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Le colloque de restitution du "Traité des nouveaux droits de la mort" a eu lieu les 13 et 14 novembre derniers à l’Université du Maine au Mans. Réalisé en partenariat avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Thémis-UM (ea 4333, Université du Maine), les laboratoires Cersa (UMR 71006, Université Paris II) et C3rd (Université catholique de Lille) et avec le soutien de l’Institut Français de Formation des Professions du Funéraire (IFFPF), du magazine Résonance funéraire et du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. Retrouvez ci-après le résumé des interventions de quelques intervenants.

 

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De gauche à droite :
Magali Bouteille-Bringant
et le Pr Mathieu Touzeil-Davina.

1 - Autopsie d’un statut juridique. Le cadavre : chose ou personne ?

Par le Pr Mathieu Touzeil-Davina et Magali Bouteille-Bringant, enseignants-chercheurs en Droit public et en Droit privé, à l’université du Maine, directeurs du laboratoire Thémis-Um (EA 4333), membres du Collectif L'Unité du Droit.

Le cadavre est-il une personne ou une chose ? La question de la qualification de la dépouille mortelle n’est pas complètement arrêtée en Droit (textes normatifs et doctrine), comme en témoignent les différentes contributions et les différents points de vue des contributeurs du "Traité des nouveaux droits de la mort" : si la très grande majorité d’entre eux reconnaît bien en la dépouille une chose, par anticipation ou sacrée, certains sont plus hésitants et manifestent une certaine gêne devant cette qualification.

Aujourd’hui pourtant, le droit positif traite manifestement le cadavre comme une chose. Cette qualification ressort de la négation de la qualité de personne, négation révélée par l’impossibilité légale pour une personne décédée d’hériter, d’être légataire ou de se marier (sous réserve du très encadré mariage posthume), ou encore par le rejet de préjudice posthume. Mais plus encore qu’une chose, le cadavre est aujourd’hui, parmi les choses, assimilé à un bien et ce, de manière très contradictoire avec l’art. 16-1-1 du Code civil. De nombreux textes en effet utilisent un vocabulaire faisant de la dépouille un objet de propriété. Ainsi en est-il de l’art. R. 2233-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ou encore de l’appartenance de certains restes humains au domaine public. De la même manière, des juridictions n’ont pas hésité, notamment, à assimiler l’urne cinéraire à une copropriété familiale.

Mais cette réification du cadavre ne correspond objectivement pas au ressenti de chacun à l’annonce du décès d’un proche. Comment, en effet, considérer celui ou celle qui vivait et respirait quelques instants auparavant comme une simple chose ? Cette contradiction apparaît avec évidence en présence d’un cadavre dit "chaud", individu mort cérébralement et juridiquement, mais respirant avec l’aide de respirateurs artificiels. Viendrait-il à l’idée de certains de considérer ce corps comme une chose ?

Il est en outre intéressant de constater que plusieurs normes contiennent des signes positifs de "maintien" ou de "survie" de la personnalité du cadavre. Ainsi en est-il de l’art. L. 227 al. 1er du Code pénal qui incrimine les atteintes à l’intégrité du cadavre dans un chapitre consacré non pas aux atteintes aux biens, mais bien aux atteintes aux personnes. Ainsi en est-il également des textes qui requièrent que l’on traite les restes d’une personne décédée, sous toutes leurs formes, avec respect, dignité et décence (art. 16-1-1 précité du Code civil : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence"). Plusieurs décisions de justice empruntent la même voie. C’est en effet en référence à la dignité de la personne humaine qu’ont été jugées les affaires Mitterrand, Érignac, ou plus récemment "Our body". C’est aussi sur ce principe que s’était appuyée la ville de Rouen pour faire droit à la demande de restitution, à la Nouvelle-Zélande, des têtes maories conservées par son musée. Or, ici, il s’agit bien de respect de la personne et non de la "chose humaine".

Pourtant, tout comme la qualification de chose, la qualification de personne n’est pas sans inconvénient. Si elle permet une application continue, transcendant le passage de vie à trépas, de la dignité de la personne humaine et une meilleure adéquation du droit avec le ressenti des proches, la protection qu’elle procure restreint excessivement les utilisations pouvant être faites de la dépouille et notamment les utilisations scientifiques, pourtant essentielles à la connaissance du vivant et à la réalisation de progrès médicaux.

Ainsi, l’alternative actuelle entre les personnes et les choses n’est pas satisfaisante et plutôt que de créer, à l’instar de Gérard Farjat, une troisième catégorie, entre les personnes et les choses, nous avons préféré oser emprunter une autre voie et bousculer les qualifications en considérant le cadavre non plus comme une chose mais comme une "personne décédée" ou encore une "personne défunte".

Cette qualification, nous en avons conscience, nécessite la rénovation de la catégorie des personnes afin de ne plus distinguer seulement entre les personnes physiques et les personnes morales mais entre les personnes humaines et les personnes non humaines. La catégorie des personnes humaines serait elle-même divisée entre les personnes en vie et les personnes sans vie. Et la "personne décédée" ou "personne défunte" pourrait y avoir sa place. Cette catégorie permettrait d’appliquer la dignité de la personne humaine aux cadavres sous toutes leurs formes, sans avoir à contorsionner les concepts juridiques.
Ce nonobstant, il ne s’agit pas ici de prétendre reconnaître au cadavre une capacité à exercer des droits, capacité qu’au regard de son absence de volonté, il n’a plus, mais seulement de considérer que le cadavre doit être soumis à un régime très protecteur. Ainsi le cadavre devrait-il, selon nous, pouvoir bénéficier des principes d’intangibilité, d’inviolabilité et d’imprescriptibilité applicables aux lieux du domaine public où il repose, mais ce, sans pour autant être assimilé à un bien public puisque, selon notre hypothèse, le cadavre ne saurait être considéré comme un bien. Le cadavre serait alors soumis à la garde de l’État et de la Nation – Nation formée, rappelons-le, des vivants et des morts. Enfin, la notion de garde ici sollicitée permettrait de concilier l’impératif de protection du cadavre, qui serait sous la surveillance de tous, et la qualification de personne puisqu’elle ne mobilise pas nécessairement la notion de propriété.

Les détails de cette proposition, qui ont reçu un franc soutien de l’assemblée présente lors des débats du colloque des 13-14 novembre 2014, se trouvent à la dernière section du dernier chapitre du tome II du "Traité des nouveaux droits de la mort". Ils n’engagent que leurs deux auteurs et sont actuellement – déjà – en cours d’approfondissement afin d’être soumis au législateur.

2 - Jeux interdits
 
Par Jean-Pierre Marguénaud, professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l'Université de Limoges, membre de l'Institut de Droit Européen des droits de l'Homme (IDEH), Université Montpellier (présentation de la contribution de Ninon Maillard, Jean-Pierre Marguénaud et Xavier Perrot).

Le thème des "cadavres non humains" pourrait offrir une occasion insolite de parler du pétrole, composé, en définitive, de cadavres de végétaux ou de certaines fleurs dégageant de si fortes odeurs de chair en putréfaction qu'on les dénomme parfois fleurs-cadavres. Il sera déjà suffisamment déconcertant, toutefois, de consacrer des développements aux cadavres des animaux. À cette fin provocatrice, ont été mobilisés le directeur, le secrétaire général et l'une des rédactrices en chef de la "Revue semestrielle de droit animal". Pour aider à faire ressortir l'ampleur, la richesse et la complexité de la matière, il convient de distinguer le traitement du cadavre des animaux au pluriel et le respect du cadavre d'un animal en particulier.

I - Le traitement du cadavre des animaux se réalise par leur exploitation à des fins économiques ou scientifiques et/ou par leur élimination pour des raisons hygiéniques et sanitaires évidentes.

A - Exploiter les cadavres des animaux, c'est d'abord, conformément à une célèbre autorisation biblique, se nourrir de la chair qui s'y raccroche ou qui s'en détache. Cet aspect de la question se prête à des réflexions relatives au végétarisme et, en suivant le fil de la traçabilité, à des études du contrôle sanitaire dont les enjeux, les nuances et les contradictions sont régulièrement révélés ou dénoncés par Sonia Desmoulin-Canselier dans les colonnes de la "Revue semestrielle de droit animalier".

À des fins économiques, on peut aussi exploiter l'ivoire. Étudier les conditions drastiques de l'interdiction de sa commercialisation, par le relais de la Convention de Washington du 13 mars 1973 sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées de disparition, amènerait à s'interroger sur le point de savoir si, en provoquant le braconnage, le remède de la protection juridique des éléphants, ou encore des morses et des babiroussas, n'est pas pire que le mal.

On peut encore commercialiser la peau des bêtes, d'ailleurs fortement discriminées selon qu'elles sont couvertes de poils et de fourrure – donc universellement sympathiques, nonobstant l'éventuelle férocité de leur comportement – ou revêtues d'écailles, ne les rendant fréquentables que sous forme de chaussures ou de sacs à main.

C'est ainsi que les plus populaires des animaux sauvages à fourrure, les phoques, viennent de faire accomplir un progrès remarquable au droit animalier par l'intermédiaire de l'instance d'appel de l'organe de règlement des différends de l'OMC. Cette dernière, par une décision du 22 mai 2014, a jugé que l'interdiction par l'Union européenne d'importer et de mettre sur le marché des produits qui en sont dérivés est justifiée dans la mesure où elle permet de répondre aux préoccupations morales du public quant à leur bien-être. Quant aux plumes, leur commercialisation est surtout illustrée par le film de Barbet Schroeder "La Vallée"...

L'exploitation scientifique des cadavres d'animaux, la dissection, soulève moins d'horrifiantes difficultés que la vivisection. De toute façon, que la bête meure avant ou après l'expérimentation scientifique, son corps mutilé reçoit la même destination…

B - L'élimination des cadavres d’animaux, ou de ce qu'il en reste, se fait par l'équarrissage. Le droit n'est pas indifférent au développement de l'équarrissage naturel faisant appel à des animaux que la nature a spécialement équipés à cette fin. Il s'en remet cependant, pour les cadavres d'animaux de plus de 40 kg, à un service public qui réalise généralement une crémation suivant des températures élevées très strictement précisées par les textes.

Depuis 2009, les éleveurs, qui doivent pouvoir faire la preuve à tout moment de leur affiliation à un établissement d'équarrissage, sont tenus de participer aux frais de collecte et de crémation de cadavres d'animaux. Il ne faudrait pas s'étonner, dès lors, si depuis cette date on a assisté à un développement considérable d'enfouissements clandestins. Néanmoins, l'enfouissement peut se faire en toute légalité dans un terrain clos situé à au moins 100 mètres des maisons d'habitation, où nul fourrage ne pourra plus être récolté, lorsque les établissements d'équarrissage sont saturés par les ravages d'une épizootie. Une dérogation expressément prévue par le Code rural permet également l'enfouissement des animaux familiers, au moins lorsqu'ils pèsent moins de 40 kg. Les modalités de mise en œuvre de cette dérogation restent cependant très incertaines du point de vue juridique. Cette exception à la règle commandant de confier les cadavres des animaux à un établissement d'équarrissage augure du développement d'un plus grand respect pour les restes d'un animal.

II - Le respect de la dépouille d'un animal est le sujet de prédilection de Ninon Maillard et de Xavier Perrot. Leur travail, plus particulièrement, pourrait être placé sous le patronage du film de René Clément, "Jeux interdits", dont la musique est si célèbre qu'elle en empêche de se souvenir qu'il raconte l'histoire de deux enfants ayant créé, au moyen de croix dérobées sur les tombes et le corbillard communal, un cimetière. Dans celui-ci, ils ensevelissaient les cadavres des animaux les plus divers devant servir de compagnons au chien arraché, par les bombardements ennemis, à l'affection d'une petite orpheline de guerre. Le respect de la dépouille se manifeste différemment suivant qu'il s'agit d'un animal aimé ou d'un animal admiré.

A - Le respect de la dépouille de l'animal aimé nous amène, sous la conduite de Xavier Perrot, à visiter le cimetière d'Asnières créé en 1899 par la journaliste Marguerite Durand, également connue pour avoir fondé le quotidien féministe "La Fronde", puis sur les traces du chien Félix. Ce fidèle animal est passé à la postérité grâce à un arrêt du Conseil d'État du 17 avril 1963 portant le nom de son maître, le sieur Blois. Cet arrêt confirme la validité d'un arrêté municipal ordonnant son exhumation du caveau de famille où il avait été tristement enterré. Xavier Perrot déjà, grand découvreur d'animaux psychopompes, et Xavier Labbée, qui sait mieux que personne comment on peut parvenir à se faire enterrer avec son chien, ont décliné certains aspects historiques et techniques de ce thème qui fait de moins en moins sourire par deux articles marquants publiés à la "Revue semestrielle de droit animalier".

B - Le respect de la dépouille de l'animal admiré a permis à Ninon Maillard de nous faire découvrir les règles, étonnantes de précision, qui nourrissent le culte des trophées de chasse. Elle explore aussi les conditions dans lesquelles la taxidermie peut être pratiquée à des fins éducatives, historiques ou scientifiques. Elle nous invite également à un détour par les musées d'art contemporain pour regarder plutôt que pour admirer les œuvres d'Adel Abdessemed faites d'animaux sauvages naturalisés carbonisés au chalumeau qui font écho à la "plastination" de cadavres humains à laquelle s'est livré Gunther von Hagens.

