Après la tempête de décembre 1999 qui a posé la question de la responsabilité des maires dans la gestion des désordres et dégâts occasionnés aux sépultures, les aléas climatiques de 2014 se manifestent par un nouveau phénomène : l’inondation des cimetières. Cette nouvelle situation se traduit par de véritables interrogations de la responsabilité du maire face au risque d’inondation du cimetière.
Méziane Benarab, directeur général de l’OFPF |
En 1999, des cercueils flottants avaient été retrouvés à plus de 50 kilomètres du lieu d’inhumation, suscitant d’importantes difficultés d’identification. À l’époque, seule la ville de Paris imposait la fixation d’une plaque (estampille) en plomb sur les cercueils portant un numéro d’ordre fourni par le service de l’état civil.
De nos jours, les phénomènes climatiques se sont de plus en plus accentués, alliant tempêtes, bourrasques et inondations. C’est ce troisième élément de la nature qui s’érige en nouvelle source de risques pour les maires, et les élus en général, au point de constituer localement une véritable crise dont il est très difficile de prévoir la gestion.
Après une pluviométrie exceptionnelle, bon nombre de cimetières ont été inondés dans le sud de la France, mais aussi en Europe, se traduisant par des situations telles que :
- des morts laissés sans sépulture car les cimetières sont inaccessibles,
- des parents interdits de visite,
- des inhumations dans des terrains gorgés d’eau,
- des hausses du niveau des eaux souterraines plus élevées que la moyenne et exerçant une pression sur la montée en surface des cercueils et des pierres tombales,
- des réductions du nombre d’inhumations par jour,
- des risques, en creusant dans des sols humides, que les sépultures avoisinantes s’effondrent.
Autant de risques qui ont contraint les communes à faire appel à leurs assureurs afin de procéder à l’évaluation des dégâts avant de procéder aux réparations. Ainsi, à titre d’exemple, en Angleterre, plus de 2 000 experts en sinistre ont été dépêchés sur les lieux, mais empêchés de mener la moindre évaluation tant que le niveau d’eau ne diminuait pas.
En tout cas, ce phénomène récent, mais récurrent, d’inondations des cimetières met les maires face à de nouvelles responsabilités, d’autant plus que cette situation s’accompagne d’une très grande émotion auprès de l’opinion publique locale. Sur le plan technique, la couverture assurantielle du domaine public que constitue le cimetière se pose avec acuité.
Le maire peut-il assurer sa commune contre le risque d’inondation du ou des cimetières communaux ?
1 - Le régime juridique des catastrophes naturelles
Aux termes de l’art. L. 125-1, alinéa 3 du Code des assurances, sont considérés comme effets des catastrophes naturelles "les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises".
Cette même disposition précise les conditions de mise en œuvre de la garantie catastrophe naturelle, à savoir :
- les dommages matériels directs non assurables doivent avoir eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel ;
- les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ayant pu empêcher leur survenance ou n’ayant pu être prises.
La garantie catastrophes naturelles prévoit la prise en charge des dommages matériels causés aux biens assurés et à eux seuls et concerne :
- les bâtiments à usage d’habitation ou professionnels ;
- le mobilier ;
- les véhicules à moteur ;
- le matériel, y compris le bétail en étable et les récoltes engrangées.
Elle joue seulement si un arrêté interministériel paru au Journal officiel constate l'état de catastrophe naturelle.
Il appartient à l'Administration d'analyser, commune par commune, si les conditions de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sont réunies ou non, et de prendre un arrêté interministériel en conséquence.
La preuve de la causalité déterminante doit être rapportée par l’assuré et le fait de la publication d’un arrêté de catastrophe naturelle ne pouvait s’interpréter comme une présomption de causalité établissant le caractère déterminant de l’agent naturel dans la survenue des dommages. Cela signifie que la preuve de la causalité déterminante doit être rapportée par l’assuré et elle ne se présume point.
2 - Les exclusions et limites de la garantie catastrophes naturelles
La loi exclut les dommages causés aux récoltes non engrangées, aux cultures, aux sols et au bétail non enfermé, dont l'indemnisation relève du régime des calamités agricoles. L'exclusion concerne également les bateaux et les marchandises transportées.
