Il est d’une grande banalité de dire que nous sommes dans un monde en pleine mutation. Mais l’histoire de l’humanité n’est-elle pas l’histoire de son évolution ? À chaque période, l’homme pense qu’il vit une accélération du changement. Nous n’échappons pas à cette vision. Quelles interférences les innovations scientifiques et technologiques vont-elles avoir sur notre secteur d’activité ?
Maurice Abitbol, directeur d’Obsèques Prévoyance. |
I - Les principaux facteurs d’influence sur le marché des services funéraires
Nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises d’aborder dans cette publication les principales caractéristiques du marché des services funéraires. Nous pouvons résumer rapidement les principaux facteurs d’influence de ce marché.
L’évolution des prix
L’indice des prix dans le secteur funéraire est en progression constante, et supérieure à l’évolution de l’indice général des prix à la consommation. Cette évolution dément la logique économique qui veut que la concurrence accrue entraîne une baisse des prix. Elle prouve que les entreprises du secteur ont augmenté leurs prix et leur offre de services (généralisation de certains services, comme les soins de conservation et surtout l’utilisation des chambres funéraires) pour résister à la dégradation de leur part de marché du fait de l’augmentation du nombre d’opérateurs, conséquence de la libéralisation du marché.
La démographie
En France, le nombre de décès annuel oscille autour de 570 000 décès, soit environ 0,9 % de la population française. Les données statistiques de l’INSEE et les projections qui en découlent annoncent, pour les trente prochaines années, un vieillissement de la population, entraînant un accroissement du nombre des décès. Une étude de l’INED publiée en mars 2016 annonce une hausse importante des décès à terme en raison de deux phénomènes nouveaux. La fin de l’effet des classes creuses nées pendant la Première Guerre mondiale et l’arrivée des baby-boomers aux grands âges.
Le développement de la crémation
La part de la crémation dans le nombre total des décès en France est passée de 1 % en 1980 à près de 35 % en 2015. Cette croissance continue de la crémation va se poursuivre, pour dépasser les 50 % dans les prochaines années. Cette augmentation n’est pas homogène selon les régions et est influencée par l’implantation des crématoriums. Le nombre de crématoriums ne cesse d’augmenter.
La prévoyance funéraire
Pour répondre à la demande de leurs clients, les opérateurs funéraires ont créé le contrat obsèques. La loi de 1995, dans un souci de protection des souscripteurs, a rendu obligatoire le passage par un contrat d’assurance pour le financement des obsèques. Le nombre de personnes décédées et détentrices d’un contrat d’assurance obsèques ayant fait l’objet d’un règlement dans l’année, en 2011, représente 18,3 % de l’ensemble des personnes décédées en France, soit une part relative qui augmente chaque année. Nous sommes passés de 8,5 % de décès couverts par un contrat obsèques en 2003 à plus de 20 % (estimation) en 2014. Si cette progression se maintient, nous allons vers un taux de 50 % des décès couverts par un contrat obsèques en 2040.
La structuration de l’offre
Pratiquement tous les secteurs de l’économie ont vu leur marché se restructurer ces dernières années, et notamment le secteur du commerce. Le marché des prestations funéraires n’a pas échappé à ce phénomène. Des groupements d’entreprises ont vu le jour : franchises, concessions de marques, groupements d’achats, etc. Les opérateurs funéraires indépendants restent très attachés à leur autonomie et hésitent à aliéner la moindre part de leur liberté de chef d’entreprise en adhérant à un réseau. Mais cette tendance est moins forte chez les plus jeunes, qui sont plus ouverts aux formes modernes de commerce.
II - La révolution technologique
Du milieu du XXe siècle au début du XXIe, nous avons basculé dans un autre monde.
Un nanomètre est égal à un milliardième de mètre. Il y a le même rapport de taille entre la Terre et une orange, qu’entre une orange et une nanoparticule. La physique quantique est la science qui explique le monde de l’infiniment petit, à l’échelle atomique. À partir de nano-objets, les physiciens font évoluer la nanoélectronique, l’électromagnétisme et l’optique. La nanotechnologie est déjà à l’œuvre dans beaucoup de secteurs qui touchent à la vie quotidienne, depuis les cosmétiques jusqu’à Internet. Les nanotechnologies ouvrent la voie à la fabrication de matériaux nouveaux, mais aussi à des applications biologiques, médicales et pharmaceutiques.
La biologie de synthèse nous laisse entrevoir que l’humain est sur le point de fabriquer des formes de vie nouvelles. Les biotechnologies alliées aux nanotechnologies et à la microélectronique peuvent mener à des applications de diagnostic au niveau cellulaire, à des capteurs électroniques à l’échelle moléculaire, à des systèmes de dosage de molécules pharmaceutiques intégrés dans des organes et commandés à distance.
L’informatique est partout. Le monde entier en porte la marque dans les moindres aspects du quotidien, et dans le développement des sciences et des techniques. Plus personne ne peut s’y soustraire. L’industrie informatique pèse 29 % du PIB de la planète, soit pratiquement le tiers des activités économiques mondiales. Chaque année, la capacité numérique générale augmente de 28 %. En 2010, en Europe, il y a 362 millions d’internautes, qui passent en moyenne plus de 24 heures par mois en ligne, dont un quart sur les réseaux sociaux. 47 % des internautes ont moins de 35 ans. Domination des réseaux sociaux et chute du trafic des mails, accroissement de la vidéo en ligne et passage de l’Internet fixe à l’Internet mobile sont les tendances lourdes actuellement constatées.
