Les vieilles croix métalliques sont nombreuses dans nos cimetières. Elles proviennent des régions de mines de fer du Nord-Est de la France et du Val de Loire. De tailles variées et de différentes formes, plates ou creuses, elles sont décorées de motifs profanes ou religieux. Leur identification se fait à partir d’anciens catalogues de fonderies, difficiles à trouver, car devenus rares.
Fig 1 : Fonderie Bayard : tombes à Évron, Assé-le-Bérenger, Châtres-la-Forêt, Livet, etc. (dans 9 cimetières sur 18). |
Dans le département de la Mayenne, la Société d'Archéologie et d’Histoire (SAHM53) a lancé une opération d'inventaire et de sauvegarde du patrimoine funéraire, et plus particulièrement des croix métalliques. La grande difficulté rencontrée est l'identification de ces croix, donc d'avoir accès aux anciens catalogues de fonderies, difficiles à trouver, car devenus rares ou détruits.
Suivant le Centre national de la fonte d'art, nous sommes actuellement en pointe dans ce domaine des croix et souhaitons mettre en liaison avec eux une photothèque des croix, à la disposition des internautes, qui ont le même souci d'identification et de sauvegarde. Nous lançons, auprès des entreprises funéraires, un appel pour qu’elles nous fassent parvenir, en don, en prêt, des photocopies (à définir avec chacun) de leurs vieux catalogues qui dorment peut-être dans leurs archives.
I - Les croix en fonte
Historique
Jusqu'au XXe siècle, sur les tombes, les familles aisées mettaient, en règle générale, un monument en pierre gravée, tel que dalle, stèle ou croix. Monument qui subsiste encore dans nos cimetières, tandis que les peu fortunés mettaient des simples croix en bois, qui avec le temps ont toutes disparu.
En métallurgie, la première matière obtenue de la réduction du minerai de fer dans les hauts fourneaux est la "fonte de fer", que l'on utilisa sous cette forme dès le XVe siècle, uniquement pour mouler des canons et des boulets de canon . Cette fonte, dite de "1re fusion", était retravaillée pour obtenir du fer, qui servait principalement à faire de la clouterie et de l'outillage.
Le développement au début du XIXe siècle de la sidérurgie mit au point les techniques d'affinage soit pour obtenir le fer, soit pour la refonte de la fonte de 1re fusion. On obtint la "fonte" dite "de 2e fusion", et on produisit par moulage des objets d'ornement et du bâtiment, tels que grilles, balcons, portes, tuyauteries, poêles, lavabos, fontaines et du statuaire civil et religieux comme les croix funéraires.
Pour obtenir une croix en fonte, de forme plate, à partir d'un modèle en bois dur, on fait une empreinte en creux dans un mélange argilo-sableux, puis le métal en fusion, sous forme liquide, est versé dans cette empreinte. Pour les pièces en creux, la technique de fabrication est plus difficile, car il faut faire un noyau en sable, qui sera mis à l'intérieur du moule, qui une fois extrait réalise le creux de la croix(1).
La prolifération des fonderies engendra dès 1860 une baisse des prix des produits en fonte moulée, qui les rendirent très attractifs, telles les croix funéraires, qui furent produites en grande quantité à partir de 1900. Il est difficile de donner la date d'emploi de ces croix par rapport à la date de décès figurant sur le monument, car souvent elles ont été mises en place pour un ancêtre décédé antérieurement et réemployées ultérieurement.
Coût
Vers 1926, une croix était vendue départ usine 230 à 300 F les 100 kg (tarif des fonderies de Bayard et de St-Dizier, et de Deville à Charleville-Mézières, plus les frais d'emballage de 1 F par 10 kg et le coût du transport par chemin de fer d'environ 18 F pour 300 kg. La croix de la Fig. 1, que l'on retrouve souvent dans les cimetières (elle mesure 1,45 m pour un poids de 16,5 kg), coûtait donc 50 F (7,62 €), rendue chez le dépositaire. À cela, il faut ajouter le prix de mise en œuvre et le bénéfice du marbrier, on peut estimer le prix d'une croix en fonte, mise en place dans un cimetière, à 150 F (22,87 €). Dans notre région, une étude sur la grève de 1926 à La Ferté-Macé indique que le salaire d'un ouvrier tisserand s'élevait en moyenne à 25 F par jour. Une croix en fonte sur une tombe représentait donc, environ, le salaire d'une semaine de travail de 6 jours, pour un ouvrier.
