Après la période estivale, où le gestionnaire de cimetière s’est battu avec ses mauvaises herbes toutes fières de pouvoir proliférer à foison dans l’exclusion de tous produits phytosanitaires, et juste avant La Toussaint, temps fort annuel, où chaque lieu se fait fort d’être le plus accueillant pour les milliers de personnes qui se déplacent à cette occasion pour honorer la mémoire d’un proche, vient un temps où l’on s’interroge sur la valeur patrimoniale de son cimetière.
Georges Martinez, président de l’A.NA.PE.C. |
Les 19 et 20 septembre 2015 se dérouleront les 32es Journées européennes du patrimoine. Il est amusant de noter que la paternité de ces journées se dispute au plus haut niveau politique. Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la République, souligne que les premières Journées du patrimoine ont eu lieu en septembre 1980 sous son septennat, alors que le ministère de la Culture estime que les premières Journées ont démarré en 1984 sous le patronage de Jack Lang et la présidence de François Mitterrand.
Voici ce qu’en dit Mme Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication :
"En découvrant l’architecture d’aujourd’hui, vous visitez le patrimoine de demain : telle est l’invitation que je vous ai faite, pour ces 32es Journées européennes du patrimoine.
Chaque année, ces journées sont l’occasion de découvrir les œuvres, les monuments et les jardins que les générations précédentes nous ont légués, que nous avons su préserver et mettre en valeur au fil du temps. Et chaque année, ces journées sont un succès, car dans le patrimoine, chacun voit à raison une part de sa propre histoire. Cette année encore, 17 000 lieux seront ouverts au public, en Outre-Mer comme en Métropole.
Mais cette année sera singulière. L’édition 2015, au-delà de ces ouvertures très attendues, met en effet à l’honneur le patrimoine en train de se faire : les créations architecturales et paysagères de ces quinze dernières années.
Alors le XXIe siècle, déjà patrimonial ? La vitalité architecturale de notre époque ne fait guère de doute, et le ministère de la Culture et de la Communication est d’ailleurs aux côtés des créateurs du présent : c’est la vocation de la Stratégie Nationale pour l’Architecture que j’ai souhaité initier cette année. À l’heure de la COP21, la question environnementale sera elle aussi au cœur de ces Journées, comme elle est d’ailleurs au cœur de la réflexion architecturale et paysagère de notre époque.
Ce qui restera en revanche de ce siècle naissant fera sans doute l’objet de débats passionnés pour les générations qui nous succéderont : depuis que la nécessité de préserver le bien commun s’est imposée, ce qui doit faire partie de l’héritage n’a de cesse d’être interrogé.
Pour autant, ce que nous transmettrons se prépare dès aujourd’hui. Dans cet héritage, la création contemporaine a toute sa place : c’est l’objet du projet de loi pour la liberté de création, l’architecture et le patrimoine que j’ai présenté cet été, et dont le Parlement débattra cette année.
Cet héritage, chacun est aussi invité à le reconnaître et à le distinguer, au cours de ces Journées : l’avenir du patrimoine est une question qui nous concerne tous, et en particulier les jeunes, qu’ils en soient aujourd’hui les concepteurs, les constructeurs ou les usagers.
Que ces Journées européennes du patrimoine soient donc pour chacun de vous l’occasion de s’émerveiller, et de songer à ce qui émerveillera, demain, nos enfants et nos petits-enfants."
Fleur Pellerin
Ministre de la Culture et de la Communication
Certes, je le disais en introduction, il est plus fréquent de visiter les cimetières dans une démarche plus personnelle, pour s’incliner devant la tombe d’un parent ou d’un ami. Il est plus rare de se déplacer pour aller visiter la tombe d’un autre, ou partir à la recherche d’une originalité architecturale, et pourtant…
En matière de patrimoine, on cite fréquemment les cimetières parisiens, et en particulier celui du Père-Lachaise, qui recueille les dépouilles de tant de gens célèbres acteurs de l’histoire de notre pays, personnages d’État, ou ayant éclairé la littérature, la peinture, la musique et la culture d’une manière générale.