De même, les biens exclus ou non assurés en dommages ne sont pas couverts (les parkings, tombes, terrains, jardins qui ne font pas l'objet d'une garantie "dommages", les clôtures qui, en général, ne sont pas garanties dans les contrats multirisques habitation, les véhicules pour lesquels seule la garantie responsabilité civile obligatoire a été souscrite…). Les sépultures sont donc hors périmètre de la garantie catastrophes naturelles. Elles font donc partie des biens dits "non assurables". Mais alors, comment procéder pour assurer des sépultures ?
Les monuments funéraires privés sont des éléments assurables du patrimoine des ménages
Dans une réponse à une question écrite relative à la prise en charge par les communes des désordres causés par les catastrophes naturelles aux sépultures dans les cimetières communaux, le ministère de l’Économie considère que "les monuments funéraires privés sont des éléments assurables du patrimoine des ménages. À ce titre, ils ne bénéficient pas d'une indemnisation de l'État lorsqu'ils ont été endommagés à la suite d'une catastrophe naturelle". JO Sénat du 21/06/2001 – page 2084.
En donnant une telle réponse, l’exécutif n'a pas souhaité se substituer aux assureurs dans un domaine qui relève de leur compétence et décide ainsi de préserver les finances municipales de tout risque insurmontable lié au coût excessif des frais à engager afin de rétablir l’ordre dans les cimetières communaux.
La solution assurantielle imposée par certaines communes aux usagers du cimetière communal ?
Face au caractère non assurable du cimetière communal, les maires ont développé plusieurs solutions, dont celle qui consiste à suggérer aux concessionnaires de souscrire une assurance multirisque sépulture. Ainsi, l’art. 36 du règlement intérieur du cimetière de Lorient, intitulé "entretien", précise :
"Le terrain devra être tenu en bon état de propreté et de solidité. Le concessionnaire, ses héritiers ou ses ayants droit devront veiller à ce que le monument, les éléments qui le composent, les signes funéraires ou tout objet placé sur la concession ne présentent aucun danger lors des intempéries. À cet égard, il pourra souscrire une police d’assurance auprès d’une compagnie de son choix pour garantir tout risque relatif à sa concession."
S’inscrivant en phase avec cette recommandation ouverte par les communes, certains assureurs n’ont pas manqué de mettre en place une assurance multirisque sépulture, dont l’objectif est de couvrir les risques liés aux éléments matériels hors de terre, laissant entière la question de la couverture des risques pouvant affecter la partie enfouie de la sépulture. Ainsi, le risque d’inondation par des eaux souterraines ou des pluies diluviennes reste entier et il est très difficile de trouver un assureur s’engageant sur ce type d’aléas.
Désarmés, face à des situations climatiques exceptionnelles pouvant se traduire par d’importants désordres dans le cimetière communal, les maires se sont montrés sensibles en proposant aux familles des aides destinées à remettre en l’état les sépultures endommagées.
Sur quelle base le maire peut-il accorder une aide à la remise en l’état des sépultures endommagées ?
Dans le contexte de la tempête de 1999, le député Marc Dumoulin a attiré l'attention du ministre de l'Intérieur sur un aspect particulier des conséquences des tempêtes de décembre 1999 : les dégâts survenus dans les cimetières sur des biens privés non assurés.
Bien que tombes, caveaux et pierres tombales soient normalement assurables, ils ne le sont pratiquement jamais dans la réalité. En l'état du droit, les communes ne pouvaient pas intervenir pour contribuer à leur remise en état (qui peut s'avérer fort onéreuse), s'agissant de biens privés. Il lui demande, par conséquent, s'il entend prendre des mesures permettant exceptionnellement aux communes de financer les travaux funéraires à la charge de leurs administrés et s'il est prévu d'étendre systématiquement les garanties multirisques et les assurances habitation aux pierres tombales et caveaux, comme cela a été suggéré dans le cadre des travaux de la commission Lebeschu.
Dans sa réponse, le ministre de l’Intérieur précise que "les contrats portant attribution d'une concession funéraire sont considérés comme des contrats administratifs qui confèrent à leur titulaire un droit d'occupation du domaine public conformément à l'art. L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Ce droit ne présentant pas le caractère précaire et révocable généralement attaché à l'occupation privative du domaine public communal, il incombe en contrepartie aux concessionnaires une obligation d'entretien et de remise en état des terrains, des caveaux, des monuments et tombeaux en vue de leur conservation et de leur solidité".
C’est sur la base de cette analyse que les frais engagés pour la réparation des monuments funéraires endommagés du fait des tempêtes sont normalement à la charge des concessionnaires dès lors que la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle de la commune n'est pas engagée.
