Les vieilles croix métalliques sont nombreuses dans nos cimetières. Elles proviennent des régions de mines de fer du Nord-Est de la France et du Val de Loire. De tailles variées et de différentes formes, plates ou creuses, elles sont décorées de motifs profanes ou religieux. Leur identification se fait à partir d’anciens catalogues de fonderies, difficiles à trouver, car devenus rares (suite).
Dans le département de la Mayenne, la Société d’Archéologie et d’Histoire (SAHM53) a lancé une opération d’inventaire et de sauvegarde du patrimoine funéraire, et plus particulièrement des croix métalliques. La grande difficulté rencontrée est l’identification de ces croix, donc d’avoir accès aux anciens catalogues de fonderies, difficiles à trouver, car devenus rares ou détruits.
Suivant le Centre national de la fonte d’art, nous sommes actuellement en pointe dans ce domaine des croix et souhaitons mettre en liaison avec eux une photothèque des croix, à la disposition des internautes, qui ont le même souci d’identification et de sauvegarde. Nous lançons, auprès des entreprises funéraires, un appel pour qu’elles nous fassent parvenir, en don, en prêt, des photocopies (à définir avec chacun) de leurs vieux catalogues qui dorment peut-être dans leurs archives.
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Les Christ
Ils se présentent sous deux formes, soit faisant partie intégrale de la croix lors du moulage, et dans ce cas ils sont de petite taille, soit ils ont été rapportés et sont de plus grandes dimensions. Les Christ rapportés sont souvent ceux des sculpteurs Edmé Bouchardon et Jean de Bologne, sculpteurs décédés depuis plus de 100 ans, dont les œuvres sont tombées dans le domaine public. Christ qui ont été repris par plusieurs fonderies sur leurs croix, en leur apportant quelques modifications, telles que le pagne, la chevelure, la forme, la position, ou une couronne d’épines. Le Christ est représenté soit crucifié avec 3 clous, tel que le pratiquaient les Romains, ou avec 4 clous, les pieds côte à côte, représentation depuis le XVIIe siècle.
Christ d’après E. Bouchardon.
Le sculpteur Edmé Bouchardon
Né 29 mai 1698 à Chaumont-en-Bassigny (Haute-Marne), décédé le 27 juillet 1762 à Paris. D’une famille d’artistes, car son père Jean-Baptiste et son frère Jacques-Philippe sont aussi sculpteurs. Prix de Rome, membre de l’Académie royale de peinture et sculpture, puis professeur dans cette école. Élève de Coustou, célèbre sculpteur du roi Louis XIV. Prix de Rome en 1722. Nommé sculpteur du roi par Louis XV, travaille pour Versailles et d’autres demeures royales. Sa statue équestre de Louis XV illustre la section Sculpture de l’ "Encyclopédie" de Diderot. Parmi ses œuvres éditées de nombreuses fois par les fondeurs d’art : "L’Amour taillant son arc dans la masse d’Hercule" (Val d’Osne, Capitain-Gény) et un "Christ" en croix (Val d’Osne, Durenne, Gasne, Capitain-Gény, Denonvilliers, Ducel).
Le sculpteur Jean de Bologne
Né vers 1524 à Douai (Nord), décédé le 14 août 1608 à Florence en Italie. Exécute entre autres la statue équestre du roi Henri IV, qui sera érigée en 1611 sur le pont Henri IV à Paris et détruite en 1792. Études à Rome et collaboration avec Michel-Ange. Importantes commandes de la famille Médicis. À l’origine d’un style dit "maniériste", influença de nombreux sculpteurs français du XIXe siècle. Œuvre reproduite par le Val d’Osne : "Mercure", que l’on retrouve à Rio de Janeiro, Buenos Aires, Santiago du Chili, Mexico. Son "Christ" reproduit par Durenne et Deville.
Les Vierge
On rencontre les deux cas, moulée d’origine sur la croix ou rapportée. Sur le même type de croix, on peut soit n’avoir aucun sujet, soit avoir un Christ, soit avoir une Vierge. Plusieurs variantes de Vierge : avec couronne de fleurs sur la tête ou voile, tenant parfois l’Enfant-Jésus, bras étendus horizontaux, ou vers le bas mains ouvertes, ou mains jointes sur le cœur.
