Il y a deux mois, je commençais ce dossier en évoquant des têtes qui vécurent quelques aventures post-mortem avant de retrouver le repos éternel, puis je récidivais en commettant une suite sur les parties honteuses de quelques personnages qui marquèrent l’Histoire(*). Dans cet épisode, il sera question de corps entiers qui ont eu un destin extraordinaire. J’ai évoqué dans la deuxième partie que je parlerais d’une tête supplémentaire que je n’avais pas encore abordée. C’est parce qu’elle a une particularité qui fait qu’elle a plus sa place ici.
Il s’agit du crâne de Descartes, le fameux philosophe de "Je pense donc je suis". Il meurt en 1650 à Stockholm, où il est inhumé. En 1666, la France réclame la dépouille du grand homme à la Suède, dont le transport est assuré avec une multitude de précautions, de peur qu’on ne vole la précieuse dépouille. Il est réinhumé sans cérémonie dans une église parisienne, ou il reposera jusqu’aux fameuses profanations de la Révolution française.
Alexandre Lenoir - un peintre de l’époque, sacré personnage, à qui je consacrerai un article complet dans quelques numéros - était chargé de superviser l’ensemble des exhumations, officiellement pour en lister les objets précieux lors des excavations. Mais sa vision artistique lui donna envie de collectionner quelques pièces remarquables, qu’il pensait exposer dans un musée entièrement conçu par et pour lui-même avec des pièces pouvant être aussi hétéroclites que sordides. C’est dans cette optique qu’il se retrouva en possession des restes du philosophe.
Descartes prend donc place dans le fameux "Jardin Élysée", le musée personnel, musée qui ferme au moment de la Restauration. La plupart du corps de Descartes arrête son voyage dans une église de Saint-Germain-des-Prés, où il est encore aujourd’hui. Le crâne, lui, serait passé de mains en mains, jusqu’à finir dans une vente aux enchères, puis se retrouve finalement envoyé par colis postal à un naturaliste. Puis il finit au Jardin des Plantes, puis dans un coffre dans les réserves du Musée de l’Homme, où il demeurerait toujours. En 1913, on le prête à l’étude de Paul Richer, membre de l’Académie de Médecine et des Beaux-Arts, qui a sculpté un buste de Descartes, à l’échelle réelle, dans lequel le crâne s’emboîte à la perfection. Mais, comme l’Histoire est facétieuse, tout comme Napoléon a trois pénis "authentiques", Descartes aurait quatre autres crânes. Le voilà, le secret de son génie : il avait cinq têtes ! Tout s’explique …
Je ne résiste pas à l’envie d’enchaîner sur un deuxième personnage, qui me semble être un beau pied de nez au précédent qui osait dire "Je pense donc je suis" à l’époque où l’on considérait comme inférieur tout homme s’il n’était pas blanc et catholique.
Depuis le milieu du XIXe siècle, à l’époque où le colonialisme était considéré comme normal, un musée espagnol présentait dans ses collections une pièce tout à fait singulière, présentée au milieu d’animaux naturalisés. La pièce était intitulée "El Negro", mais était immatriculée "objet n° 1004" dans l’inventaire du musée. Cette pièce était… un homme empaillé. Un jeune homme, noir, probablement originaire du Botswana. Son décès remonterait à 1830. Écorché, sa peau tannée à l’arsenic fut assemblée sur une armature faite de quelques-uns de ses os longs et d’une structure d’acier et de plâtre. Noirci au cirage, il était présenté dans une pose grotesque, une lance à la main et un pagne en guise de vêtement. D’abord "propriété d’une collection privée", il se retrouva en 1916 au sein du musée de Banyoles, en Catalogne. Il y demeura pendant près de 80 ans, jusqu’à ce qu’il suscite l’émotion d’un visiteur haïtien. Le musée consentit finalement à démonter concile cadavérique qui fut restitué au Botswana sous forme de restes humains, soit près de 170 ans après sa mort. Pour l’anecdote, le corps empaillé d’un ouvrier espagnol repose dans les réserves d’un musée français, habillé d’un costume et "rangé" dans un coffre qui fait office de cercueil.
À l’inverse d’ "El Negro", certains personnages furent embaumés et exposés, non pas comme des pièces de musée, mais comme une forme de gloire éternelle. Le plus célèbre d’entre eux : Lénine. Le leader de la révolution russe repose depuis 1924 dans un mausolée qui lui est entièrement dédié, même si sa volonté était de reposer simplement dans un petit cimetière. Mais le Parti communiste préféra choisir l’option de l’embaumement pour que le génie du leader continue à galvaniser le peuple. Le corps fut préparé selon une méthode exclusive et jalousement gardée, qui consiste grosso modo en l’éviscération complète du corps (y compris le cerveau, qui fut étudié pour trouver l’origine du génie de Lénine, et les yeux, qui furent remplacés par des prothèses), des bains réguliers dans une solution conservatrice, et un emballage complet dans une combinaison en caoutchouc. Depuis 1924, un budget est alloué annuellement pour entretenir le mausolée et son illustre locataire, ainsi que pour lui acheter de nouveaux vêtements, Lénine devant toujours être à la dernière mode. Il fut même caché en Sibérie, voyageant dans un train blindé pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré de nombreuses demandes d’inhumation, l’homme le plus célèbre de la place Rouge est toujours à sa place, où il reçoit encore de nombreuses visites.
