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Le colloque organisé par le Centre Européen d’Études et de Recherche Droit et Santé sur le thème "Droit et vie du corps mort" a eu lieu en mars dernier. À cette occasion était proposé un regard croisé et bienveillant sur ces questions qui occupent ou préoccupent tout un chacun (suite).

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Lucas Monsaingeon.

1914-2014 : les cimetières et monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, lieux de deuil, lieux de commémoration

Par Lucas Monsaingeon, architecte diplômé de Marseille-Luminy et de Paris-Belleville, qui travaille depuis 5 ans au sein de l’agence d’architecture Philippe Prost, où il a été en charge du projet et du chantier du mémorial de Notre-Dame-de-Lorette.

Les approches nationales des sépultures et monuments commémoratifs dans l’immédiat après-guerre

En 1918, l’armistice de la Première Guerre mondiale laisse des portions entières de territoire français dévastées par des années de combat. Les champs de bataille portent en eux les corps de plusieurs millions de combattants, corps parfois enterrés à la va-vite, parfois disparus, déchiquetés par les explosions d’obus. Au sortir de la guerre, les puissances ennemies sont confrontées à un immense problème logistique et humain : comment rendre une sépulture digne à tous ces soldats, et permettre ainsi à leur famille de faire leur deuil ?(1)

Le traité de Versailles fait porter à l’Allemagne, puissance envahisseuse et défaite, la responsabilité de la guerre. Jusqu’en 1926, la France dénie aux Allemands le droit à gérer leurs sépultures ; ce sont donc les Français qui, au sortir de la guerre, refuseront de rendre les corps aux familles et se chargeront de regrouper les corps des combattants allemands en de vastes nécropoles, imposant une croix de bois noir à la place des stèles blanches. Plus tard, lorsque le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge sera autorisé à intervenir sur ces nécropoles, architectes et paysagistes allemands planteront ces espaces de nombreuses essences d’arbres, conférant à ces nécropoles un caractère romantique évocateur des forêts de la mythologie allemande. Il faudra attendre 1966 pour qu’elles soient rendues définitivement à l’État allemand.

Les Britanniques, quant à eux, furent les premiers à mettre en place dès le début du conflit un organisme chargé des sépultures – la Commonwealth War Graves Commission –, qui sera chargé d’enterrer les soldats tombés au champ d’honneur et de répertorier leurs lieux d’inhumation. Le choix est fait après-guerre de conserver et pérenniser cette myriade de micro-cimetières où les soldats sont regroupés par unités au plus près de l’endroit où ils sont tombés. Une équipe de talentueux architectes et paysagistes parmi lesquels Sir Edwin Lutyens se charge de leur aménagement : implantés au milieu des champs, les cimetières regroupent parfois à peine quelques dizaines de combattants ; des stèles de pierre blanches toutes identiques se dressent sur un gazon parfaitement tondu, cernées d’un muret de pierres sèches. Aujourd’hui, les anciennes zones de combat de France ou de Belgique sont donc parsemées de près de 1 000 cimetières britanniques, qui sont autant d’enclaves extra-territoriales en France.(2)

En complément de ces sépultures individuelles, un programme monumental est lancé par les pays du Commonwealth, avec un double objectif : offrir un lieu de sépulture aux soldats dont les corps n’ont pas été retrouvés en faisant graver leurs noms dans la pierre, et commémorer les lieux de batailles importants pour les identités nationales en cours d’émancipation (mémoriaux canadiens, néo-zélandais, etc.).(3) Aujourd’hui, ces lieux de mémoire sont encore activement fréquentés par des familles ou par des groupes scolaires, qui font le déplacement depuis parfois d’autres continents pour découvrir les tombes et les lieux de combat de leurs ancêtres.

P1010723 fmtVue partielle de la nécropole nationale française de Notre-Dame-de-Lorette
depuis la tour-lanterne. Photo : Lucas Monsaingeon.

Les Français, eux, prendront le parti inverse des Anglais : les corps des combattants sont déplacés et regroupés en d’immenses nécropoles nationales, dont la plus grande à Notre-Dame-de-Lorette dans le Pas-de-Calais regroupe plus de 40 000 corps, dans des sépultures individuelles ou, quand les corps n’ont pu être identifiés, dans des fosses communes. Un programme national de petits Monuments aux morts est mis en œuvre afin de permettre aux familles de faire leur deuil alors que l’État refuse de restituer les corps. Chaque commune se dote bientôt de son Monument, aux accents tantôt bellicistes tantôt pacifistes ; on en recense plus de 40 000 sur tout le territoire français.(4)

Le mémorial international de Notre-Dame-de-Lorette, un monument rétroactif et international

En 2014, pour le centenaire du conflit de la Première Guerre mondiale, la région Nord-Pas-de-Calais a souhaité réaliser un monument commémoratif regroupant les noms de tous les soldats tombés sur son sol, sans distinction de nationalité, de grade ou de religion. Ce mémorial "international" ne ressemble donc à aucun monument précédemment réalisé, il vise à transcender les commémorations nationales et identitaires du conflit.

Plusieurs années de méticuleuse collecte ont permis de rassembler une liste de 579 606 noms d’une quarantaine de nations. Si toutes ces personnes se réunissaient et se tenaient par la main, elles formeraient une chaîne humaine de 900 kilomètres de circonférence, la distance entre Paris et Berlin. La vision soudaine de ces milliers de noms réunis pour la première fois doit permettre au visiteur de prendre conscience de l’ampleur du massacre. Face à la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette, une parcelle allongée à flanc de colline est retenue pour abriter le futur monument.

En réponse au concours lancé en 2011, l’agence d’architecture Philippe Prost propose une forme simple, un anneau elliptique évoquant la fraternité et l’éternité. Ancré horizontalement dans la pente, il s’en détache progressivement jusqu’à flotter en porte-à-faux dans l’espace : ce faisant, il matérialise l’expression de la paix, aujourd’hui établie, mais toujours fragile.(5)

Press 009 eclaircie fmtVue du mémorial international de Notre-Dame-de-Lorette depuis la tour-lanterne.
Philippe Prost, architecte/AAPP © adagp, 2014. Photo Aitor Ortiz.

La structure de l’anneau, qui représente une prouesse technique par sa taille et son porte-à-faux courbe, est réalisée en béton fibré ultra-haute performance préfabriqué noir, totalement muet de l’extérieur. À l’intérieur, le visiteur découvre à 360° les 579 606 noms, gravés sur 500 panneaux dorés en acier inoxydable d’après une police de caractère spécifique conçue par le typographe Pierre di Sciullo.
Réalisé en moins d’un an, le projet est inauguré par le Président de la République le 11 novembre 2014, en présence de représentants des principales nations concernées.

Ce mémorial, œuvre unique de par son programme, ses dimensions et son aspect architectural, cherche à dépasser rétroactivement les aspects nationaux de ce conflit pour célébrer l’Europe pacifiée et réunie d’aujourd’hui. En cela, il est autant tourné vers le passé que vers le futur. Il offre, un siècle plus tard, une présence et un sens aux corps éparpillés des disparus.

"Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants."
François René de Chateaubriand, "Mémoires d’outre-tombe".

Nota :
(1) Sur l’industrie des sépultures au sortir de la guerre, voir le roman prix Goncourt de Pierre Lemaître, "Au revoir là-haut", Albin Michel, 2013.
(2) Voir à ce sujet Frank Rambert, "Jardins de guerre, les cimetières britanniques sur le front Ouest", Métis Presses, 2014.
(3) Voir par exemple le mémorial canadien à Vimy, ou le mémorial aux disparus de la Somme à Thiepval.
(4) La littérature est riche sur ces monuments, voir par exemple Claude Duneton, "Le Monument", Presses de la cité, 2010, ou encore Antoine Prost, "Les Monuments aux morts", in "Les Lieux de mémoire", sous la direction de Pierre Nora, Gallimard, 1984.
(5) Voir Philippe Prost et Aitor Ortiz, "Mémorial international de Notre-Dame-de-Lorette", Les Édifiantes éditions, 2014

Résonance n°115 - Novembre 2015

 

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