;
- en rappelant aux opérateurs de pompes funèbres et aux thanatopracteurs que la mise en bière immédiate ne permet ni la thanatopraxie ni les soins de présentation préalables.
7. Renforcer la portée du document d’information sur la thanatopraxie mis à disposition des familles et :
- rendre obligatoire sa transmission avec le devis remis à la famille ;
- l’annexer aux devis modèles déposés dans certaines communes ;
- étendre sa mise à disposition aux chambres mortuaires par voie d’affichage ;
- modifier son contenu en précisant les définitions respectives de la toilette, des soins de présentation et des soins de conservation, en le mettant à jour régulièrement en fonction de l’évolution de la réglementation en vigueur.
8. Inscrire précisément les trois rubriques (toilette funéraire, soins de présentation et soins de conservation) dans les devis modèles que les opérateurs funéraires doivent déposer auprès des communes. Leur demander de donner chaque année un prix pour chaque prestation, prix qui les engagera pour toute l’année en question.
9. Formaliser le consentement à la thanatopraxie ou aux soins de présentation dans les contrats prévoyant des prestations d’obsèques à l’avance.
10. Renforcer les contrôles de la DGCCRF et sanctionner davantage, sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses, les opérateurs funéraires qui :
- présentent des soins de conservation comme obligatoires ou les imposent, alors qu’il s’agit d’une prestation optionnelle ;
- facturent une toilette et/ou des soins de présentation lorsqu’ils n’effectuent pas cette prestation déjà effectuée dans son intégralité par le personnel des chambres mortuaires ;
- facturent des soins sans que leur nature (toilette, soins de présentation, soins de conservation ou thanatopraxie) soit définie ;
- facturent des soins de conservation et des soins de présentation lorsqu’un thanatopracteur intervient alors qu’il effectue obligatoirement l’ensemble de ces prestations lors d’une thanatopraxie.
11. Clarifier et rendre effective la procédure d’explantation de certains dispositifs médicaux en :
- définissant les responsabilités respectives des thanatopracteurs et des médecins ;
- permettant aux infirmiers d’effectuer cette opération, sur délégation des médecins et en en tirant les conséquences pour leur rémunération et conditions de travail ;
- définissant une rétribution propre à cette opération pour les médecins et les infirmiers.
II - Mieux prévenir les risques associés à la thanatopraxie en sécurisant les conditions d’intervention des thanatopracteurs
A - Pour une amélioration des mesures de prévention des risques adoptées par les thanatopracteurs
12. Imposer le respect de précautions universelles standard quel que soit le lieu d’exercice de la thanatopraxie et mener une campagne de sensibilisation auprès des thanatopracteurs à cet égard.
13. Assurer le respect par les thanatopracteurs en formation ou en exercice de leur obligation de vaccination contre l’hépatite B par une information et un contrôle effectif des préfectures.
14. Rappeler aux thanatopracteurs leur obligation d’être vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite en application de l’arrêté du 15 mars 1991 fixant la liste des établissements ou organismes publics ou privés de prévention ou de soins dans lesquels le personnel exposé doit être vacciné. Revoir la rédaction de cet arrêté pour viser clairement les opérateurs funéraires et les thanatopracteurs.
15. Clarifier la rédaction de l’art. R. 1335-2 du Code de la santé publique sur le régime de responsabilité des producteurs de Déchets d’Activité de Soins à Risque Infectieux (DASRI) pour prendre explicitement en compte les professionnels assimilés à des professionnels de santé qui sont producteurs de tels déchets, et donc les thanatopracteurs.
16. Définir une doctrine de contrôle des Agences Régionales de Santé (ARS) sur le respect de l’élimination des DASRI par les thanatopracteurs et mener les contrôles ciblés qui sont nécessaires à cet égard.
17. Inclure la transmission des pièces attestant de la traçabilité des DASRI parmi les critères de renouvellement de l’habilitation des thanatopracteurs.
18. Favoriser la gestion des DASRI par les chambres mortuaires par voie de convention sans décharger les thanatopracteurs et les opérateurs funéraires de leur responsabilité. Établir et diffuser une convention type auprès des thanatopracteurs. Étudier la mise en place d’un système identique avec les chambres funéraires.