Or, en l'état actuel du droit, les communes ne sont pas susceptibles de prendre en charge les travaux nécessaires aux réparations ou de procéder au versement d'une aide financière directe, ou d'une prestation en nature, aux familles.
En revanche, il appartient à la commune de prendre à sa charge la totalité des travaux à engager pour la réparation des parties publiques communes du cimetière communal (réponse publiée au JO le 31/07/2000 page 4565).
Selon quelles modalités concrètes et à partir de quels fonds les communes concernées peuvent-elles attribuer des aides aux familles afin de réparer les dégâts subis par les sépultures ?
Si la prise en charge des frais engendrés par les catastrophes naturelles sur les parties publiques du cimetière sont éligibles au budget communal, l’attribution d’une aide aux familles semble plus problématique. En effet, pour le ministère de l’Économie, "les monuments funéraires privés sont des éléments assurables du patrimoine des ménages. À ce titre, ils ne bénéficient pas d'une indemnisation de l'État lorsqu'ils ont été endommagés à la suite d'une catastrophe naturelle. En effet, le Gouvernement n'a pas souhaité se substituer aux assureurs dans un domaine qui relève de leur compétence. Il a concentré son effort, à la suite des intempéries de décembre 1999, sur l'aide aux personnes placées en situation de précarité, puis sur la reconstruction à long terme des biens non assurables des collectivités locales, du patrimoine forestier et du patrimoine culturel". (JO Sénat du 21/06/2001 – page 2084)
S’il n'existe pas de base légale pour une indemnisation généralisée des familles par les collectivités locales dont un monument funéraire a été endommagé, en revanche, rien ne s'oppose à ce que les centres communaux d'action sociale, dans le cadre de leur mission générale de secours et d'aide sociale, apportent une aide financière aux familles les plus démunies pour la réfection de ces monuments.
La responsabilité de la commune peut-elle être mise en œuvre du fait de l’inondation du cimetière communal ?
1 - Le fondement de la responsabilité du maire
En premier lieu, s'agissant de la responsabilité éventuelle de la commune en ce qui concerne les dommages causés à des tombes dans un cimetière par la tempête, il faut préciser qu'aux termes de l'art. L. 2213-9 sont soumis au pouvoir de police du maire "le maintien de l'ordre et de la décence dans les cimetières".
Ce texte législatif fait peser sur le maire l’obligation d'assurer le bon ordre et la décence dans le cimetière communal, obligation dont il pourrait effectivement rendre compte au plan de la responsabilité si les dommages pouvaient être reliés à des carences dans l'exercice de cette mission de police.
Cette responsabilité est confirmée dans un arrêt du 6 décembre 1912 du Conseil d'État (Chaudron), qui a reconnu l'existence d'un service général d'entretien du cimetière qui incombe à la commune et n'a pour but que d'assurer le bon ordre et la décence du cimetière qu'il appartient au maire de maintenir.
Par ailleurs, le régime de responsabilité de la puissance publique qui s'applique en ce qui concerne la police des cimetières est celui de la responsabilité pour faute (consorts Deniau, Conseil d'État, 10 décembre 1937, Lebon, page 1022). Plus précisément, il s'agit d'un régime de responsabilité pour faute simple (Tony, Conseil d'État, 23 juin 1976, Lebon, page 1038).
Il revient aux victimes éventuelles, auxquelles incombe la charge de la preuve, de démontrer qu'une faute dans l'exercice de la mission de police de la sécurité à l'intérieur du cimetière communal dont elle a la charge est imputable à l'autorité municipale. Il est certain qu'il appartient au maire d'user de ses pouvoirs en prenant toutes mesures utiles pour assurer la sécurité du cimetière et des sépultures (sieur Deodat, TA de Pau, 15 mai 1968, Lebon, page 723).
2 - C’est au juge administratif qu’il appartient d’apprécier l’existence d’une faute imputable à la commune
Il revient au juge administratif, dans le cadre d'un contentieux éventuel, de vérifier si, au cas d'espèce, les mesures utiles de police de la sécurité à l’intérieur du cimetière ont bien été prises. Au-delà de la preuve nécessaire de l'existence d'une faute de service public imputable à l'autorité communale, par exemple le défaut de surveillance des tombes abandonnées, il conviendrait de s'interroger sur le point de savoir si les dommages causés aux tombes dans un cimetière à la suite d'un orage ne seraient pas assimilables à un cas de force majeure.
3 - La force majeure : cause exonératoire de la responsabilité de la commune
C'est en effet l'une des causes exonératoires possibles dans le cadre d'un régime de responsabilité pour faute. Enfin, dans la mesure où la responsabilité de la commune ne serait pas retenue, une réparation du préjudice serait envisageable dans le cadre d'une police d'assurance éventuellement souscrite par le propriétaire de la pierre tombale endommagée ou bien par une action auprès du juge civil qui pourrait retenir la responsabilité des propriétaires des tombes voisines, dans l'hypothèse où ils sont connus, pour tous motifs liés au trouble dans la jouissance de leur concession funéraire.
Quand la plaque d’identité fixée sur les cercueils apporte une solution au moment des inondations de cimetière
Selon l’art. R. 2213-20 du CGCT : "le couvercle du cercueil est muni d'une plaque gravée indiquant l'année de décès et, s'ils sont connus, l'année de naissance, le prénom, le nom patronymique et, s'il y a lieu, le nom marital du défunt." Au moment de la publication de cette nouvelle exigence du législateur, certains observateurs se sont interrogés sur la pertinence d’une telle mesure. Certains y avaient vu une sécurisation des flux de transports internationaux de dépouilles mortelles, d’autres étaient restés dubitatifs. Peu d’observations avaient été évoquées concernant le rôle préventif que jouerait cette plaque au moment des catastrophes naturelles suivies d’importantes inondations.
Grâce à cette obligation, désormais, les cercueils qui remonteraient à la surface en raison de la pression exercée par la pression des eaux en surface ou souterraine seraient facilement identifiés et remis dans leur emplacement d’origine. Ainsi, la plaque d’identification retrouve sa vocation préventive, tout en jouant un rôle important en matière de traçabilité.
Pourtant, la plaque d’identité n’innove pas tant que cela. La ville de Paris a pris, très tôt, les devants en imposant pour les inhumations dans ses cimetières la fameuse pastille en plomb fixée au bas des cercueils.
En conclusion de cet article, la curiosité nous invite à retracer l’histoire de cette pastille
1 - Une histoire qui remonte à juin 1837 !
Les conservateurs apportent le même soin dans l’inscription des noms, de la date et de la désignation du lieu occupé par les corps que l’on inhume dans les fosses communes, que de ceux qui sont placés dans les terrains acquis temporairement ; mais il arrive fréquemment que, malgré l’exactitude de leurs registres, ils éprouvent de grandes difficultés à retrouver les cadavres inhumés dans la fosse commune.
Une action a été engagée afin de déterminer d’où proviennent ces difficultés. Pour bien comprendre cette situation, il est utile de rappeler qu’à l’époque, dans la fosse commune, les cercueils étaient serrés les uns contre les autres, quelquefois même placés tête-bêche.
Or, qu’arrive-t-il ? Les familles plaçaient des croix de bois et par la suite procédaient à la mise en place d’un entourage en treillage ou en bois façonné, de cinq pieds et demi de long sur deux pieds et demi de large. On comprend facilement que le treillage ait envahi superficiellement l’espace occupé profondément par un cercueil voisin, et que deux treillages recouvrent l’espace de trois cercueils. Au bout de quelques semaines, il résulte à la surface de la fosse commune une confusion inévitable par ces dispositions.
Ainsi, pour les fosses communes, les recherches de cadavres sont rarement accordées, en raison des frais et surtout de l’impossibilité où l’on se trouve de constater l’identité du cadavre.
2 - Comment s'est imposée la solution de l’estampille ?
C’est ainsi que le Dr H. Bayard narre les difficultés rencontrées, à l’époque, y compris pour les exhumations judiciaires dans les cimetières parisiens. En juin 1837, dans une tribune consacrée à l’hygiène publique et à la médecine du travail, il insiste sur l’intérêt de la morale : "Pour conserver le respect dû aux morts, et dans l’intérêt même de l’hygiène publique, on doit employer les moyens convenables à diminuer les recherches dans les exhumations, et à éviter l’ouverture d’un grand nombre de cercueils."
Dès lors, il expose les divers moyens, dont l’emploi lui paraît devoir répondre à tous les inconvénients signalés, notamment : "clouer à la tête de chaque cercueil une estampille en plomb portant un numéro d’ordre, et une lettre de série".
Méziane Benarab
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