Ainsi, par le relais de l'art contemporain et l'exposition des cadavres, on retrouve ou l'on découvre l'esprit du droit animalier qui ne se consacre pas seulement à l'étude des règles qui protègent les animaux contre les hommes ou qui protègent les hommes contre les animaux : il sert également ou, plus exactement, il peut servir aussi à montrer comment l'animal – qui s'arrange toujours pour renvoyer aux questions cruciales touchant à la nature et à la culture, à la servitude et à la liberté, à la douleur et au bonheur, à l'être et au paraître et, bien évidemment, à la vie et à la mort – pousse le droit dans ses derniers retranchements pour le forcer à avouer ses contradictions et lever le secret de ses valeurs les plus intimes.

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Stéphane Papi

3 - Des cadavres et des religions

Par Stéphane Papi, docteur en droit, attaché territorial principal, Habilité à Diriger des Recherches (HDR), chercheur associé CNRS (IREMAM-Aix en Provence ; Centre Jacques Berque-Rabat) et Équipe Droit et Religions LID2MS Aix-Marseille Université..

Pour Edgar Morin, le souci du cadavre constitue un des signes les plus précoces de l’humanisation sur le plan psychique et social (1), toutes les grandes civilisations lui ayant prêté une attention particulière. Les funérailles étant également considérées en anthropologie comme des rites de passage constituant une des caractéristiques essentielles de l’humanité (2), il n’est donc pas étonnant qu’elles soient précisément codifiées dans la plupart des religions.
 
L’étude des normes religieuses marquant les différentes étapes du cheminement du cadavre à partir du décès, sa toilette, ou les soins de conservation qui lui sont apportés, les prélèvements d’organes ou les autopsies auxquels il est éventuellement soumis, son transport, son inhumation, voire sa crémation, jusqu’à sa possible exhumation - présente donc un intérêt particulier. Ces normes nous renseignent, au-delà de leur description formelle, sur les diverses conceptions de la mort, de l’au-delà de la vie, et donc de la vie elle-même et des sociétés où elle se déploie.
Cette diversité est désormais d’actualité en France où, à côté des religions catholique, protestante et juive, historiquement implantées, on assiste à une diversification de l’offre religieuse caractérisée principalement, mais pas seulement, par l’émergence de l’islam.

La première étape, si l’on peut dire, est constituée par la toilette rituelle du cadavre une fois le décès survenu, prévue uniquement par les normes confessionnelles musulmanes et juives. Ces dernières organisent très précisément cette toilette (tahara ou ré’hitsa) effectuée par les membres de la "Confrérie du dernier devoir" (hevra kadicha). Les normes religieuses musulmanes prévoient également une toilette funéraire, obligatoire pour tous les défunts musulmans à l’exception des martyrs tombés sur le champ de bataille, l’enfant impubère ainsi que le fœtus. L’accomplissement de cette toilette n’apparaît pas réservé à une catégorie sociale particulière.
 
Les soins de conservation ou thanatopraxie sont prohibés par les normes religieuses juives et musulmanes qui interdisent de retarder l’ensevelissement du cadavre, cette obligation faisant l’objet de tempéraments. Les normes hindouistes et bouddhistes les réprouvent également, car le corps étant voué à la crémation, il apparaît inutile de vouloir le conserver, mais aussi car la manipulation du corps après l’avènement de la mort peut perturber la sortie de la conscience qui va durer de quelques heures jusqu’à trois jours.

Alors que les dons et prélèvements d’organes ont longtemps été interdits par les religions qui prônent la résurrection des corps, elles les admettent, voire les encouragent aujourd’hui à différentes conditions, comme l’autorisation du donneur et, dans certains cas limités, comme la recherche scientifique ou dans le cadre d’une enquête criminelle. La religion juive en fait même une mitsva (un commandement) s’ils permettent de sauver une vie et si la demande d’organe est fréquente, afin de ne pas mettre en danger la vie du receveur. Au-delà des religions abrahamiques, l’hindouisme et le bouddhisme, moins attachés au devenir de l’enveloppe corporelle, les acceptent sans difficultés. Seul le shintoïsme, très répandu au Japon, les rejette au nom de l’unité spirituelle et corporelle de l’être humain, cet état perdurant au-delà de la mort.

