Depuis l’abolition du monopole communal sur le service extérieur des pompes funèbres, notre secteur d’activité a connu beaucoup de changements. La loi de 1993 a ramené le marché des services funéraires dans le jeu de la concurrence. La nouvelle réglementation a favorisé la multiplication du nombre d’opérateurs et devait promouvoir la modernisation de la profession. Après plus de vingt ans d’évolution, où en est-on et quel avenir semble se dessiner pour ce secteur d’activité ?
Maurice Abitbol, directeur de Obsèques prévoyance. |
Les conséquences de la nouvelle réglementation
La loi a aboli le monopole communal du service extérieur et soumis l’exercice de la profession d’opérateur funéraire à une formation et à une habilitation préfectorale. Les intérêts moraux et financiers de la famille endeuillée ont fait l’objet de dispositions particulières. La liberté du choix de l’opérateur funéraire est assurée. Des mesures sont imposées aux opérateurs pour garantir aux familles une meilleure information et une libre concurrence. La commercialisation des contrats de financement en prévision d’obsèques est réglementée.
La nouvelle réglementation et l’instauration de la concurrence ont favorisé la multiplication du nombre d’opérateurs et avaient pour ambition de promouvoir la modernisation de la profession. En 2004, les très petites entreprises composent l’essentiel du tissu économique du secteur. Les opérateurs funéraires restent très attachés à leur indépendance. Mais l’âge moyen des chefs d’entreprise et les perspectives de développement laissaient prévoir le développement d’un mouvement de concentration. La tendance à l’affiliation à un réseau afin de pallier les désavantages liés à la petite taille des opérateurs a fait son chemin. Progressivement, le départ à la retraite des dirigeants et l’arrivée de jeunes aux commandes ont probablement atténué cette résistance au regroupement.
Principales caractéristiques du marché
L’indice des prix dans le secteur funéraire est en progression constante et supérieure à l’évolution de l’indice général des prix à la consommation. Cet indice spécifique mesure l’évolution du prix d’un convoi funéraire, avec ou sans transport, en France et dans les départements d’outre-mer. Cette évolution dément la logique économique qui veut que la concurrence accrue entraîne une baisse des prix.
Elle prouve que les entreprises du secteur ont augmenté leurs prix et leur offre de services pour résister à la dégradation de leurs parts de marché.
En France, le nombre de décès annuel oscille autour de 570 000 décès, soit environ 0,9 % de la population française. Les données statistiques de l’INSEE et les projections qui en découlent annoncent, pour les trente prochaines années, un vieillissement de la population, entraînant un accroissement du nombre des décès. Il était prévu 600 000 décès par an en 2020 et plus de 800 000 en 2040. Les progrès de la médecine, l’évolution des conditions de vie, l’amélioration de l’alimentation ont permis d’augmenter l’espérance de vie en France, et retardent d’autant la réalisation de ces prévisions. Mais l’espoir persiste de participer à un marché porteur qui ne pourra que se développer.
La concurrence a poussé à la généralisation de certains services, comme les soins de conservation et surtout l’utilisation des chambres funéraires.
La part de la crémation dans le nombre total des décès en France est passée de 1 % en 1980 à 17 % en 2000, et presque 33 % en 2013. Cette croissance continue de la crémation va se poursuivre pour dépasser les 50 % dans les prochaines années. Cette augmentation n’est pas homogène selon les régions et est influencée par l’implantation des crématoriums. Le nombre de crématorium ne cesse d’augmenter. Réglementairement, la création d’un crématorium dépend de l’initiative des pouvoirs publics, mais peut être gérée par le privé sous la forme de la délégation de service public. Il y a en France 167 crématoriums, 75 % de ces établissements sont gérés en délégation de service public. En 2018, l’arrêté précisant les quantités maximales de polluants autorisées entrera en application et contraindra les établissements à moderniser leurs installations pour respecter les nouvelles normes. Ce développement de la crémation se fait au détriment de l’inhumation. Le chiffre d’affaires généré par une crémation est inférieur à celui d’une inhumation. Globalement, nous pouvons estimer que l’augmentation du nombre de décès dans les années à venir ne s’accompagnera pas d’une même augmentation du chiffre d’affaires, car elle sera en grande partie absorbée par un transfert de l’inhumation vers la crémation.
Pour répondre à la demande de leurs clients, les opérateurs funéraires ont créé le contrat obsèques. La loi de 1995, dans un souci de protection des souscripteurs, a rendu obligatoire le passage par un contrat d’assurance pour le financement des obsèques. Selon une étude de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA) et du Groupement des entreprises mutuelles d’assurances, le nombre de contrats d’assurance obsèques en cours dans les sociétés d’assurances à la fin de l’année 2011 s’élève à près de 3 millions, en progression de 7 % sur un an. Les contrats en capital (non adossés à un contrat de prestations funéraires) représentent 74 % du portefeuille (soit 2,2 millions de contrats). Les contrats adossés à un contrat de prestations funéraires (contrats en prestations) représentent un quart du portefeuille. Le nombre de personnes décédées et détentrices d’un contrat d’assurance obsèques ayant fait l’objet d’un règlement dans l’année, en 2011, représente 18,3 % de l’ensemble des personnes décédées en France, soit une part relative qui augmente chaque année. Nous sommes passés de 8,5 % de décès couverts par un contrat obsèques en 2003 à plus de 20 % (estimation) en 2014. Si cette progression se maintient, nous allons vers un taux de 50 % de décès couverts par un contrat obsèques en 2040.