Du Père-Lachaise, la mairie du XXe arrondissement de Paris dit : "Parmi les 69 000 tombes environ que compte le Père-Lachaise, on peut trouver celles de personnalités de tous les horizons, ce qui fait du cimetière un des lieux les plus visités de Paris après la tour Eiffel, le Louvre et Notre-Dame.
Le Père-Lachaise reçoit en effet environ 2 millions de visiteurs par an, attirés par la beauté du site, le nombre des personnages célèbres, le charme spécifique de ce "jardin pour les morts" qui n’a pas son équivalent dans le monde, la qualité des œuvres d’art qui décorent de nombreux tombeaux, comme "la Musique en pleurs" sur la tombe de Chopin."
Si Paris reste une exception, chaque cimetière de France recèle sa propre richesse patrimoniale qu’il lui appartient de mettre en valeur, et certains lieux sont d’ores et déjà répertoriés et réputés comme abritant une grande personnalité dont certains sont d’éminents lieux de pèlerinage voire de culte de fans qui mettent parfois en difficulté les municipalités en charge de la sécurité et de l’accueil.
Ce n’est pas sur ces lieux connus que je voudrais m’arrêter dans ces quelques lignes, mais plutôt sur ceux que l’on ignore et qui s’ignorent peut-être eux-mêmes.
Cimetière de Cestas Lucatet.
Il existe plusieurs types de patrimoines à valoriser dans un cimetière
- En premier, nous l’avons vu, sont identifiées sans difficulté les personnes qui par leur vie ou leurs actes ont été suffisamment remarquables pour que la mémoire collective s’en souvienne. Le travail du conservateur consiste aussi à rechercher parmi les défunts qu’il administre ceux qui, méconnus du grand public, ont, par leur œuvre, ce mérite de pouvoir être honorés localement. La typologie est très variée. Ce peut être un ancien élu ayant enchaîné un grand nombre de mandats, ou étant à l’origine d’une réforme pertinente et pérenne, ou d’un bâtiment à l’architecture originale ou dont l’usage est approuvé de tous. Ce peut être un militaire ou groupe de militaires, ou un résistant ou groupe de résistants, ayant ardemment défendu leur ville ou village. À ce titre, les "Morts pour la France" peuvent bénéficier d’honneurs à la hauteur de leur héroïsme. Ce peut être un religieux ou religieuse ayant marqué son temps localement ou à plus grande échelle, voire internationale, ou ayant fondé l’école ou empli une mission particulièrement remarquable qui honore la ville. Ce peut être un quidam qui aurait sauvé une vie au péril de la sienne. Ce peut être tel ou telle ayant servi une association communale dans une grande longévité et avec un dévouement exemplaire.
- En second, il peut s’avérer intéressant de mettre en valeur l’architecture, ou le décor voire l’épitaphe d’un monument funéraire. Certaines sépultures bénéficient à cet égard de fresques inspirées et éloquentes, ou d’un type de matériau original et remarquable. D’autres le seront par leur volume parfois très impressionnant. Certains cimetières bénéficient d’infrastructures qui leur sont propres telles que des chapelles, des enfeus, des columbariums ou l’entrée de l’ossuaire qui méritent un détour.
- Enfin, l’aménagement même du cimetière peut tenir lieu à lui tout seul de pépite patrimoniale. Le dessin de ses espaces verts et allées, la stature ou l’âge des arbres, le revêtement de la voirie, l’architecture de son mobilier ou de ses fontaines, la présence de ruches ou d’une faune voire d’une flore particulière observable en certains lieux. Les choix paysagers pratiqués par certaines municipalités ont transformé leur cimetière en parc où l’on se promène comme dans un square, s’adonnant à la lecture au hasard d’un banc. Les tombes y sont parfois à peine visibles tant elles sont intégrées dans le paysage, pour certaines à peine marquées par une stèle, dépourvues de toute forme de monument, engazonnées et entretenues au cordeau.