19. Lorsque le transport de DASRI est inévitable, utiliser obligatoirement un véhicule adapté au transport de matières dangereuses.
B - Garantir aux thanatopracteurs des outils efficaces de prévention des risques
20. Imposer l’installation d’un système de captation de l’air à la source dans les chambres mortuaires et funéraires, avec évacuation extérieure de l’air pollué.
21. Mobiliser l’inspection du travail, en lien avec les ARS, pour mener à bien des campagnes de contrôle des chambres mortuaires et funéraires.
22. Contraindre les propriétaires des chambres funéraires ou mortuaires qui ne sont pas les employeurs des thanatopracteurs à se conformer aux mesures de prévention des risques chimique et infectieux.
23. Sanctionner de manière effective les responsables des chambres funéraires et mortuaires qui ne respectent pas la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité.
24. Faire un bilan du respect des règles imposées pour la thanatopraxie à domicile en 2021 et, le cas échéant, y mettre fin si les risques demeurent trop élevés pour le thanatopracteur et son environnement dès lors qu’il n’apparaîtrait pas possible, dans la plupart des cas, de respecter les mesures prescrites.
25. Mettre plus largement à profit les dispositions de l’art. L. 2223-39 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) permettant à une chambre mortuaire d’accueillir le corps de personnes décédées hors de l’établissement de santé gestionnaire de ladite chambre.
26. Transmettre au thanatopracteur par voie dématérialisée le volet administratif du certificat de décès, dans le cadre de la mise en place du certificat de décès électronique.
27. Créer des modalités ad hoc de suivi médical pour les thanatopracteurs indépendants. Identifier des médecins généralistes référents par région et imposer aux thanatopracteurs de les consulter au moins une fois par an.
28. Définir avec l’Inspection du travail un plan de suivi médical des thanatopracteurs salariés exposés à plusieurs facteurs de risques. Centraliser au sein du ministère du Travail les actions menées en ce sens.
29. Lancer un programme public de recherche pour le développement de produits de substitution au formaldéhyde pour la thanatopraxie.
III - Renforcer le pilotage des pouvoirs publics sur l’activité de thanatopraxie
A - Renforcer le contrôle de l’habilitation préfectorale des opérateurs funéraires proposant des prestations de thanatopraxie et le suivi de leur activité
30. Mettre en place un plan de suivi des habilitations accordées au titre de la thanatopraxie et effectuer des contrôles inopinés sur le fondement de l’art. R. 2213-44 du CGCT qui permet la surveillance de toutes les opérations funéraires, nonobstant le fait qu’une habilitation ait été accordée.
31. Sanctionner davantage les opérateurs funéraires par le retrait ou la suspension de leur habilitation lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations légales, et poursuivre pénalement ceux qui proposent des prestations de thanatopraxie sans y être habilités.
32. Mettre en œuvre le Référentiel dématérialisé des Opérateurs Funéraires (ROF) comprenant des indicateurs quantitatifs et qualitatifs.
33. Établir un formulaire unique numérique de déclaration préalable à la thanatopraxie pour favoriser l’harmonisation des informations délivrées, et l’intégrer au référentiel dématérialisé des opérateurs funéraires.
34. Créer un fichier national des thanatopracteurs pour assurer le suivi de la profession.
B - Améliorer l’organisation des pouvoirs publics impliqués dans le contrôle et la régulation de la thanatopraxie
35. Confier au ministère en charge du secteur du funéraire le rôle de "chef de file" pour la supervision de l’activité de thanatopraxie et de la profession de thanatopracteur, au titre du service extérieur des pompes funèbres.
36. Assurer l’intervention et l’appui des ministères du Travail et de la Santé pour l’exercice de leurs compétences respectives. Formaliser les rôles de chaque acteur ministériel dans une convention.
37. Créer un comité de pilotage tripartite avec les ministères en charge du secteur funéraire, de la santé et du travail, pour mettre en œuvre les réformes du secteur de la thanatopraxie, et garantir la bonne coopération de tous les acteurs, sous l’égide du ministère en charge du secteur funéraire.