Les normes religieuses encadrent aussi très précisément l’inhumation du cadavre

C’est le cas des religions juive et musulmane qui prescrivent une inhumation rapide du cadavre, même si l’on peut trouver de nombreuses interprétations admettant le délai légal de 24 heures. L’interdiction légale de l’inhumation du cadavre en pleine terre pose également question dans les confessions juive et musulmane où ce mode d’inhumation est prescrit. Mais là aussi, des compromis ont pu être dégagés, l’utilisation d’un cercueil étant admise, la seule condition commune aux deux religions est l’utilisation d’un cercueil en bois et le plus simple possible.

Enfin, la question du lieu d’inhumation est également délicate, puisque la séparation des corps "post mortem" reste privilégiée par certaines religions (juive, musulmane, mais également catholique en vertu du Canon 1240, §1) et ce alors même que le droit français érige en principe la neutralité confessionnelle des cimetières. En vertu de ce principe, les "carrés religieux" sont interdits dans les cimetières publics, hormis ceux situés dans les départements d’Alsace-Moselle. Plusieurs circulaires ministérielles sont pourtant venues encourager leur création, les normes juives et musulmanes ayant également évolué sur ce point en acceptant que leurs fidèles y soient inhumés.

Même si la crémation constitue une pratique solidement ancrée dans les rites funéraires des religions orientales, l’hindouisme et dans une moindre mesure le bouddhisme, les oppositions à son égard viennent plutôt des religions abrahamiques attachées à la croyance de la résurrection des corps. Il faut toutefois noter que certains rabbins libéraux acceptent aujourd’hui de conduire une cérémonie lors de la levée du corps du défunt qui aurait exprimé sa volonté de se faire incinérer ; et surtout que l’Église catholique admet qu’un corps incinéré puisse faire l’objet de funérailles ecclésiastiques. La tradition orthodoxe maintient toutefois une opposition ferme à la crémation, tout comme les normes musulmanes.
 
Pour les mêmes raisons, l’exhumation des corps provoque des oppositions religieuses assez vives émanant surtout des autorités confessionnelles juives et musulmanes qui l’admettent à certaines conditions, comme la dissolution complète du corps et dans certains cas particuliers : par exemple, la réalisation d’expertises médicales ou le transfert du corps dans des cimetières israélites ou en terre d’Israël. Malgré tout, il n’est pas rare que les exhumations pratiquées dans les cimetières choquent encore profondément les familles des défunts juifs et musulmans.
 
En conclusion

Il semble que les religions, tout comme du reste le droit, continueront à s’impliquer dans le devenir du cadavre, mais elles devront faire face à de nouveaux défis liés à l’évolution des sociétés. Évolutions scientifiques, avec l’apparition de nouvelles techniques de conservation des corps, comme la cryogénisation qui n’est pour l’instant pas reconnue en droit français, les confessions professant l’espérance de la résurrection devant être logiquement opposées à ce que l’homme supplante Dieu en ce domaine. Mais également évolutions religieuses, la globalisation et l’individualisation du croire ouvrant la voie, comme le souligne Umberto Eco, à des "religions bigarrées où les frontières entre les religions tendraient à s’estomper". (3)

Et, pour finir, une illustration pratique de cette évolution, de ces "bricolages religieux" qui concernent également le domaine du funéraire puisqu’il n’est en effet pas rare qu’au sein des carrés musulmans des cimetières, les tombes soient fleuries… le jour de la très catholique fête de la Toussaint.

Nota :
(1) "L’homme et la mort devant l’histoire", Paris, Seuil, 1970.
(2) "On juge une société à la manière dont elle enterre ses morts" disait A.T. Sanon, "Conférence sur les rites funéraires et les religions révélées", cité par E. Koumbem, "Les rites funéraires de l’Évangile : étude anthropologique et théologique des rites funéraires Zamse du Burkina-Faso", thèse de doctorat en théologie (FLTR Aix-en-Provence, mars 2002), 198.
(3) Michel Patrick, "Religion et frontière", Socio-anthropologie, n° 25-26-2010, mis en ligne le 14 novembre 2012, consulté le 14 mai 2014.
http://socio-anthropologie.revues.org/1280
Voir également Leblanc Nathalie et Meintel Deirdre, "La mobilité du religieux à l'ère de la globalisation", Anthropologie et Sociétés, vol. 27, n° 1, 2003, p. 5 à 10.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations