Après avoir nettoyé la peau, faites-la cuire dans un chaudron rempli d’eau additionnée de vinaigre. Ensuite, coupez-la en petits morceaux de 10 cm2 environ. Vous envelopperez les os, sciés en fragments gros comme le nez, dans ces morceaux de peau, et vous plongerez vos petits paquets dans la friture bien chaude. Pour que les os soient d’une blancheur parfaite, vous pouvez au préalable les brosser avec de la pâte dentifrice.
Roland Topor, "La peau et les os", in "La Cuisine cannibale"
Le cannibalisme est une pratique qui consiste à consommer (complètement ou partiellement) un individu de sa propre espèce. L’expression s’applique à la fois aux animaux non humains qui dévorent des membres de leur groupe (par exemple, les mantes religieuses) et aux êtres humains consommant de la chair humaine. L’origine de cette pratique reste un mystère et son spectre inquiétant qui défraye régulièrement la chronique. Ainsi, depuis les années 1980, le cannibale japonais Issei Sagawa s’est hissé au rang d’icône internationale après avoir tué, découpé et dévoré à Paris une jeune étudiante hollandaise, Renée Hartevelt.
La démarche effrayante d’Armin Meiwes, surnommé "le cannibale de Rotenburg", provoque elle aussi répulsion et indignation : en 2001, après avoir recruté sur Internet un homme "désirant être mangé", Meiwes sectionne, partage et déguste le pénis de sa victime "consentante" avant de l’éviscérer tout entière et de l’engloutir, tout en prenant soin de congeler certains morceaux de choix.
De même, Nicolas Cocaign, le cannibale de Rouen, suscite le dégoût depuis son acte de 2007, lorsqu’il assassine son codétenu puis prélève et mange des morceaux de ses chairs, cuisinées sur un petit réchaud, avec de l’ail frais et des échalotes hachées menu.
Le point commun chez tous ces tueurs cannibales est qu’ils revendiquent la finesse et le goût délicat des viandes consommées, expliquant leur geste par un profond désir de mastication, une appétence pulsionnelle animée par la curiosité : pour savoir quel goût ça a.
Si manger de la chair humaine suscite craintes et appréhensions, et d’abord la peur d’être soi-même mangé, l’artiste d’origine allemande Annabel de Vetten nous propose de simuler l’expérience. Inspirée par les films gores et les séries TV comme "Dexter", mais aussi par l’Histoire de l’art, les vanités ou encore l’anatomie du corps humain et "La Vénus des médecins de Susini"(1), cette ancienne artiste naturaliste et taxidermiste allemande travaille depuis plusieurs années avec du chocolat et des pâtes de sucre, qu’elle fond, moule puis façonne délicatement pour créer des modèles d’anatomie réalistes et parfumés. Entre attirance et répulsion, ses créations morbido-culinaires sont répertoriées dans sa "Conjurer’s Kitchen", sorte d’antichambre mystérieuse, cuisine-laboratoire dans laquelle on découvre des organes découpés, des corps mutilés, des membres amputés, tous en attente de dégustation.
Pour parvenir à ses "faims", l’artiste, comme un grand chef étoilé, orchestre très méthodiquement les différentes étapes de ses recettes, en ayant toujours une balance et un thermomètre de cuisson à disposition. Tout d’abord, elle prépare secrètement ses dosages et ses mélanges comestibles en utilisant, entre autres, différents colorants alimentaires, en gels, en liquides ou en poudres. Elle utilise ensuite des moules conçus par ses soins, dans lesquels le chocolat est fondu puis durci.
Après démoulage, elle lisse le chocolat au pinceau, afin de lui donner l’aspect velouté de la peau, de renforcer des ombres ou d’accentuer certaines textures. Il lui arrive également de sculpter directement dans le chocolat, en faisant surgir les formes par retrait de matière. Pour ce faire et durant toutes les phases de création, Annabel de Vetten utilise différents outils pour façonner certaines formes avec habileté.
Elle utilise ainsi des couteaux, avec ou sans dents, des petits scalpels, mais aussi de minuscules aiguilles de couturière pour finaliser certains détails lilliputiens : les paupières sucrées d’une défunte, un entrelacs de nerfs en chocolat, ou des lambeaux de peau, plus vrais que nature. Pour certaines commandes spécifiques, il lui arrive également d’avoir recours à un aérographe, et même à une imprimante fonctionnant avec de la peinture et des encres comestibles. Le résultat est surprenant : là, un gâteau en forme de tête trépanée laisse entrevoir un cerveau de guimauve ; ici, des fragments anatomiques, muscles, tendons, nerfs capillaires et buste de chairs rapiécées sont prêts à être consommés.
Entre séances d’autopsie et recettes de cuisine, l’univers d’Annabel de Vetten oscille entre deux registres : tout à la fois repoussantes et appétissantes, ses créations constituent un étrange menu pour convives curieux. Bon appétit !
Lolita M’Gouni
Nota :
(1) Figure de cire réaliste, "La Vénus des médecins" de Clémente Susini, 1781-1782.
Vous pourrez commander les gâteaux et les chocolats d’Annabel de Vetten (et même des cartes de vœux comestibles !) sur son site www.conjurerskitchen.com |
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :