Les récentes manifestations violentes des professions de taxi contre UberPop et autres VTC ont étonné bon nombre de citoyens et politiques, surpris par leur ampleur et leur dureté.
Philippe Gentil, président du comité des directeurs Funécap – DGA stratégie et développement. |
La manière dont ont réagi les membres de cette profession à l’égard de l’arrivée nouvelle du concept UberPop rappelait, sur certains aspects, l’ancienne révolte dite "des Canuts" à Lyon dans le secteur du textile au milieu du 19e siècle. Ces derniers avaient en effet conduit de très rudes manifestations contre l’arrivée des premiers métiers à tisser mécaniques (Jacquard). À l’inverse de celles que nous avons connues il y a quelques semaines, elles avaient été réprimées par la police dans le sang (on ne badinait pas avec les mouvements de rue, à cette époque !), mettant un terme au mouvement et permettant à une nouvelle technologie de s’installer définitivement sur le marché, en lieu et place d’un système de fabrication centenaire.
Pour les taxis, la révolution qu’ils ont connue ces dernières années avec l’arrivée des VTC puis d’Uber et enfin d’UberPop les a considérablement bousculés. Profession très protégée et réglementée, encadrée par un numerus clausus, rien ne les prédisposait à voir leur mode de fonctionnement actuel changer du jour au lendemain. Pourtant, poussé par les vents très (trop ?) libéraux des entrepreneurs californiens, le marché a cédé, comme un barrage laissant brutalement s’échapper l’eau qu’il retenait depuis des décennies.
Forte d’une force de frappe colossale, et d’une capitalisation boursière de l’ordre de 40 milliards de dollars – pour mémoire, celle d’Air France est 20 fois plus petite ! –, cette entreprise est venue s’installer sur le continent européen, poussée par l’un de ses actionnaires de référence, la société Google, qui pèse en bourse près de… 360 milliards de dollars !
Autant dire que la lutte qui s’est engagée n’est pas certaine d’être gagnée par le très puissant lobby des taxis qui, s’il est capable de bloquer des rues, de brûler des véhicules et de crier fort sur les écrans de télévision, aura bien du mal à résister à un nouveau type de service qui propose facilité, souplesse, prix, qualité de service et respect du client, et qui, contrairement à ce que nombre de médias ont annoncé, n’est pas toujours réalisé par des travailleurs illégaux (je parle d’UberPop) puisque installés avec un statut d’auto-entrepreneur leur conférant des obligations, qu’ils s’emploient, pour la plupart, à respecter.
Même si Uber a fini par admettre que le concept d’UberPop devait être "suspendu", l’alerte a été rude pour la profession des chauffeurs de taxi. Il est probable que, si cette bataille contre UberPop semble avoir été emportée par la profession, la guerre générale contre ce nouveau mode de fonctionnement qui consiste à ouvrir à chacun la possibilité de faire, avec une réglementation allégée, ce que des professionnels réalisent depuis des décennies est loin d’être gagnée.
Pourquoi ?
Parce que, si Internet est capable d’engendrer les pires horreurs (terrorisme, violence, voyeurisme de bas étage, etc.), on sait maintenant que les révolutions technologiques qui nous arrivent constituent a contrario des perspectives positives insensées capables de bouleverser nos modes de pensée tout en remettant en jeu nos schémas traditionnels. Les changements inquiètent toujours, mais ils peuvent permettre d’incommensurables progrès (ou désastres) de l’humanité.
L’exemple d’Uber en est la traduction, et le "risque" ou "l’opportunité" "d’Uberisation" de notre économie n’est pas nul. "Uberisation", ce terme a été prononcé pour la première fois par le patron de Publicis, Maurice Lévy, qui y voit l’annonce de changements de très large ampleur dans notre société et notre vie quotidienne. Chaque citoyen va en effet pouvoir rendre service à un autre sans contrainte sociale, mais avec la possibilité de faire rémunérer sa prestation à un prix très faible. C’est la solution qui consiste à ne plus acheter de perceuse pour faire des travaux chez soi, mais plutôt de la louer, ou même éventuellement de faire faire les travaux par ce même voisin pour un prix modique.