Le développement continu de la numérisation de l’économie et la généralisation de l’utilisation d’Internet n’épargnent pas le secteur funéraire. L’avenir ne manquera pas d’être imprimé par ce nouveau moteur de modernisation.
La structuration de l’offre
Pratiquement tous les secteurs de l’économie ont vu leur marché se restructurer ces dernières années, et notamment le secteur du commerce. Il y a eu tout d’abord le secteur de la distribution des produits de consommation courante, avec le développement des supermarchés puis des hypermarchés, suivi de la multiplication des enseignes puis de la réduction du nombre d’enseignes par regroupements successifs. La grande distribution spécialisée a suivi le même schéma avec les magasins de bricolage, les papiers peints, les vêtements, les chaussures, les parfums... Les services à la personne ont eux aussi connu leur évolution : coiffure, instituts de beauté, salles de gym… Récemment, l’apparition des discounters bouscule certaines situations qui semblaient acquises. Il était difficile de croire que le marché des prestations funéraires échapperait durablement à ce phénomène.
Des groupes financiers et industriels ont commencé à s’intéresser au secteur et cet intérêt ne s’est pas toujours concrétisé. Des groupements d’entreprises ont vu le jour : franchises, concessions de marques, groupements d’achats, etc. Là aussi, l’évolution a été laborieuse. Les opérateurs funéraires indépendants restent très attachés à leur autonomie et hésitent à aliéner la moindre part de leur liberté de chef d’entreprise en adhérant à un réseau. Mais cette tendance est moins forte chez les plus jeunes, qui sont plus ouverts aux formes modernes de commerce.
La multiplication du nombre d’opérateurs a rendu le marché très concurrentiel. Une concurrence accrue et un nombre de décès relativement stable depuis plusieurs années rendent la situation des entreprises assez difficile. Chacun attend avec impatience la remontée du nombre de décès, que les prévisionnistes annoncent avec l’arrivée du "papy-boom". Cette perspective, même si elle tarde à venir, aiguise les appétits d’investisseurs intéressés par un secteur que l’on prédit à un avenir radieux.
À la veille de la disparition du monopole, une grande entreprise du secteur avait plus 50 % du marché. Le changement de réglementation a entraîné une redistribution des cartes, et un meilleur équilibre entre plusieurs grandes enseignes et un nombre assez important d’opérateurs locaux.
Cet été, le secteur funéraire vient de vivre un évènement majeur pour son évolution future. Le groupe FUNECAP a pris le contrôle de ROC-ECLERC. Avec cette acquisition, le nouveau groupe, dans son communiqué, annonce qu’il approchera les 250 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, dont 110 millions en propre et 140 millions en franchise, 200 agences exploitées en propre sous plusieurs marques, 450 agences exploitées en franchise, 23 crématoriums, 40 funérariums et une filiale spécialisée dans le courtage de contrats de prévoyance obsèques. Le groupe FUNECAP s’estime idéalement placé pour poursuivre sa politique volontariste de développement et rester le leader de la consolidation d’un marché qui évolue rapidement avec l’augmentation démographique du nombre de décès, le développement de la crémation et de la prévoyance obsèques et l’importance croissante d’Internet. Il a pour objectif de doubler sa part de marché et son chiffre d’affaires dans les sept ans qui viennent. Pour cela, il dispose de plus de 100 millions de disponibilités.
Il y a donc aujourd’hui deux grands groupes funéraires en France, l’ancien et le nouveau, qui vont contrôler très vite plus de 50 % du marché des services et des infrastructures funéraires. Faut-il craindre un risque de retour à la case départ ? Espérons que, 20 ans après la disparition du monopole communal des pompes funèbres et l’introduction de la concurrence, nous n’allons pas nous retrouver à nouveau dans un marché dominé par les plus forts (financièrement) et que la liberté de choix de l’opérateur funéraire par les familles restera préservée. De plus, outre les opérateurs indépendants, les fournisseurs du secteur funéraire eux aussi devront être vigilant. Dans un pays qui a fait le choix de la liberté économique, il revient à l’État de réguler les marchés et de veiller à ce que la liberté d’entreprendre soit préservée pour tous. Les pouvoirs publics doivent aussi garantir que, consommateurs et utilisateurs des biens et services, conservent, au maximum, leur liberté de choix sans que la concurrence soit faussée.
Maurice Abitbol
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Résonance n°113 - Septembre 2015
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