"Pour désirer laisser des traces dans le monde, il faut en être solidaire." Simone de Beauvoir
Bon nombre de pays européens, tels que l’Allemagne ou le Luxembourg, se sont lancés dans l’expérimentation d’un guichet unique pour les décès. Si l’expérience luxembourgeoise mérite d’être rapportée sur le plan pédagogique et informatif, c’est du côté de la Suisse, un pays tiers à l’Union européenne, qu’il convient de rechercher les prémices du guichet unique du décès.
En date du 19 septembre 2008, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil d’État une motion dont la teneur suit :
"Le Grand Conseil de la République et canton de Genève considérant : que la mort fait, entre autres, aussi partie de la vie administrative, invite le Conseil d’État à mettre en place, dans les plus brefs délais, un guichet unique pour tout ce qui concerne les problèmes liés au décès en relation avec les actes administratifs."
Objet de la motion du Conseil d’État suisse
La mort d’un proche concerne tout un chacun, et pourtant il n’existe pas d’administration directement en charge de cette problématique ou même désignée pour assurer la coordination entre les nombreux services administratifs appelés à intervenir.
Les difficultés commencent immédiatement après le décès, au moment où il s’agit de recevoir les certificats indispensables, de prévenir les services de l’État, ainsi que toute une série d’autres organismes hors État, tels que la poste, les banques, les assurances, etc. De nombreuses entités doivent être approchées pour accomplir les démarches administratives liées au décès d’un proche.
En invitant le Conseil d’État à mettre en place un guichet unique, le Grand Conseil préconise une solution d’organisation administrative, dont l’opportunité reste à démontrer et dont la compétence relève du pouvoir exécutif. Cela étant, il met en évidence :
- l’ampleur et la complexité de la tâche à laquelle doit faire face chaque personne concernée ;
- l’ignorance de chacun face à la quantité de démarches administratives induites par le décès d’un proche, et la méconnaissance du fonctionnement des administrations publiques. Une méconnaissance qui fait qu’ "on ne sait pas ce qui est urgent, prioritaire ou nécessaire".
Le Conseil d’État partage pleinement ces observations, et présente, le 22 mars 2010, un rapport qui constitue la réponse du Conseil d’État à la motion intitulée "Mort et guichet unique" déposée au Grand Conseil par les députés Véronique Pürro et Renaud Gautier le 1er octobre 2007.
Il se réfère directement à une étude émanant du groupe de travail transversal Guichet universel, laquelle dresse un état des lieux des procédures et actes administratifs relatifs au décès, évalue l’opportunité de la création d’un "guichet unique décès" et formule des pistes d’amélioration.
Constats du groupe de travail
Le groupe de travail chargé de préparer le rapport relatif à cette motion est parvenu, au fil des auditions et de l’évolution de ses observations, à un certain nombre de constats.
- Les actes administratifs liés au décès d’un citoyen sont très nombreux et complexes.
- Ils touchent tous les départements. Dans certains départements, plusieurs services sont impliqués.
- Aujourd’hui, il n’existe aucune instance à l’État qui gère le processus lié au décès dans son ensemble et tous les aspects qui y sont liés. De ce fait, la coordination entre les services et partenaires est plutôt faible dans ce domaine.
- Les problèmes rencontrés sont interconnectés et se situent à différents niveaux de l’organisation étatique :
- la structure de nos institutions cantonales,
- les processus de travail,
- les lois, règlements et directives,
- les systèmes informatiques,
- les ressources humaines,
- la formation,
- la communication.
- Statistiquement, environ 3 000 décès ont lieu à Genève par année, dont environ 2 500 se produisent dans des établissements médico-sociaux ou des hôpitaux.
- Une problématique plus large, mais hors de la compétence d’une administration publique, est le caractère tabou de la mort dans notre société ; il en découle une tendance à nier cette réalité et à ne pas s’y préparer.
La pertinence de la création d’un guichet unique
L’étude montre que la création d’un "guichet unique décès" ne constitue pas une solution adéquate, essentiellement pour les raisons suivantes :
- la complexité et la diversité des situations qui peuvent être rencontrées suite à un décès ;
- les coûts d’une administration mortuaire qui devrait être ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an ;
- la distinction qui doit être faite entre les partenaires concernés du secteur privé et du secteur public ;
- les choix personnels de nature privée que pourraient effectuer les proches.
Le Conseil d’État partage cette analyse
Les demandes des motionnaires, le débat parlementaire du 18 septembre 2008 relatif à cette motion, les auditions menées auprès des services étatiques ou para-étatiques concernés, les fonctionnements des administrations cantonales et communales, ainsi que les analyses faites ont permis de dégager les pistes suivantes :
- Une meilleure diffusion de l’information relative au décès d’une personne auprès de tous les partenaires concernés ; la possibilité de diffuser l’information essentielle à tous les partenaires pour déclencher en une seule action la plupart des "démarches décès" ; une circulation souple, simple et efficace de l’information entre les services concernés lors de chaque décès.
- Une information destinée au public établie de manière homogène, disponible chez tous les partenaires, dans des langues et sur des supports divers. Il s’agit pour l’Administration de pouvoir donner l’ensemble des informations sur les démarches à effectuer auprès de chacun des guichets concernés par la mort d’un citoyen genevois, confédéré ou étranger hors ou sur le territoire genevois.
- Une visibilité et une connaissance transversales de chacun des interlocuteurs impliqués et une bonne maîtrise du processus complet par tous les intéressés.
- Une amélioration des contacts avec les proches, que ce soit par courrier, par téléphone ou au guichet ; il s’agit notamment de modifications dans les textes et les mots employés lors de courriers envoyés aux proches, d’un accueil approprié et de démarches de l’Administration plus empathiques.
- Des modifications des pratiques administratives, afin de simplifier les démarches actuelles ; une meilleure cohérence dans les actions menées par les interlocuteurs concernés, ainsi qu’une visibilité et une information globales des démarches à effectuer par les proches.
Le Conseil d’État fait siennes ces pistes d’amélioration et a d’ores et déjà donné à l’Administration les instructions nécessaires pour qu’elles soient mises en œuvre, avec un effort principal sur les points suivants :
- La diffusion immédiate de l’information relative au fait du décès d’une personne auprès de toutes les administrations concernées et sa prise en compte par ces dernières sans nouvelle exigence d’annonce, ce dans les limites fixées par la loi.
- La mise à disposition des proches du défunt d’une information pratique, complète et facile d’accès sur les démarches à entreprendre.
- Une procédure d’obtention la plus simple et la plus rapide possible des documents indispensables aux premières opérations administratives.
À la place du guichet unique : des propositions détaillées d’amélioration
L’étude présente une vingtaine de propositions d’amélioration dont la mise en œuvre est envisageable à court, moyen ou long terme, selon les ressources à disposition, concernant divers domaines de l’activité administrative, tels l’état civil, l’administration fiscale, les pompes funèbres, la police, la protection des données, le logement, dont, pour la plupart, l’application est encore subordonnée à des études de faisabilité et de coût, ainsi qu’à des décisions de mise en exécution à différents niveaux de l’organisation administrative genevoise.
Une partie de ces recommandations ont déjà été mises en œuvre par certains services interpellés par le groupe de travail mandaté.
Conclusion : des mesures d’amélioration à la place du guichet unique
S’il ne mettra pas sur pied un "guichet unique décès", le Conseil d’État partage totalement la volonté du Grand Conseil de faciliter aux proches des personnes décédées l’accomplissement des actes administratifs auxquels ils sont tenus et qui font partie du processus de deuil. Les pistes d’amélioration proposées une fois mises en œuvre permettront d’accroître la sécurité du droit et d’éviter nombre d’incidents désagréables pour les usagers comme pour l’Administration.
Méziane Benarab
Extrait de l’ouvrage "Et si on en faisait a grande cause nationale" ?
Pour un statut de la personne endeuillée dans la société contemporaine.
Co-auteurs : Georges Colombier et Méziane Benarab.
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :