Le 23 septembre dernier s’est tenue à Lyon, dans le cadre du salon Funexpo, une table ronde sur la démarche du "zéro phytosanitaire" dans les cimetières. À cette occasion, et à la suite de l’article paru dans le n° 123 de Résonance, le magazine, promoteur de cet atelier, a invité les membres de l’A.NA.PE.C. (Association Nationale des Personnels de Cimetières) à animer le débat.
Étaient présents pour l’A.NA.PE.C :
Georges Martinez, président de l’association, Jean-Claude Truffert, vice-président, Isabelle Prigent, secrétaire, Jean-Pierre Cornu, adhérent, directeur des cimetières de la ville de Lyon.
Le débat était modéré par Steve La Richarderie
Le contexte juridique
Le 6 février 2014, la loi no 2014-110 – dite loi Labbé – vers une démarche "zéro phytosanitaire" vise à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national. Ainsi, il est décidé qu’à partir du 1er janvier 2017, les cimetières doivent adapter leurs méthodes de travail afin de continuer à entretenir correctement les surfaces sur lesquelles reposent les concessions funéraires, en tenant compte de l’interdiction de l’usage des produits phytosanitaires (pesticides, désherbants…). Des actions de sensibilisation, l’application de nouvelles méthodes de travail par des agents formés et accompagnés à ces changements, ainsi qu’une communication efficace auprès des administrés doivent accompagner ces changements de pratiques.
La loi Labbé définit des échéances précises sur l’utilisation, et la vente de ces produits dont quelques modifications (amendements) sont venues rectifier l’agenda.
Texte d’origine :
"Le 1er janvier 2020, l’utilisation des produits phytosanitaires sera interdite dans tous les espaces verts, jardins publics et parcs, et leur vente au grand public sera, quant à elle, interdite en 2022. Les voies ferrées, les pistes d’aéroport et les autoroutes seront exemptées. En cas d’urgence sanitaire, les pesticides pourront être utilisés."
Par un amendement (no CD754) au projet de loi sur la biodiversité, le gouvernement a avancé, du 1er janvier 2020 au 1er mai 2016, l’interdiction d’utilisation des produits phytopharmaceutiques par les collectivités publiques. Le projet de loi, ainsi modifié, a été adopté le 26 juin 2014 par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale.
Mais l’amendement (no 2369) relatif à l’interdiction totale de produits phytosanitaires dans les espaces verts publics, déposé par le gouvernement, a finalement été adopté en ce sens le 23 septembre 2014, et cette interdiction sera finalement effective au 31 décembre 2016.
À partir de cette date, les collectivités territoriales ne pourront plus utiliser de pesticides pour l’entretien de tous les espaces verts, y compris les cimetières et les terrains de sport.
Trois exemples de mise en place de la démarche : Cherbourg (50) – Levallois (92) – Lyon (69)
1 - Un exemple de réussite dans les cimetières paysagers de Cherbourg-Octeville, par Jean-Claude Truffert
Présentation historique et contextuelle des cimetières de Cherbourg-Octeville
Un peu d’histoire :
La ville de Cherbourg-Octeville compte 16 000 concessions, réparties sur cinq cimetières, qui s’étendent sur 16 hectares : les Aiguillons nouveau et les Aiguillons ancien, Saint-Martin église, Saint-Martin face, et le cimetière des Ragotins.
Le cimetière ancien des Aiguillons (anciennement cimetière de la Duché), fondé en 1832, est un un lieu de recueillement et de souvenirs pour les familles cherbourgeoises, mais également un site historique. En effet, au détour des allées, il est possible d’y découvrir des sépultures de personnalités locales qui ont marqué l’histoire de notre ville (anciens maires, artistes…), et des chapelles funéraires remarquables.
Une partie de ce cimetière regroupe les tombes des soldats morts durant la Seconde Guerre mondiale, à majorité française, mais il y a aussi des Belges, des Anglais, des Portugais, des Allemands… Le carré militaire, réservé aux soldats morts pour la France, compte 646 tombes, et un autre carré est dédié à 86 aviateurs britanniques et du Commonwealth. En 1925, ce cimetière s’agrandit dans le prolongement du chemin des Aiguillons. C’est la création du cimetière nouveau des Aiguillons.
