Nous avons tous suivi, il y a quelques années, les aventures rocambolesques de la tête d’Henri IV qui fut retrouvée après plus de deux siècles de voyage. Pour rappel, en 1793 est décidée la profanation généralisée de la basilique de Saint-Denis, la principale nécropole royale de France.
Tête de Landru. |
Le corps du bon roi Henri est le premier exhumé, et, bien qu’il ait été relativement épargné au départ, plusieurs profanateurs décidèrent d’emporter quelques reliques en souvenir. Outre des morceaux de barbe, des dents ou des phalanges, l’un d’entre eux considéra la tête comme une meilleure acquisition, et elle ne fut retrouvée qu’au XXe siècle dans une collection privée (pour l’anecdote, le propriétaire la conservait sous son lit) et identifiée avec certitude seulement dans les années 2010.
Bien que cette tête soit l’exemple le plus connu de pérégrination cadavérique, il existe bien d’autres corps qui ont vécu un destin hors du commun, dont je vais vous conter l’histoire.
Têtes de criminels
La tête est bien entendu la partie corporelle qui différencie un corps par rapport à un autre. Bien sûr, lorsqu’on descend aux catacombes, devant les alignements de crânes, on peut se dire qu’il n’y a rien de plus anonyme qu’un crâne par rapport à un autre. Certes, un crâne n’a pas en soi d’identité. Sauf quand on sait de source sure à qui il appartenait.
Je pense particulièrement aux crânes qui ont vécu des aventures loin d’être banales pour de simples restes humains, dont la vocation première est de rester bien sagement dans son cercueil, près du corps qui l’a portée.
Charlotte Corday (1768-1793), célèbre meurtrière du révolutionnaire Marat (dont je parlerai plus tard), a été guillotinée en 1793, en punition de son forfait. Outre le fait que sa tête ait été giflée par le bourreau - le brave Sanson qui eut beaucoup de travail pendant la période révolutionnaire - et que son corps ait été disséqué par des étudiants en médecine. Le corps est inhumé dans une fosse du cimetière, mais visiblement sans sa tête, puisqu’elle est exposée à l’Exposition universelle de 1889 en temps que pièce du cabinet de curiosités d’un prince Napoléon (nom donné aux princes descendants de la famille impériale). À cette époque, de nombreux crânes - principalement de criminels - étaient collectionnés, puisque c’était le temps de l’apparition de nombreuses pseudo-sciences, dont la crâniologie - qui considérait que les aspérités du crâne définissaient la personnalité. De nos jours, le crâne est toujours dans la famille de ce prince Napoléon, a priori dans le cabinet d’une de ses descendantes… psychanalyste.
Puisqu’on en est à parler des meurtriers, restons en France pour parler de Landru (1869-1922). Qui ne connaît pas Landru, ce brave type que toute femme aurait rêvé d’épouser pour passer une courte vie paisible dans sa douce villa de Gambais ? Ce gentil monsieur, qui emmenait ses conquêtes passer les derniers jours de leur triste vie dans sa résidence de campagne en prenant un aller-retour en train pour lui, et un aller simple pour la demoiselle, les tuait, les démembrait et les faisait disparaître dans sa cuisinière pour des motifs uniquement financiers. Après un procès resté dans les annales judiciaires pour le sens de la répartie cynique de l’accusé ("Si une dame a quelque chose à me reprocher, qu’elle vienne déposer plainte", déclara t-il), il est condamné, très logiquement, à passer à la guillotine.
Le matin de son exécution, il fit un dernier trait d’esprit avec le prêtre venu le confesser, ce qui dénote une certaine folie, je ne crois pas en effet que même le plus rustre et le plus cruel des condamnés puisse affronter sa propre mort avec sérénité :
"Landru, croyez-vous en Dieu ?"
"Monsieur l’abbé, pensez-vous qu’il soit l’heure de jouer aux devinettes ?"
Une fois raccourci, le corps fut inhumé dans le cimetière jouxtant la prison, la famille ne l’ayant pas réclamé, on peut comprendre que sa femme et ses enfants lui en veuillent, après tout. Quant à la tête, il est probable qu’il existait encore à l’époque un trafic de têtes, puisqu’elle est actuellement exposée au "musée de la Mort", à Hollywood.
D’autres criminels ont vu leur tête conservée en souvenir, par exemple Luigi Lucheni (1873-1910), l’assassin de la princesse Sissi, dont le triste chef est conservé dans une collection privée, baignant dans un bain de formol. Il semblerait que ce soit le lot de beaucoup de nos guillotinés, pas forcément célèbres …
Têtes de ministres
Tête du cardinal de Richelieu. |
Oliver Cromwell (1599-1658), lord protecteur du Royaume britannique (on dirait dictateur aujourd’hui) prend le pouvoir en Angleterre peu après la décapitation de Charles Ier. Son exercice du pouvoir étant bien peu populaire, il meurt sous les cris de joie du peuple en 1658. Son fils prend brièvement la suite, mais la monarchie est restaurée en 1661, et Charles II, pour venger la mort de son père, fait juger les régicides, même ceux qui sont morts - dont Cromwell faisait partie. À l’époque, le châtiment pour régicide portait le doux nom de "hanged, drawn & quartered". C’était une sentence qui consistait à faire traîner le condamné par des chevaux jusqu’au lieu d’exécution, à le pendre, mais sans le tuer, puis à l’éviscérer et l’émasculer vivant avant de le découper en quartiers. Cromwell subit cette condamnation, avec plus de sérénité qu’un condamné vivant, cela va de soi, et sa tête fut plantée sur une pique, et exposée à la vue de tous à Westminster, pendant plusieurs années. Elle finit par se faire voler, puis tomba dans une collection privée. Elle ne fut rendue qu’en 1960, date à laquelle elle fut réinhumée en secret à Cambridge.
Le cardinal de Richelieu (1585-1642) connut un destin similaire. Ministre de Louis XIII, détesté en son temps pour ses réformes impopulaires - à croire que la popularité des ministres n’a jamais été de mise -, il décède, pour le plus grand bonheur du peuple, dans un état lamentable. Son corps est inhumé dans la chapelle de la Sorbonne, où un superbe tombeau lui rend hommage. Comme de nombreux personnages représentant l’Ancien Régime, sa tombe est profanée pendant la Révolution, son corps disparaît, et la tête sert un temps de ballon à des enfants. Puis, comme toutes ses consœurs têtes, elle disparaît au sein d’une collection privée, et est occasionnellement exposée. Elle est finalement rendue et réinhumée en 1866, puis réexhumée en 1895, afin de s’assurer que la relique est encore en place.
C’est à ce moment que sont faits des photographies et des croquis de la tête, et il est tout à fait stupéfiant de constater que, d’une part, on reconnaît encore parfaitement le célèbre locataire de la sépulture, mais qu’en plus, la tête a été sciée dans sa hauteur, ce qui est tout à fait atypique, et qui fait que ce qu’on appelle "tête" est en réalité le masque de Richelieu. Difficile de savoir si le sciage est un essai d’embaumement à l’époque du cardinal (les têtes étaient habituellement sciées au niveau de la boîte crânienne pour en extraire l’encéphale, jamais au niveau de la face) ou bien s’il s’agit d’une mutilation post-mortem. La réponse ne sera sans doute jamais connue : quand la tête fut finalement réinhumée, la tombe fut comblée par du béton afin de garantir, enfin, le repos éternel à ce qu’il reste du défunt cardinal. Pour finir sur ce tombeau, le chapeau de cardinal accroché au-dessus de la tombe, encore visible de nos jours, n’est pas celui de Richelieu, mais a été offert par le pape Paul VI, bien plus proche de nous...
Pour ceux d’entre vous qui apprécient de voir des têtes de chefs d’État, le crâne de Louis XI (1423-1483) est encore visible à Cléry-Saint-André, près d’Orléans, dans une basilique qui vaut tout à fait le détour. Le crâne est présenté dans un caveau enterré, où l’on descend par un petit escalier, et où, au travers d’une vitre, nous nargue celui que les révolutionnaires ont oublié, en compagnie de son épouse, qui elle-même n’est pas dans un état plus reluisant. Cette basilique présente d’autres curiosités tout à fait intéressantes, comme un escalier à vis sans noyau central, qui permet de surveiller d’en haut qui vient du bas, et la salle, au premier étage, d’où le défunt roi pouvait suivre la messe en toute discrétion, par une petite lucarne.
Dans le prochain épisode, je vous parlerai d’autres défunts malheureux, dont l’après-mort a été aussi tumultueuse que la vie.
Benjamin Bonnaud
Thanatopracteur et formateur en thanatopraxie
Résonance n°130 - Mai 2017
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