Lieu de production
12 fonderies ont été identifiées comme produisant des croix fin du XIXe siècle et début du XXe.
Fonderie Ducel à Pocé-sur-Cisse (Indre-et-Loire) 1829-1878
Fonderie Portillon-Tours à St-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire)
Fonderie A. Corneau, puis Paillette et Deville à Charleville-Mézieres (Ardennes)
Fonderie de Bayard et de St-Dizier (Haute-Marne)
Fonderie Barbezat et Cie, dite Val d'Osne, à Osne-le-Val (Haute-Marne)
Fonderie de Dommartin-le-Franc (Haute-Marne)
Fonderie de Brousseval (Haute-Marne)
Fonderie Durenne à Sommevoire et Wassy (Haute-Marne) et Bar-le-Duc (Meuse)
Fonderie Delacourt à Pont-sur-Saulx et à Robert-Espagne (Meuse)
Fonderie Salin à Dammarie-sur-Saulx et Écurey (Meuse)
Fonderie de Tusey à Vaucouleurs (Meuse) 1832-1963
Fonderie Denonvilliers à Sermaize-sur-Saulx (Marne) 1870-1897
Fonderie de Rosières (Cher)
La plupart de ces établissements métallurgiques ont aujourd'hui disparu. Les fonderies locales Chappée à Port-Brillet (Mayenne) et Ampoigné (Sarthe) n'ont pas produit d'articles funéraires.
Carte de situation des fonderies.
II - Commercialisation
Transport
C’est le développement du chemin de fer vers 1850 dans l'Ouest de la France qui a permis l’approvisionnement de notre département.
Distribution
L'entreprise Lemaitre-Audiau au Mans est citée comme dépositaire d'une fonderie de la Haute-Marne en 1866 et devait distribuer les produits en fonte, dont les croix, aux marbriers et entreprises de pompes funèbres du secteur Sarthe-Mayenne. Par ailleurs, entre 1890 et 1920, Isidore Bazin, marbrier de Laval, installait des monuments funéraires dans les communes autour de Laval, Rossignol d'Évron, et un marbrier de Sillé-le-Guillaume autour de leur commune. Les archives de la Sarthe et de la Mayenne n'ont aucune documentation sur ces établissements
Situation géographique de l'inventaire
La Communauté de Communes des Coëvrons (CCC), située à l'est du département de la Mayenne regroupe 38 communes et 40 cimetières. On trouve donc dans ce secteur 1 458 croix métalliques.
Les caractéristiques des croix : description et formes
Elles sont de 3 types :
- Plates ajourées, les plus courantes, car faciles à mouler, étant relativement planes et utilisant peu de matière. Et donc moins chères, elles représente 80 % des croix.
- Plates ou légèrement convexes, pleines.
- Creuses à section ronde, demi-ronde, hexagonale, octogonale ou rectangulaire. Croix plus rare, car d'un coût plus élevé dû au moulage plus difficile et mettant en œuvre plus de matière première.
Elles offrent une grande diversité de décors, 204 modèles différents ont été recensés dans les cimetières de la CCC. Ces croix sont généralement en fonte, matériau fragile, et très exceptionnellement en fer forgé, d’une hauteur variant de 40 cm à 1,70 m, systématiquement montées sur un quadrilatère pyramidal en béton ou en pierre. Les croix d'une hauteur inférieure à 0,85 m étaient en général réservées pour les tombes d'enfants.
Elles ont été moulées d’une seule pièce pour les croix plates et en plusieurs pièces pour les croix creuses, comportant des motifs géométriques et floraux divers, sculptés en règle générale, en bas relief pour les croix plates et en ronde bosse pour les croix creuses, ainsi que des personnages tels que le Christ, la Vierge, un saint, un ange. Ces personnages sont parfois rapportés sur la croix, fixés par des vis, rivets ou soudures.
