Dans notre métier, nous sommes toujours à la recherche de jolis textes à utiliser dans les circonstances face auxquelles nous nous trouvons. Je m'y suis intéressé depuis fort longtemps, car j'ai remarqué que certains produisent un effet magique.
Michel Weber, président de l'Ordre des maîtres de cérémonie. |
La magie des mots
En effet, c'est toujours très satisfaisant pour nous de sortir de notre poche un petit bout de papier, sur lequel quelques lignes sont écrites, de le lire et de constater que ces mots ont un impact puissant. Qu'ils apportent de la joie, du plaisir, de la consolation et qu'ils vous mettent dans une situation de partage avec les personnes à qui vous les dites. La magie des mots existe, je l'ai rencontrée.
Nous devons reconnaître que, dans notre métier, nous y sommes très sensibles, car les personnes à qui nous avons à faire sont dans un état psychologique tel, qu'elles semblent s'accrocher au moindre mot soit de façon positive soit de façon négative. Donc, attention aux propos pouvant être interprétés de façon négative.
Il est donc important d'avoir quelques textes choisis en réserve
Ces textes seront d'autant plus précieux s'ils ont été testés en conditions réelles et si vous avez personnellement constaté qu'ils ont un impact et qu'ils sont bien adaptés aux personnes à qui vous les lisez. Les meilleurs textes que j'ai utilisés sont en général courts. Il faut savoir que la capacité d'attention de nos clients est relativement courte, il ne faut donc pas en abuser. Si, en plus, votre texte est peu connu, il en aura d'autant plus d'impact.
Dans "La bible du maître de cérémonie", que je suis en train d'écrire, qui paraîtra lors de FUNÉRAIRE PARIS 2015, j'en ai sélectionné 200 pages. Soit ce que j'ai récolté dans les vingt dernières années. Attention, je n'ai pas entassé des textes pris au hasard ! Non, ce sont des textes qui m'ont touché personnellement et qui méritent vraiment qu'on les garde précieusement tant ils sont puissants.
Il faut dire que j'ai toujours été sensible aux mots et à notre belle langue française, dont la richesse est infinie. Ils ne sont pas forcément puisés dans la poésie ni dans la grande littérature, mais ils sont magnifiques. J'en ai testé pas mal et j'ai vu leur puissance et l'émotion qu'ils ont provoquée auprès du public. Je ne connais hélas pas tous les auteurs de ces textes, ce qui est bien dommage.
Les treize mots
Au sommet de la pyramide des textes à exploiter, je veux vous donner ici celui dont je me sers régulièrement. C'est un vrai petit "gadget". Il est très court, ce qui vous permet de l'apprendre par cœur sans aucune difficulté. Ce texte ne contient que treize mots.
Le voici :
"Ne soyez pas tristes de l'avoir perdu, mais soyez fiers de l'avoir connu !"
Pour que cette petite phrase soit de bon aloi, il faut l'introduire pour qu'elle soit mise en valeur. J'ai inventé une introduction parfaitement adaptée basée sur un fait purement imaginaire. Voilà ce que je dis :
"Mesdames et Messieurs, il est de tradition, dans les circonstances qui nous réunissent aujourd'hui, de dire le mot de la fin. Quelqu'un souhaiterait-il le faire ? J'attends quelques secondes en balayant des yeux la foule qui se trouve devant moi. Si personne ne se manifeste, j'enchaîne de la façon suivante :
"Je vais donc le faire, si vous le permettez"... En disant cela, regardez la personne principale de la famille et attendez un geste d'approbation. Parfois, un simple regard suffit. Puis vous dites :
"Ne soyez pas tristes de l'avoir perdu, mais soyez fiers de l'avoir connu !" La tradition dont je parle n'existe pas à ma connaissance, mais je trouve cette invention appropriée pour introduire cette belle phrase. Il n'est pas interdit d'inventer des choses lorsque c'est dans l'intérêt du service.
Je dois vous dire que si une personne se manifeste pour dire ce fameux mot de la fin, laissez-lui la parole et laissez tomber votre projet de dire votre texte. Il serait déplacé que vous preniez la parole après un membre de la famille. Ce qui peut se comprendre aisément. Imaginez que vos treize mots soient plus puissants ou plus beaux que ce que dira un membre de l’assistance, vous lui enlèveriez la vedette. Car le fait de poursuivre avec vos 13 mots donnerait un élément de comparaison inconscient à l’auditoire...
Les meilleures circonstances pour utiliser "les 13 mots" sont au cimetière, juste avant de procéder à l’inhumation. Nous savons tous que c’est le point d’orgue de la frustration des familles, car les obsèques arrivent à leur terme et ils subissent un choc de voir arriver la mise au tombeau. Ils sont parfois également épuisés d’avoir vécu une pénible journée et ont envie qu’on en finisse vite...