Les deux cimetières de Saint-Martin (face et église) situés dans le vieil Octeville sont les plus anciens de tous les cimetières de la ville. Le plus récent est le cimetière des Ragotins, créé en 1960.
Les voiries :
Les allées des cimetières (ancien et nouveau) des Aiguillons sont bitumés et gravillonnés. Cependant, quelques grandes allées au cimetière ancien sont très pentues, donc difficiles à entretenir. Les allées sont gravillonnées aux cimetières Saint-Martin, et toutes bitumées au cimetière des Ragotins.
L’entretien :
L’utilisation d’un nouveau nettoyant biologique à base d’acide d’ortie, plus respectueux de l’environnement et des personnes, a régulièrement été utilisé en 2012 pour les intertombes afin de limiter la prolifération des "mauvaises herbes". Mais Il faut admettre que ces nouveaux produits ont des effets moins longs que les produis phytosanitaires aujourd’hui interdits.
2006 : Première mise en action du zéro phyto, à la suite de la construction d’une usine de captage d’eau située auprès du cimetière des Ragotins, qui est maintenant sur une zone protégée.
2007 : Obtention de la 4e fleur, il n’est plus utilisé aucun produit phytosanitaire, ce qui est un véritable engagement en faveur du développement durable et se traduit par un retour à des méthodes de travail plus traditionnelles. Le désherbage manuel est réalisé avec des binettes sur des petites surfaces ou le long des bordures aux endroits où les engins mécanisés ne peuvent accéder.
Le désherbage mécanique est réalisé au moyen d’une balayeuse dans nos allées, grâce à son balai acier, elle permet d’arracher et de balayer les résidus qui sont ensuite aspirés dans le bac, et de l’amazone, qui arrache les mauvaises herbes dans les allées gravillonnées. Ce changement s’accompagne également par la mise en place d’un fleurissement durable avec des plantes vivaces dans les massifs. Ce nouveau mode de fleurissement a permis de favoriser la biodiversité et de faire des économies d’eau grâce à l’utilisation de différents paillages dans les massifs : du miscanthus, de la paille de blé, des vivaces couvre-sols, ou encore des feuilles d’arbres.
Méthodes utilisée dans les allées
Méthodes utilisée dans les massifs
La zone de terrain de réserve prévue pour l’extension du cimetière est utilisée en fauchage pour le foin.
Effectif et force de travail
La mise en pratique de ces évolutions n’aurait pu être réalisable sans la volonté de notre équipe, composée de huit fossoyeurs. Les activités principales de nos agents techniques concernent prioritairement les inhumations, les exhumations et les reprises des concessions, puis l’entretien des espaces verts (tonte, élagage, entretien des inter-tombes et des massifs) des cinq sites. À la Toussaint, un renfort ponctuel (de toute les équipes des espaces verts, soit environ 80 personnes) se réunit pour entretenir les inter-tombes et enlever les feuilles des allées des cinq sites. Une balayeuse de la Communauté urbaine de Cherbourg nous aide sur les abords et les allées du cimetière des Aiguillons.
Un exemple de réalisation
Semis de gazon à pousse lente dans les allées intermédiaires.
La communication
Malgré une forte communication auprès des usagers par le biais d’articles de presse, de plaquettes explicatives ou d’informations diverses sur le développement durable, l’ensemble de ces nouvelles pratiques a été difficilement accepté. En complément et pour une meilleure communication, des panneaux d’information ont été installés à l’entrée de chaque site. Nous avons également mis à disposition des binettes, pour permettre à chacun de nettoyer sa ou ses concessions, comme le stipule le règlement interne du cimetière.
Exemple d’affichage
2 - La mise en place du zéro phyto à Levallois – cimetière à tendance minérale, par Isabelle Prigent
La ville de Levallois (Haut-de-Seine) compte 65 000 habitants, 242 hectares (ha) de superficie totale, dont 44 ha d’espaces verts publics (soit 18 %). Elle détient depuis 2010 le label Quatre Fleurs (Jury national des Villes et Villages fleuris) et a obtenu en 2004 et 2007 le Grand Prix National du Fleurissement (Concours National des Villes et Villages fleuris), puis la Fleur d’Or en 2010, récompense suprême décernée uniquement à deux villes en Île-de-France et neuf en France. Elle dispose d’un seul cimetière d’une surface de 7 ha comprenant 15 833 emplacements. 40 348 personnes sont inhumées sur 53 divisions.
Le cimetière est majoritairement minéral, mais de nombreux massifs bien entretenus sont visibles un peu partout, des parcelles réservées (plus d’inhumation) pour des projets futurs intégrant une part de fleurissement pour l’arrivée, au fil du temps, de nouveaux équipements et l’aménagement de parcelles "vertes" viennent agrémenter de manière plus paysagère le site.
L’entretien du cimetière est effectué par les agents municipaux, dont :
- Un agent détaché de la Direction des espaces verts pour l’entretien et le fleurissement des carrés militaires, des massifs de fleurs ornant les équipements du cimetière et des sépultures des personnalités entretenues par la ville.
- Deux agents qui s’occupent de l’entretien général du cimetière avec le reste de l’équipe technique composée de quatre agents (fossoyeurs notamment).
La démarche "zéro phyto" a été anticipée au cimetière dès 2012, afin notamment d’accompagner les équipes dans sa mise en place en collaboration transversale avec la Direction des espaces verts. Un cimetière majoritairement minéral est propice au développement d’adventices (plantes poussant dans un endroit sans y avoir été intentionnellement installées). Si l’usage des désherbants évitaient leur prolifération exagérée, leur traitement représentait également un coût important (3 800 € en 2016).
Dans un contexte économique contraint, modalités du déploiement :
2012 début de l’expérimentation :
- Arrêt anticipé de produits phytosanitaires sur certaines divisions, et utilisation de matières premières réutilisables immédiatement et directement issues du cimetière avec la perspective de recevoir les réactions des visiteurs au fur et à mesure de l’aménagement et de l’entretien de ces parcelles.
Les copeaux issus de l’élagage annuel des marronniers et des érables ont ainsi permis de :
- reniveler des allées entre des sépultures,
- recouvrir les pieds de la plupart des arbustes présents sur les espaces fleuris et entretenus par la Direction des espaces verts,
- recouvrir les parcelles libérées au fil du temps (parcelles qui serviront à des extensions de divisions, à l’implantation de columbarium ou de cavurnes dans le futur).
L’absorption de l’eau de pluie par les copeaux permet également de limiter l’arrosage, impliquant des économies importantes là où auparavant il fallait arroser abondamment durant l’été pour maintenir en bonne santé arbustes et plantations.
Avant
Un désherbage difficile et fréquent, un aspect triste dû à un sol fait de cailloux et de terre, des dénivelés sur toute la division donnant un aspect négligé.
Après
Les copeaux de bois sont également bénéfiques à l’enrichissement des sols et évitent par ailleurs la prolifération des mauvaises herbes dans des endroits où auparavant il était très difficile de la traiter.
2014 : Mise en place d’un plan prévisionnel d’investissement, permettant d’échelonner nos dépenses jusqu’en 2020 et d’accompagner la mise en place du "zéro phyto". Le PPI accepté et validé facilite la discussion des projets au moment des arbitrages budgétaires.
2016 : Engazonnement des carrés des anges. Mise en place relativement rapide et peu
coûteuse qui, avec le temps, pourra se transformer en gazon fleuri, et recherche de plantes couvre-sols et de plantes allélopathiques afin de minimiser l’entretien des surfaces tout en minimisant l’aspect minéral du cimetière.
Accompagnement de la démarche :
2017 : Approbation de la démarche par la collectivité qui s’engage par une délibération dans la signature d’une convention d’accompagnement à tous les niveaux, y compris financier (ex. : en Île-de-France : convention Plaines et Coteaux de la Seine centrale urbaine).
Aides financières possibles auprès des conseils régionaux, couplées éventuellement avec des aides supplémentaires, européennes notamment.
