Jean-Pierre Sueur est décidément l’aiguillon qui pique régulièrement l’épiderme de la filière funéraire en la forçant à réfléchir sur elle-même. Évoluerait-elle s’il n’y avait pas ce type de stimulation ? Les gouvernements successifs s’empareraient-ils des questions et enjeux du funéraire s’il n’y avait pas ce starter de la réflexion parlementaire ?
Le sénateur Sueur est toujours disposé à nous répondre et, donc, par ce moyen, nous avons la capacité de connaître plus précisément les objectifs qu’il poursuit. Néanmoins, pouvons-nous dans ce dossier nous attendre à une nouvelle loi ? Rien n’est moins sûr, car la majeure partie des recommandations présentées par le rapport sénatorial touche au domaine de la réglementation, et non d’une loi.
Rappelons-nous une actualité presque encore chaude : la simplification du service de santé, loi de 2016, qui a défini officiellement les soins de conservation ; et le décret d’application de 2017 qui a formalisé la proposition de ces soins en officialisant un document d’information destiné aux familles.
Si, sur ce coup, Jean-Pierre Sueur veut pousser une proposition de loi, il se heurtera à deux difficultés de taille :
- la technicité du dossier ;
- un contenu réduit pour justifier cette initiative dans la mesure où la loi du 19 décembre 2008 a déjà cadré et/ou réglé certains aspects propres au funéraire.
Pour autant, Jean-Pierre Sueur a bel et bien saisi l’importance éthique de deux angles d’approche du funéraire :
- ce qui touche au corps (loi de 2008 pour les pratiques crématistes notamment, et aujourd’hui son rapport sur la thanatopraxie) ;
- ce qui touche à l’argent (question des devis-types, enjeux de la prévoyance funéraire).
Reconnaissons-lui cette cohérence d’action, même si les propositions qu’il avance sur l’une ou l’autre de ces questions de l’éthique dans le funéraire ne correspondent pas toujours concrètement à l’intérêt des familles. S’il faut se lamenter de quelque chose, soyons assez clairvoyants et honnêtes pour reconnaître que c’est à la filière d’apporter les réponses précises aux besoins des familles, parce que c’est elle qui est en rapport direct et quotidien avec les difficultés qu’elles rencontrent au moment d’un décès.
Quand, au final, les professionnels ne sont pas satisfaits d’une réforme les touchant, ce sont eux qui doivent en assumer la majeure responsabilité. Cela veut dire qu’ils n’ont pas su s’expliquer, ou anticiper, ou rejoindre une notion d’intérêt général dans laquelle tout un chacun y retrouve son intérêt, le gouvernement, les familles et la filière professionnelle.
Dans le domaine de la thanatopraxie, il va falloir prouver :
- que les soins de conservation sont effectivement recherchés par les familles ;
- que l’absence de soins de conservation serait plus préjudiciable que leur interdiction (car au fond du problème, c’est bien de cela qu’il est question).
Prenons le cas d’un décès survenant dans un domicile, en zone rurale, où les coutumes familiales et locales sont encore des références choisies. On voit bien toute la limite à laquelle se sont déjà heurtés le législateur de 2016 et le rapport sénatorial de cette année. On n’écartera pas d’un simple revers de la main la nécessité de répondre efficacement aux besoins de toutes les familles confrontées à un deuil. Il faudra tenir à disposition de chacune d’entre elles un bouquet de solutions permettant de concilier l’exercice d’un réel choix et l’assurance de conditions favorables à la bonne exécution des funérailles.
C’est avec la volonté d’accompagner positivement la démarche de Jean-Pierre Sueur que ce dossier a été monté. Mais pas uniquement. Il sera déterminant d’élaborer une doctrine de métier conciliable avec tous les impératifs de la société française actuelle. Cette doctrine définissant notre rapport technique au cadavre devra être respectueuse des sensibilités familiales les plus diverses et des impératifs d’ordre public, tout en assurant la rentabilité logique et raisonnable de nos activités professionnelles.
Il s’agit de la santé de nos entreprises comme de celle des travailleurs. Le rapport sénatorial a le mérite d’embrasser toutes ces facettes de la question thanatopraxique. Mais c’est à vous, professionnels funéraires, de faire connaître désormais la réponse que vous apportez aux questions soulevées par le rapport. Parce que, quand bien même le nombre d’auditions fut important, il ne faut pas qu’à ce stade la messe soit dite.
Ce qui suit dans notre dossier doit contribuer originalement à votre réflexion :
• La thanatopraxie dans son contexte général met en lumière des dimensions éthiques et historiques de la thanatopraxie en France qu’il serait dommageable d’ignorer ;
• Les 58 propositions sénatoriales récapitulent le rapport de Jean-Pierre Sueur en le situant dans l’évolution récente de la pensée des pouvoirs publics et des ministères concernés par le dossier ;
• La thanatopraxie et les pompes funèbres rejoignent l’objectif d’une sécurité maximale des opérateurs funéraires proposant la thanatopraxie aux familles (car ce sont ces derniers qui sont potentiellement visés par des contrôles répressifs, et non les thanatopra cteurs, pour qui les pouvoirs publics ne rechercheront qu’une protection et une spécialisation accrues) ;
• La thanatopraxie et ses alternatives techniques entre de plain-pied dans le défi de répondre efficacement aux demandes familiales. Il lime la portée des légendes techniques, pose un cahier des charges face au cadavre, et ouvre des perspectives d’innovation ou de recentrage.
Ensuite, Résonance sera ouvert à vos opinions et témoignages…
Oliver Géhin
Professionnel funéraire
Journaliste
Résonance numéro spécial - Août 2019
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