L’usage des treize mots sert à "édulcorer" ce moment. Ne vous faites pas d’illusion, vous n’allez par supprimer le chagrin de ces personnes, mais les 13 mots sont tellement puissants qu’ils apportent une note positive aux terribles circonstances auxquelles le public doit faire face à ce moment précis.
L'île aux sentiments
Au cimetière, j'utilise aussi assez souvent un autre texte, que je lis juste avant le petit moment de recueillement final. Il s'appelle "L'île aux sentiments".
Il est très intéressant car il est court, mais pas au point des treize mots. Sa lecture dure environ 1 minute 30. Le public reste attentif pendant une durée aussi courte et apprécie le message que votre texte véhicule. Ce texte est un beau message d'espoir. Il faut que vous le disiez en faisant usage d'une certaine technique oratoire, que je vous expliquerai juste après vous l'avoir livré ci-dessous.
Le voici :
"Il était une fois une île, où tous les différents sentiments vivaient : le bonheur, la tristesse, le savoir, ainsi que tous les autres, l'amour y compris. Un jour, on annonça aux sentiments que l'île allait couler. Ils préparèrent donc tous leur bateau et partirent. Seul l'amour resta. L'amour voulait rester jusqu'au dernier moment. Quand l'île fut sur le point de sombrer, l'amour décida d'appeler à l'aide. La richesse passait à côté de l'amour dans un luxueux bateau. L'amour lui dit : "Richesse, peux-tu m'emmener ?" "Non car il y a beaucoup d'argent et d'or sur mon bateau. Je n'ai pas de place pour toi !"
L'amour décida alors de demander à l'orgueil, qui passait aussi dans un magnifique vaisseau : "Orgueil, aide-moi, je t'en prie !" "Je ne puis t'aider, amour. Tu es tout mouillé et tu pourrais endommager mon bateau !"
La tristesse étant à côté, l'amour lui demanda : "Tristesse, laisse-moi venir avec toi." "Oh... amour, je suis tellement triste que j'ai besoin d'être seule !"
Le bonheur passa aussi à côté de l'amour, mais il était si heureux qu'il n'entendit même pas l'amour l'appeler...
Soudain, une voix dit : "Viens, amour, je te prends avec moi !" C'était un vieillard qui avait parlé.
L'amour se sentit si reconnaissant et plein de joie qu'il en oublia de demander son nom au vieillard. Lorsqu'ils arrivèrent sur la terre ferme, le vieillard s'en alla. L'amour réalisa combien il lui devait et demanda au savoir : "Qui m'a aidé ?"
"C'était le temps !" répondit le savoir. "Le temps ? s'interrogea l'amour, mais pourquoi le temps m'a-t-il aidé ?" Le savoir sourit, plein de sagesse, et répondit : "C'est parce que seul le temps est capable de comprendre combien l'amour est important dans la vie !"
Technique oratoire
Comme vous le constatez vous-mêmes, ce texte, que personne ne connaît, est puissant et émouvant. Pour en augmenter l'impact, il va falloir jouer sur votre respiration. Inspirez avant de dire le début d'une phrase. Faites une pause à chaque point (de ponctuation) en fin de phrase et une demi-pause à chaque virgule. C'est très important, car c'est ce qui donne du relief à vos propos. Après la question "Qui m'a aidé "?, faites une double pause.
Faites à nouveau une double pause après "Pourquoi le temps m'a-t-il aidé ?", puis soignez bien votre phrase finale, de la façon suivante :
- Lorsque vous dites "Le savoir sourit, plein de sagesse, et répondit…", regardez le public et souriez vous aussi. Cela donnera une vie et une sensation d'implication à vos propos, et vous permettra de faire une triple pause en imposant une forme de suspense.
- Vient le moment de dire le final de ce texte : "C'est parce que seul le temps est capable de comprendre combien l'amour est important dans la vie !"
Il faut que vous disiez cela calmement, comme si vous marteliez ces mots
En faisant ainsi, vous savourerez ce que vous venez de dire. Vous aurez la satisfaction d'avoir fait quelque chose de beau et de puissant. Car, non, n'ayons pas honte, nous aussi nous avons le droit d'être satisfait de notre travail et d'y prendre du plaisir. Dans l'ensemble, vous devrez lire ce texte sans précipitation, car vous lui enlèveriez sinon toute sa puissance.
Traitez-le comme s'il s'agissait d'un objet précieux et fragile que vous offrez avec générosité à votre auditoire. Dans les formations d'orateur que j'ai suivies, on m'a toujours dit que tout ce qui se vit à l'intérieur se ressent à l'extérieur. Donc, si vous accordez la considération intérieure que mérite votre texte, le public partagera ce sentiment avec vous. C'est ça, la magie de la communication.
Michel Weber
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Résonance n°110 - Mai 2015
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