Voilà une liste non exhaustive de tout ce qui peut constituer le patrimoine d’un cimetière. Mais tous ces exemples ne sont pas à la disposition du maire. Pour certaines sépultures toujours sous concession, il appartient au service du cimetière de se rapprocher du concessionnaire ou de ses ayants cause pour lui expliquer la mesure de valorisation qu’entend mettre en œuvre la municipalité afin d’obtenir son accord écrit.
Pour celles en fin de droit, la municipalité doit, lors des opérations de reprise, délibérer en Conseil municipal sur la suite qu’elle compte donner à la sépulture en s’engageant à en assurer l’entretien à perpétuité ou pour une durée qu’elle fixera.
Saint-Léon-sur-Vézère cimetière enfeus.
Pour les concessions toujours en cours (perpétuité, cinquantenaires ou centenaires) dont il est impossible de retrouver la moindre trace de descendance, si trente ans se sont écoulés depuis son acquisition, il faut lancer une procédure d’abandon telle que décrite par le Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT – (R. 2223-12 et suivants) et, à l’issue des 3 années de procédure, procéder comme pour une reprise administrative à "l’acquisition" de l’emplacement par délibération du Conseil municipal.
Ces "acquisitions patrimoniales" que peut décider la municipalité sont assujetties à un engagement de mise en valeur, de rénovation et d’entretien qui doit faire l’objet d’une évaluation financière tant en investissement qu’en fonctionnement annuel. Certains biens peuvent peut-être se prévaloir d’un caractère historique ou culturel susceptible d’octroi de subventions.
Enfin, il ne suffit pas de disposer d’une richesse patrimoniale, encore faut-il le faire savoir. La signalétique des lieux prend alors toute son importance. L’acquisition d’un lieu peut être l’occasion pour la ville de lancer une rénovation de toute la signalétique du cimetière, voire de la ville. Il est important que le maire définisse pour sa ville une charte graphique déclinée à la fois sur le domaine de la voirie et des bâtiments, mais aussi au travers de ses outils de communication. Il s’agit là du résultat d’une réflexion longue et sans doute coûteuse qui va engager la ville sur plusieurs années. Les pictogrammes ont fait de gros progrès scripturaux, et les villes ont tout intérêt à se prévaloir d’une bonne signalisation.
La communication est importante et chacun fera à sa mesure, mais de nombreuses villes ont déjà profité de la proximité d’un historien ou écrivain pour réaliser un ouvrage sur le patrimoine communal associé à l’histoire même de la ville. Cet ouvrage souvent apprécié des autochtones est fréquemment offert à l’occasion d’un évènement. Il marque de son empreinte la ville et vaut plus que tout autre souvenir lorsque le maire souhaite l’offrir.
Une cérémonie avec éventuellement la pose d’une plaque commémorative aura aussi l’intérêt de convier un grand nombre de personnes autour de l’évènement, avec l’idée que l’information soit largement déployée au-delà du périmètre communal, surtout si l’inauguration en question s’assure de la présence de hautes personnalités politiques, ou culturelles, et d’autant plus si les médias s’y intéressent.
Il faut être ambitieux pour son cimetière et ne pas hésiter à promouvoir le lieu chaque fois que c’est possible. Se soucier d’un bon entretien est une chose. Considérer le cimetière comme une réserve patrimoniale réclame de la passion, de l’ambition, et de l’aptitude à convaincre.
L’A.NA.PE.C. rassemble ces passionnés du funéraire
Si vous vous reconnaissez dans cette définition, que vous travaillez dans un cimetière ou que vous êtes en responsabilité dans ce domaine, n’hésitez pas à nous rejoindre. Adhérez et faites adhérer à l’A.NA.PE.C.
Georges Martinez
Président de l’A.NA.PE.C
Résonance n°113 - Septembre 2015
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