L’Uberisation de notre profession funéraire est-elle possible ? Rien n’est à exclure…
On sait qu’aux États-Unis Google commence à investir dans des sociétés de plomberie, fondées sur le même principe qu’Uber. "Démocratiser" et ouvrir les services généralement exécutés par des professionnels à la population des particuliers. En Europe, de telles tentatives n’ont pas encore été prises et nous sommes encore assez loin de ces mouvements de libéralisation à outrance de l’économie. Ces formules sont pour le moment assimilées à du travail illicite ou, pour parler plus directement, au noir.
Mais, face à la montée en puissance de la pauvreté et du chômage, les choses peuvent aller vite. Certaines populations qui n’ont pas pu trouver du travail et qui sont, en quelques sorte, oubliées de l’économie traditionnelle, vont décider de s’organiser pour proposer, via le canal Internet, des prestations en direct et moins chères. C’était le cas des 10 000 personnes qui avaient décidé de faire d’UberPop une activité pour se rémunérer et pouvoir vivre dignement.
Rien n’est donc évitable, mais tout doit s’organiser
Pour résumer, tout indique que nous devrons choisir entre un nouveau paradigme (du grec ancien qui signifie : "modèle") sociétal de consommation où les choses seront proprement organisées et fonctionneront de façon harmonieuse, et une jungle de services marchandés comme des tapis dans un souk, quel qu’en soit le coût social pour nos sociétés.
La solution doit en fait être trouvée par nos dirigeants et nous, les entrepreneurs
Il va falloir tout d’abord que nos dirigeants comprennent qu’en réglementant à outrance, ils vont finir par affaiblir les entreprises, voire créer l’émergence de professions "Uberisées" composées de gens qui, noyés par la crise économique, exécuteront des services en dehors de tout contrôle. Rappelons tout de même que la densité des obligations dont font l’objet les professionnels les freine à embaucher davantage de personnel, craignant les foudres d’une Administration dont les missions ne sont plus de faciliter la vie économique du pays, mais d’appliquer une réglementation de plus en plus lourde et absurde.
Ensuite, nous, les professionnels. Nous devons également nous organiser et nous mettre en ordre de marche pour pouvoir lutter efficacement contre "l’Uberisation" de notre profession, car rien ne dit que nous n’aurons pas affaire un jour à son développement.
Cela passe par un souci constant d’amélioration de la qualité de nos services. Nous devons accepter le jugement de notre clientèle et nous remettre en cause autant que nécessaire pour éviter de voir une concurrence attentive à tous les souhaits des familles nous remplacer en proposant mieux et peut-être même moins cher.
Le deuxième axe de défense de notre modèle économique réside dans le développement permanent de nos infrastructures par l’investissement. En aménageant des complexes funéraires comme le font les plus dynamiques des entreprises du secteur, nous créons ainsi des barrières à l’entrée, rendant la concurrence de professionnels improvisés beaucoup plus aléatoire et moins aisée.
Le troisième axe sur lequel la profession doit bien évidemment travailler est le canal de distribution Internet. Aux yeux de la plupart, cela ressemble à un océan sans frontières. Même si cela n’est pas totalement inexact, des réponses existent. Pour utiliser une métaphore, il suffit de construire un bateau marin et solide pour pouvoir naviguer par tous les temps et surtout de se munir de filets dérivants suffisamment larges pour fournir en un temps record le maximum de réponses à nos clients.
Bref, de nouveaux challenges se profilent à l’horizon, et une fois de plus, seuls les entrepreneurs les plus agiles, les plus rapides et les plus visionnaires sauront les affronter et sortiront renforcés de ces bouleversements.
Le monde qui nous entoure est à la fois fantastique et effrayant. Une fois de plus, seule l’intelligence de l’homme triomphera !
Philippe Gentil
Résonance n°112 - Juillet/Août 2015
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