Les anges
Ils sont souvent par deux, pour élargir et consolider le bas de la croix. Ils sont soit debout, ou agenouillés, de face, se regardant ou dos-à-dos mains jointes. Parfois, un seul ange au pied de la croix priant et tenant la croix.
Les saints et autres personnages
Assez rares :
- Marie-Madeleine et la Vierge,
- des pleureuses,
- Saint-Pierre et ses clés,
- Saint-Paul et son épée.
Croix pour tombes militaires
Plusieurs fonderies, après la guerre de 1914-1918, ont produit des croix particulières, telles que celles des fonderies de Bayard et de St-Dizier - Portillon - Tours.
III - Étude détaillée dans le cimetière
Méthodologie
- Depuis un plan du cimetière, repérer toutes les tombes ayant une croix en fonte et en dresser une liste avec les repérages éventuels de position dans le cimetière.
- Par ailleurs, établir un catalogue des croix en effectuant, une photo de la croix, avec un paravent pour ne pas avoir l’environnement de la tombe.
- Relever les dimensions et les caractéristiques pour faire une description détaillée.
- Identifier l’origine (la fonderie) de chaque croix du catalogue.
- Dresser, pour la commune, la liste des tombes avec la référence de la croix.
Identification
1 - Certaines croix ont parfois des cartouches en relief, au bas du montant, indiquant le lieu de la fonderie ou le nom du maître de forges : Corneau, Barbezat (renseignements assez rares).
2 - Les catalogues de fondeurs, difficiles à trouver.
3 - Le Réseau international de la fonte d’art sur son site e.monumen : volumen donne la reproduction de certains catalogues. Ainsi que l’A.S.P.M., Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Métallurgique haut-marnais, qui a transmis la copie de certains catalogues non encore numérisés.
4 - Autres source : le musée de l’Ardenne de Charleville-Mézières a transmis, exceptionnellement à la SAHM53, une copie du rare catalogue de 1889 des Ets Corneau, introuvable sur le marché.
Les 14 catalogues ou albums de produits en fonte de notre connaissance présentent plus de 2 000 modèles de croix, dont certains se ressemblent beaucoup et sont des copies d’autres fondeurs, et ce, malgré les indications suivantes au bas des catalogues :
"La contrefaçon et le contre-moulage seront poursuivis conformément à la loi". "Ces modèles sont la propriété de... ils en poursuivront, conformément à la loi, la contrefaçon et le contre-moulage". "Toute contrefaçon ou tout surmoulage des modèles ci-dessus seront poursuivis conformément à la loi". Il est de notoriété publique qu’il y a eu beaucoup de contrefaçons, qui ont occasionné des actions en justice.
Disparition et sauvegarde de ce patrimoine
La production des croix s’est arrêtée vers les années 1950. Après la guerre de 1939/45, elles n’étaient plus à la mode, et à partir de 1955, la reprise de concessions anciennes a vu le début de leur disparition, ainsi que parfois leur remplacement par des monuments en pierre. Ces monuments méritent d’être sauvegardés. Certaines communes ont mis en place une procédure de conservation, chaque fois qu’une de ces tombes est relevée, la croix est entreposée dans un coin du cimetière, ou le long d’un mur, ainsi qu’ont commencé de le faire les communes de Sainte-Gemmes-le-Robert et Bais.
Pour parfaire l’identification des croix rencontrées, l’auteur souhaite rentrer en contact avec tout détenteur de catalogues de fonderies présentant des croix en fonte. En projet, création d’une photothèque des croix sur Internet.
Pierre Martin
Membre de la SAHM53
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Nota :
Voir : revue n° 31 de 2008 de la SAHM, article "Forges et fonderies" page 95 et ss. de Bernard Houel . "La Belle Fonte", fonderie Corneau, page 34 et ss.
Résonance n°123 - Septembre 2016
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