38. Modifier la composition du CNOF pour y intégrer des représentants du ministère du Travail.
IV - Mettre fin aux dysfonctionnements dans l’accès à la profession de thanatopracteur et mieux l’accompagner dans l’exercice de son métier
A - Mettre fin aux dysfonctionnements dans l’accès à la profession de thanatopracteur
39. Confier l’organisation du diplôme national de thanatopracteur au ministère en charge du secteur funéraire, avec l’appui des ministères de la Santé et du Travail.
40. Substituer au CNT (Comité National d’évaluation de la formation pratique de Thanatopracteur) un dispositif à caractère public pour l’organisation de l’évaluation de la formation pratique du diplôme national de thanatopracteur.
41. Revoir le processus d’élaboration des sujets des épreuves théoriques en confiant au président du jury national la détermination de leur contenu en totale indépendance par rapport aux organismes de formation.
42. Revoir la grille d’évaluation des épreuves pratiques et prévoir des critères éliminatoires relatifs aux gestes techniques de la thanatopraxie.
43. Garantir l’impartialité et l’indépendance des évaluateurs de la formation pratique en :
- proscrivant l’évaluation d’un candidat par son propre formateur ;
- prévoyant la présence d’un évaluateur membre du jury national pour chaque candidat ;
- organisant des modalités de déport en cas de lien personnel ou professionnel entre un candidat et un évaluateur ;
- rendant publique la liste des évaluateurs désignés par voie d’arrêté ministériel ;
- organisant les évaluations sur le territoire de façon à limiter les conflits d’intérêts ;
- assurant un meilleur défraiement des évaluateurs.
44. Former les membres du jury et les évaluateurs de la formation pratique à leurs fonctions.
45. Publier chaque année un rapport du jury présentant un bilan quantitatif et qualitatif de l’attribution du diplôme national de thanatopracteur.
46. Rendre plus accessibles au public les informations relatives au diplôme national et publier au Journal officiel tous les actes administratifs, y compris la liste annuelle des thanatopracteurs diplômés.
47. Rationaliser le calendrier d’organisation du concours afin de délivrer le diplôme dans un meilleur délai que ce n’est le cas aujourd’hui.
48. Relever le "numerus clausus" de 10 à 15 % pour permettre de diversifier l’offre de thanatopracteurs sur le territoire.
49. Mobiliser les DIRECCTE (Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi) pour organiser une campagne de contrôle des organismes privés de formation au diplôme national de thanatopracteur.
50. Imposer, comme prérequis à l’inscription en formation au diplôme national de thanatopracteur, le suivi d’un stage d’observation de courte durée auprès d’un thanatopracteur diplômé.
51. Mettre en place une procédure de présélection des candidats commune à tous les organismes publics ou privés qui proposent une formation au diplôme national de thanatopracteur.
52. Revoir le contenu du programme de la formation théorique et l’adapter aux besoins de la profession, en renforçant les modules sur l’hygiène et la prévention des risques professionnels, la déontologie et la réglementation funéraire, sans réduire le nombre d’heures consacrées à la médecine légale.
53. Définir strictement les titres et diplômes requis pour enseigner les matières au programme de la formation théorique du diplôme national de thanatopraxie.
54. Généraliser, pour la formation pratique en entreprise, la signature de conventions de stage tripartite entre l’organisme de formation, le stagiaire et l’organisme d’accueil.
B - Accompagner les thanatopracteurs dans l’exercice de leur métier
55. Mettre en place une formation continue à l’occasion du renouvellement de l’habilitation. Inclure, le cas échéant, le fait d’avoir suivi cette formation continue parmi les critères de renouvellement de l’habilitation.
56. Confier aux professionnels, sous l’égide des pouvoirs publics, le soin d’élaborer un cahier des charges standardisé du processus de thanatopraxie et un guide de bonnes pratiques.
57. Prévoir la rédaction d’un compte rendu d’intervention pour chaque thanatopraxie quel que soit le lieu où elle est effectuée.
58. Élaborer un "corpus" de règles déontologiques propre à la profession de thanatopracteur.
Oliver Géhin
Professionnel funéraire
Journaliste
Résonance numéro spécial - Août 2019
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