Le colloque organisé par le Centre Européen d'Études et de Recherche Droit et Santé sur le thème "Droit et vie du corps mort" a eu lieu les 12 et 13 mars derniers. À cette occasion était proposé un regard croisé et bienveillant sur ces questions qui occupent ou préoccupent tout un chacun. Retrouvez ci-après le résumé de l'intervention de Pauline Castelot.
Pauline Castelot, doctorante en droit privé, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier. |
I - L’image du mort sur les réseaux sociaux
Par Pauline Castelot, doctorante en droit privé, Faculté de droit et de science politique, Université de Montpellier.
Les réseaux sociaux sont définis comme étant un ensemble d’entités sociales tel que des individus ou des organisations reliés entre eux par des liens interactifs. Plus qu’un phénomène de mode, ils sont devenus de véritables vitrines de la vie privée et professionnelle pour les individus. Facebook, Google+ ou Twitter permettent à leurs utilisateurs d’exposer sur Internet, à un public plus ou moins restreint, de véritables tranches de vie à l’aide de photos, de documents ou encore de messages publics ou privés.
Afin de protéger ses données, l’internaute dispose désormais d’un droit à l’oubli numérique lui permettant de demander la suppression de ses données personnelles sur Internet. Ainsi récemment, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu la possibilité pour un internaute de demander la suppression des informations collectées sur lui et apparaissant sur Google. Mais si les questions relatives à la protection de la vie privée et des données personnelles sont récurrentes, une autre problématique se dessine. Selon certains journalistes, si Facebook stoppait sa progression, il y aurait plus d’utilisateurs morts que vivants en 2050. Le concept de mort numérique prend alors tout son sens.
Le concept de mort numérique ?…
En effet, si des mesures peuvent être prises pour protéger les données personnelles et l’image d’une personne de son vivant, que devient le profil d’une personne décédée sur les réseaux sociaux ? Comment les réseaux sociaux gèrent-ils le décès de leurs utilisateurs et comment les utilisateurs peuvent-ils anticiper leurs disparitions virtuelles ?
Selon la loi informatique et libertés, les droits d’accès, de modification et de suppression sont des droits personnels qui s’éteignent à la mort de leur titulaire. Elle permet seulement aux héritiers la possibilité d’entreprendre des démarches pour mettre à jour les informations concernant le défunt, c’est-à-dire principalement l’enregistrement du décès.
La gestion de cette problématique est différente selon chaque réseau
Si Twitter a opté pour une simple suppression du compte, sur demande des proches de l’utilisateur, il n’en est pas de même pour Google+ et Facebook, qui laissent à l’utilisateur la possibilité de prévoir des dispositions encadrant sa mort numérique.
Depuis 2013, Google propose un gestionnaire de compte inactif. Il s’agit d’une fonctionnalité permettant de gérer l’extinction du compte ainsi que l’avenir des données. Pour cela, il est possible de choisir jusqu’à dix proches, qui seront alertés une fois un certain délai expiré, délai prévu par l’utilisateur. Ces personnes peuvent récupérer les données avant la suppression du compte. Lors de cette dernière, Google effacera toutes les données et les publications, dont les vidéos YouTube, permettant aux proches de récupérer des données personnelles sur l’individu.
Facebook a opté pour une différence tendant à la transformation du compte de l’utilisateur en un compte mémorial, destiné aux proches et à la famille, permettant un recueillement numérique autour de l’utilisateur défunt. Ce serait une manière, selon le n° 1 des réseaux sociaux, d’aider ceux qui restent dans leur travail de deuil, puisqu’ils peuvent se soutenir les uns les autres.
À cette fonctionnalité, Facebook a ajouté, en février dernier, deux nouveautés qui ne sont possibles pour le moment que dans les pays anglophones, mais qui ne devraient pas tarder à être applicables en France.
Il s’agit tout d’abord de choisir une personne de confiance, qui pourra gérer le compte après le décès de la personne. Ensuite, Facebook va également bientôt proposer la suppression pure et simple du compte après que la mort de l’utilisateur aura été validée par l’équipe qui reçoit la demande des proches. La tendance semble donc être à la possibilité pour l’utilisateur d’organiser sa disparition virtuelle, à l’image des mesures prises pour organiser son oubli numérique du temps de son vivant.
Entre protection des données personnelles et gestion du deuil des proches de l’utilisateur, les réseaux sociaux viennent de créer un nouvel aspect de la mort, celui de la mort numérique.
Caroline Raja, maître de conférences en droit privé, UMR 5815 – Dynamiques du droit, Université de Montpellier. |
II - Le marché du corps mort
Par Caroline Raja, maître de conférences en droit privé, UMR 5815 – Dynamiques du droit, Université de Montpellier.
Si, par l’anéantissement de la personne, la mort opère certes un basculement du corps vers la catégorie juridique des choses, le corps mort ne saurait toutefois être assimilé à une simple marchandise. En dépit d’un changement de qualification, le corps, qui demeure en lien avec la personne dont il fut le "substrat", est une "chose sacrée". Il est, à ce titre, protégé par le droit. Les hypothèses dans lesquelles le corps mort devient objet ou source de marché sont donc rares. Elles s’inscrivent, en effet, dans une logique d’exception.
Le corps mort, objet de marché
Le corps mort peut revêtir une valeur patrimoniale, par exception aux interdits du droit civil, lorsque le corps et la personne subissent une "dissociation" telle que la personne n’est plus identifiable en son corps.
Cette dissociation peut être "temporelle". Le cas du corps "vestige historique" est ainsi évocateur d’une dilution de la protection accordée au corps mort par le droit. La rupture entre le temps du souvenir et celui de l’oubli vient renforcer la césure, déjà provoquée par le décès, entre la personne et son corps, et conduit, en effet, à une appropriation du corps en tant que bien (par ex. : reliques, momies, etc).
La dissociation entre la personne et son corps peut également être "spatiale". Le cas du "corps décomposé" en est une illustration, car l’on remarque que, lorsque des éléments ou des produits du corps en sont "détachés", ils perdent de leur sacralité. Cela est particulièrement vrai lorsqu’ils sont considérés comme "morts", c'est-à-dire qu’ils n’ont pas de vocation thérapeutique par "réintégration" dans un corps vivant. Ne pouvant survivre au corps dont ils ont été séparés, ces produits – inertes – ont une valeur marchande (cas des phanères ou des éléments et produits ayant fait l’objet d’une transformation industrielle à visée non thérapeutique).
Le corps mort, source de marché
"Chose par anticipation", le corps mort est aussi à l’origine du développement d’un marché des produits et services destinés à en assurer la gestion après le décès. Cette gestion anticipée du corps par la personne génère, alors, un phénomène de "marchandisation de la mort", encadré par le droit afin d’éviter que ne soient commis des abus.
Ce phénomène, d’une part, exige d’assurer la protection de la personne qui, confrontée à la survenue de sa propre mort, se trouve dans une situation de vulnérabilité. Le droit de la consommation et le droit funéraire encadrent ainsi conjointement les techniques d’offre (formalisme, interdiction de principe du démarchage, par ex.) et leur contenu (information renforcée sur les prix et prestations, notamment) ; tandis que le droit de la concurrence sanctionne les comportements des opérateurs portant atteinte au fonctionnement normal du marché, au profit des consommateurs.
Ce phénomène, d’autre part, ne cesse pas après la mort de la personne. Il est donc nécessaire d’encadrer les pratiques, car la personne n’est alors plus en mesure de vérifier la bonne exécution des contrats qu’elle a conclus de son vivant. Des mesures permettent ainsi de prévenir les comportements abusifs de ses cocontractants (sanction des clauses abusives, etc.). Par ailleurs, et par fiction, la continuation du phénomène de consommation doit être assurée, car, si la personne est absente, son corps, lui, demeure. Il est donc nécessaire de garantir le respect des engagements pris par la personne après son décès afin de permettre la gestion de son corps. C’est ainsi, par exemple, que le compte du défunt sera débité des sommes permettant de pourvoir à ses funérailles…
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