De plus, souvent sont fixées, par-dessus la croix, des plaques métalliques, sur lesquelles sont inscrit les noms, prénoms et date de décès des défunts, et parfois des textes. Elles sont généralement en forme de cœur, les plus anciennes en zinc avec des inscriptions estampées, en tôle émaillée, que le temps et la fixation souvent par fil de fer oxydé ont fortement détériorée, ou moulées en alliage en général d'aluminium-zinc (zamac) avec les inscriptions alors en relief et parfois de formes plus élaborées, rectangulaires, ovales, rondes, ou en forme de blason ou d'écusson
Le décor des croix
Motifs profanes :
Seule la forme de la croix latine a un caractère religieux, mais les décorations sont uniquement des dessins géométriques, plus ou moins complexes ou des motifs végétaux ou floraux. Le plus courant est le lierre, qui symbolise l’attachement et l’éternité. Des couronnes végétales, qui sont sans début ni fin, symbolisent également l’éternité.
Le lys (pureté), les roseaux (fragilité de la vie), les roses (l’amour), et encore beaucoup d’autres fleurs : arums, pensées (souvenir), tulipes, immortelles, palmes, chrysanthèmes, fleurs et fruits de marronnier, pomme de pin, chardon, etc. On trouve aussi au centre du croisillon un carré, la croix de guerre (un tué à la guerre). Un sablier symbolisant la vie qui s'écoule, une urne funéraire simple.
Motifs religieux chrétiens :
Le plus courant est le Christ crucifié, la Vierge, des anges ou des saints. Des symboles très religieux tels que épi de blé et vigne pour symboliser l’eucharistie : le pain et le vin (la chair et le sang du Christ), fleurs à cinq pétales, ou étoile à cinq branches pour les cinq plaies du Christ. La sainte face ou le "Mandylion" : linge avec la représentation du visage du Christ. La Bible, Le Triangle divin représentant la Trinité, avec parfois en son centre le tétragramme YHWH, nom de Dieu hébraïque : Yaveh. La croix latine ou bien celle de St-Jean ou croix de Malte.
Les acronymes comme : INRI, pour "Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdoeorvm" : Jésus de Nazareth, roi des Juifs, placé au-dessus du Christ et sur le montant à diverses hauteurs les lettres entrelacées : IHS : Iésus Homo Salvator = Jésus Sauveur des Hommes.
AM : Ave Maria pour la Vierge. Un cœur enflammé entouré d’une couronne d’épines. Des accessoires religieux tels qu'encensoir, calice, hostie. Une urne funéraire d'où s'élève une fleur, entourée d'un serpent, le tout symbolisant l'âme qui sort de l'urne dévorée par Satan. Une colombe symbolisant le Saint-Esprit.
Des scènes issues de la Bible :
Le baptême du Christ dans le Jourdain, par Jean le Baptiste.
Les instruments de la passion : couronne d’épines, clous, marteau, lance ayant percé le côté du Christ (Évangile selon saint Jean) et l'éponge imbibée de vinaigre, mise au bout d'un roseau (évangiles selon saint Matthieu et selon saint Marc).
Un type de croix fut manifestement très prisé : celle avec les symboles des 4 apôtres de l'Apocalypse de saint Jean. Ce type de croix a été produite par toutes les fonderies avec quelques variantes.
Pour parfaire l'identification des croix rencontrées, l'auteur souhaite rentrer en contact avec tout détenteur de catalogues de fonderies présentant des croix en fonte. En projet, création d'une photothèque des croix sur Internet.
Pierre Martin
Membre de la SAHM53
pierre.martin114 @wanadoo.fr
Nota :
(1) Voir : revue no 31 de 2008 de la SAHM, article "Forges et fonderies" page 95 et ss. de Bernard Houel . "La Belle Fonte", fonderie Corneau, page 34 et ss.
Résonance n°122 - Juillet 2016
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