Il fut un temps accompagné de Staline, mais Khrouchtchev, lors de sa politique de déstalinisation, décida de placer la dépouille du "Petit Père des peuples" dans un emplacement du cimetière du Kremlin. Tout le monde n’a pas la glorieuse aura de Lénine.
D’autres pays - tous communistes -, inspirés par l’éternité de l’enveloppe charnelle du père de la révolution soviétique, confièrent le corps de leurs leaders au laboratoire du mausolée. Ainsi, Mao, Hô Chi Minh, Kim Il-Sung et plus récemment Kim Jong-il. Ils furent tous préparés de la même façon, avec plus ou moins de réussite. Une bien étrange façon de célébrer l’égalité des hommes…
L’ex-maréchal Pétain eut droit après sa mort à un drôle de voyage
Il meurt sur l’île d’Yeu, où il est détenu en 1951, et inhumé au cimetière de Port-Joinville, chef-lieu de l’île, lui qui voulait pourtant être enterré dans l’ossuaire de Douaumont, là où reposent tous les soldats de la bataille de Verdun.
En 1973, un commando d’extrême droite, voulant transférer lui-même le corps à l’ossuaire, profana la tombe pour en extraire le cercueil, chargea le maréchal dans une camionnette puis rejointa la tombe pour effacer les traces de l’évasion de son locataire. Dès le lendemain du forfait, la fraîcheur des joints et la propreté impeccable de la tombe intriguèrent le gardien du cimetière, qui prévint les gendarmes. Rapidement, les voleurs de cercueil, ayant mal préparé le voyage de leur passager, paniquèrent, et l’un d’eux se dénonça alors que le cercueil était en stand-by à Paris. Retrouvé, le cercueil fut reconduit à la chapelle de l’hôpital du Val-de-Grâce, gardé toute la nuit par des hommes en arme. Dès le lendemain, il fut ramené sur l’île d’Yeu en hélicoptère, et réinhumé, non sans garder une trace de son voyage : l’un des ravisseurs grava ses initiales dans le bois. Afin de garantir un peu de tranquilité à l’ex-maréchal, la tombe fut comblée de béton. Ça lui passera ses envies de liberté.
Pétain n’est pas le seul dont le cercueil fut volé
Le corps d’Eva Peron - parfaitement embaumé - fut volé et disparut pendant près de vingt ans, tandis que celui de Charlie Chaplin quitta sa tombe pour être finalement retrouvé au beau milieu d’un champ. Qui a dit que mourir était de tout repos ?
D’autres corps ne connurent pas le repos pour les punir. Un peu comme il arriva à la malheureuse dépouille de Cromwell, Concino Concini, personnage coloré et exhubérant, conseiller de Marie de Médicis, qui faisait beaucoup d’ombre au jeune Louis XIII. Un complot se fomenta pour faire disparaître l’encombrant italien. Assassiné, il fut enterré à la hâte dans une église. Très peu populaire, les Parisiens exhumèrent le corps quelques jours après, le débitèrent et accrochèrent les différents morceaux à des potences, qui finirent finalement brûlés.
Le pape Formose, pape du IXe siècle, fut lui aussi sorti de la tombe pour y être châtié, mais pas de la même façon. Formose s’était créé quelques problèmes d’ordre politique alors qu’il était évêque. L’un de ses successeurs, Étienne VI, considérant que Formose n’était pas digne d’être pape, organisa un procès un an après sa mort, qui fut connu sous le nom de "concile cadavérique". Exhumé, il fut revêtu des habits pontificaux et placé dans un siège, face à ses juges. Finalement jugé indigne, ses habits pontificaux furent arrachés, ses doigts coupés, et son corps jeté dans le Tibre. Récupéré dans les filets d’un pêcheur - ça ne s’invente pas -, le successeur de saint Pierre regagna sa tombe après la mort de celui qui l’avait condamné.
Dans la prochaine - et dernière partie -, je vous parlerai des morceaux épars et divers, mais au moins aussi intéressants que tous les cas abordés jusqu’à présent. Après tout, jambes et cœurs ont droit, eux aussi, de vivre de belles aventures.
Benjamin Bonnaud
Thanatopracteur
Formateur en thanatopraxie
Nota :
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Résonance n°132 - Juillet 2017
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