2017 : Ne devient pas spécialiste en espaces verts qui veut. Le rôle du manager d’un cimetière est aussi de créer une dynamique au sein de son équipe et d’apporter à cette dernière tous les outils nécessaires pour un parfait engagement. Cela passe par des formations adaptées, idéalement organisées sur site, un choix pertinent d’outils efficaces capables de leur faciliter la tâche, la recherche d’aide extérieure à l’organisation (organismes d’insertion pour l’utilisation de bénévoles afin de renforcer les équipes, aides financières pour l’achat de matériel…).
Acquisition de compétences nouvelles qui peuvent engendrer des modifications dans l’organisation des ressources humaines (nouvelles fiches de postes, mise en valeur de nouvelles compétences, meilleure coordination des équipes entre directions…).
Mise en place d’une communication :
Dès 2014, la ville de Levallois a développé l’onglet cimetière sur le site Internet de la ville en privilégiant les informations généralistes, les photos, les articles de presse et les infos municipales relatives au cimetière. L’expérimentation sur le terrain, l’échange des meilleures pratiques entre collectivités, notamment au sein de l’A.NA.PE.C., et l’ensemble des outils signalés ci-dessus, sont autant de moyens à utiliser pour communiquer sur le "zéro phyto" et permettre l’adhésion des agents et des administrés au projet.
3 - Intervention de la ville de Lyon – du "zéro phyto" au "zéro déchet", Jean-Pierre Cornu
Pour éclairer le travail effectué par la ville de Lyon sur le déploiement de la démarche "0-Phyto", voici des photos qui parlent plus que des textes :
Les méthodes alternatives de désherbage :
À la main, à la vapeur, avec des bruleurs, etc (photo ci-dessous).
Les outils utilisés
La bineuse sarcleuse électrique et
outil Stab 70 avril sur autoporté.
Exemples de réaménagement des allées
Application d'un enrobé sur l'allée centrale (en haut), et engazonnement des contre allées (en bas).
Et bien sûr, l’information
des usagers :
Exemple de signalétique au cimetière de la Croix-Rousse à Lyon.
Exemple d'attitude ecoresponssable :
4 - L’A.NA.PE.C., présentation par Georges Martinez
46 rue du Moulin à Vent
50400 Yquelon
Association loi 1901
no 1999-00059 – JO du 20 février 1999
Pour conclure, Georges Martinez, président de l’A.NA.PE.C. depuis juin 2012, présente l’association aux participants en insistant sur la force de son réseau national, et jusque dans les DOM-TOM, qui permet à chaque agent confronté à une question délicate (juridique, technique ou autre) de pouvoir compter sur une réponse rapide et sûre, fruit du partage d’expérience de professionnels aguerris.
Le bureau de l’A.NA.PE.C. est aujourd’hui composé de 11 personnes
Le rapport financier de 2015 faisait état d’une gestion saine, avec une évolution du nombre d’adhérents en augmentation de 20 %. Les cotisations pour 2016 ont été arrêtées à 30 € pour un adhérent individuel, et à 270 € pour une personne morale ou une collectivité territoriale.
Le rapport moral a été l’occasion de rappeler toutes les actions de l’année écoulée, telles que l’animation quotidienne d’un réseau en perpétuelle évolution ou la rédaction assidue d’articles dans le mensuel Résonance. Le journal bisannuel, les parutions, la présence de l’A.NA.PE.C au salon des maires ou au salon funéraire donnent une visibilité à l’association et lui confèrent une expertise aujourd’hui reconnue par une grande majorité des professionnels du funéraire.
L’A.NA.PE.C. représente la population qui œuvre dans les équipements publics que sont les cimetières. Il s’agit d’agents fonctionnaires ou contractuels de droit public qui sont appelés chaque jour à prendre de grandes responsabilités souvent très juridiques et qui disposent localement de peu de soutien cognitif de la législation funéraire.
Le siège social est désormais situé à Yquelon, dans la Manche.
Le conseil d’administration a été élargi et porté à un maximum de 15. Pour être membre du CA, il faut être adhérent, bien sûr, mais aussi exercer ou avoir exercé une activité du secteur public dans un cimetière. Si tout adhérent est régulièrement invité aux assemblées générales, seuls les membres exerçant ou ayant exercé une activité du secteur public dans un cimetière ont l’accès au vote.
L’A.NA.PE.C.
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Résonance n°124 - Octobre 2016
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