Les Technologies de l’Information et de la Communication (les TIC) permettent d’organiser la communication entre des nanopuces, c’est-à-dire la création de processeurs miniaturisés à l’échelle micrométrique et des systèmes informatiques situés dans leur environnement.
Les sciences cognitives visent à une modélisation des processus de perception, de diagnostic et d’interaction. Grâce aux progrès vertigineux de l’imagerie cérébrale par résonance magnétique (IRM), les neurosciences se déploient à grande vitesse. Alliées aux technologies de l’information et de la communication et aux nanotechnologies, elles s’orientent vers la conception de systèmes cognitifs qui intègrent les interactions d’éléments humains et non humains.
Il ne s’agit pas de science-fiction, mais d’un développement scientifique et technique sans précédent qui progressivement investit tous les domaines de l’activité humaine. L’activité funéraire ne manquera pas d’être touchée par ce moteur de modernisation.
III - Quelles incidences sur l’activité des services funéraires ?
Tout d’abord, l’utilisation de l’outil informatique s’est généralisée. À quelques exceptions près, toutes les entreprises de pompes funèbres et de marbrerie utilisent un ordinateur pour leur gestion. Soit avec un logiciel standard soit avec un logiciel spécifique. Comme dans tous les secteurs économiques, cette utilisation de l’informatique n’est pas neutre, elle est structurante, et ce d’autant plus que la réglementation impose un modèle de devis, bon de commande et facture.
Beaucoup d’entreprises, d’abord celles regroupées en réseaux, mais aussi des entreprises indépendantes, sont présentes sur Internet. Elles ont un site plus ou moins développé. Toutes ont compris l’importance d’être présentes sur le Net. C’est un peu comme la publicité, cela coûte cher, il est difficile d’en mesurer l’efficacité, mais il est impossible d’en être absent, au risque de ne plus exister aux yeux des clients. Ceux-ci ont de plus en plus recours à la comparaison des devis, et cherchent des informations sur Internet. Il est donc essentiel que chacun s’organise pour être en mesure de répondre rapidement aux demandes de renseignements par Internet, et de prolonger si possible la réponse par un contact téléphonique. C’est la condition pour transformer un client potentiel en client effectif.
Quand on sait que le prix est le premier critère de choix de l’opérateur funéraire, nous pouvons comprendre que les clients captifs sont de moins en moins nombreux et que la clientèle est plus volatile. Heureusement, l’accueil et la qualité des services restent un élément important de ce choix, mais encore faut-il être présent pour concourir et être aussi bon sur le site, au téléphone et dans la prise en charge des défunts et de leur famille.
En utilisant Internet, des sites de comparateurs de prix et services, dont il est légitime de douter de leur objectivité, se développent en essayant de se greffer entre les clients et leurs opérateurs funéraires, en se faisant rémunérer pour la mise en relation sans que l’apport d’activité soit effectif. Vous payez pour avoir une demande de devis pour un décès, pour un contrat obsèques ou pour un monument funéraire. Vous n’êtes pas le seul à payer, et peut-être qu’aucun de ceux qui répondent à la demande n’auront l’affaire, car beaucoup de demandes restent sans suite.
Beaucoup de nouveaux services tentent de se développer en s’appuyant sur le numérique. Les annonces nécrologiques, qui représentent une ressource non négligeable pour la presse quotidienne régionale, se trouvent concurrencées par des sites Internet spécialisés, qui permettent l’envoi de condoléances et la réponse des familles. La presse régionale réagit en s’adaptant et en mettant le même service à disposition de ses annonceurs. Les services après décès, qui étaient proposés à des prix relativement élevés, se sont retrouvés concurrencés par des services moins onéreux, mais pas toujours aussi complets et efficaces. Certains vont jusqu’à proposer la rédaction de faire-part sur Internet, et à venir se substituer au service rendu par l’opérateur funéraire.
Nous voyons ainsi poindre ce que l’on pourrait qualifier d’une certaine ubérisation d’une partie des services habituellement rendus par les professionnels du funéraire. Grâce au développement d’applications sur Internet et à l’image généreuse apparente de l’économie de partage, le gratuit est le moyen de s’approprier une part de la valeur ajoutée.
Enfin, ces progrès scientifiques accompagnent les progrès de la médecine et l’augmentation de l’espérance de vie. Certains vont jusqu’à dire que nous pourrons dépasser allègrement les 120 ans. Si ces prédictions se réalisent, nous pouvons prévoir qu’après l’embellie annoncée par l’étude de l’INED (voir ci-dessus), nous connaîtrons à nouveau une stabilisation du nombre de décès, voire une régression.
Nous voyons donc bien comment l’évolution des techniques s’empare des usagers, les transforme et nous amène à nous adapter pour répondre à cette transformation. Le service funéraire reste un service de proximité personnalisé peu soumis à la mécanisation. Mais la proximité se trouve elle-même en mutation dans la mesure où la technique augmente la concurrence, et risque de pousser à la standardisation. Standardisation qui, poussée à l’extrême, devient la négation même de notre métier d’accompagnement personnalisé des familles dans la dignité et la sobriété, en leur permettant de vivre leur souffrance sans se préoccuper des contraintes administratives et réglementaires dans le respect des règles d’hygiène publique.
Maurice Abitbol
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Résonance n°121 - Juin 2016
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