Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2. |
L’élection de nouveaux maires et de leurs nouveaux adjoints amène à rappeler les règles particulières qui s’appliquent en matière de délégation. Étant toutefois précisé que la matière funéraire connaît la particularité de "cumuler" de nombreuses hypothèses dans lesquelles le signataire n’est pas nécessairement le maire mais une autre personne dont la délégation ne ressort pas toujours du même régime juridique.
La notion de délégation est inhérente à l’exercice des compétences administratives et se retrouve tant dans l’administration déconcentrée (services de l’État) qu’au sein de l’administration décentralisée (communes, départements, régions, établissements publics de coopération intercommunale). Il s’agit cependant de ne pas confondre deux formes de délégations ; la délégation de pouvoir et la délégation de signature.
Deux délégations distinctes…
La délégation de pouvoir ou de compétence a pour objet de modifier la répartition des compétences. En effet, elle est consentie à une autorité désignée qui bénéficie alors d’un transfert juridique de compétence (entre le conseil municipal et le maire par exemple).
La délégation de compétence s’appelle "délégation de fonction" lorsqu’elle concerne les collectivités territoriales (entre le maire et ses adjoints par exemple), et connaît, par rapport au régime juridique commun, quelques différences qui seront traitées ci-dessous.
À l’inverse, la délégation de signature n’opère aucun transfert juridique. Elle s’analyse comme une simple mesure d’organisation interne d’un service. Pour le dire simplement, un fonctionnaire se trouve autorisé par son supérieur à signer, à sa place, des décisions.
… aux effets différents…
La délégation de fonctions est certes faite à une autorité ès-qualités mais doit être, lorsqu’il s’agit d’une délégation par le maire, nominative, contrairement à la délégation de compétence pour l’administration déconcentrée (pour cette dernière, peu importe si la personne bénéficiaire vient à changer), alors que la délégation de signature implique toujours un maintien dans son emploi du fonctionnaire délégué.
La délégation de fonctions, comme pour la délégation de signature (où le maire peut toujours décider de signer lui-même) - et contrairement à la délégation de compétence - n’a pas pour effet de faire perdre au maire sa compétence. En revanche, en cas de délégation de compétence (comme la délégation par le conseil municipal au maire de la délivrance des concessions funéraires ou de l’exercice du droit de préemption urbain en application de l’art. L. 2122-22 du Code Général des Collectivités Territoriales –CGCT-) tant que la délégation n’a pas été abrogée (le vocabulaire usuellement pratiqué qualifie la disparition de la délégation comme un retrait, mais c’est juridiquement une abrogation). Toutefois, en délégation de fonctions, le délégant conserve une "autorité" sur le délégataire et peut lui adresser des directives.
Concernant le choix du délégataire, le maire est totalement libre de désigner, pour la délégation de signature, le fonctionnaire qu’il souhaite au sein des quatre catégories visées par l’art. L. 2122-19 du CGCT (directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur général ou directeur des services techniques, responsable d’un service), alors que des restrictions à sa liberté de choix existent en matière de délégation de fonctions. En effet, l’art. L. 2122-18 précise que le maire ne peut déléguer une partie de ses fonctions qu’à "un ou plusieurs de ses adjoints et, en l’absence ou en cas d’empêchement des adjoints ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d’une délégation, à des membres du conseil municipal". Dès lors, même s’il n’est pas tenu de respecter, pour les adjoints, l’ordre du tableau, il ne peut déléguer de fonctions à un conseiller municipal que si tous les conseillers municipaux sont déjà bénéficiaires de délégations.
Il est possible de relever (CE 24 janvier 1994, Commune de Vigneux-sur-Seine, req. n° 1414143) que la délégation de signature à un autre fonctionnaire que ceux listés à l’art. L. 2122-19 du CGCT est nulle et les actes signés sur son fondement illégaux (ce qui est très fréquent en matière de pouvoirs de police comme la signature des autorisations en matière funéraire, illégalement signées par les agents délégués à l’état civil en application de l’art. R. 2122-10 du même Code ; voir ci-après).
… mais aux formes semblables…
Dans les deux cas, il s’agit d’un arrêté du maire, seul compétent en cette matière, une délégation ne pouvant jamais être ni verbale ni tacite (CE 31 juillet 1996, M. André Colin, req. n° 134196). Il est essentiel d’indiquer que cet arrêté doit être suffisamment précis, le juge administratif déclarant non valables les délégations par trop vagues. Ainsi, par exemple, le Conseil d’État a jugé : "considérant que par un arrêté du 18 mars 1989 le maire de Conflans-Sainte-Honorine a donné délégation à Mme Françoise Martel, adjoint au maire, pour "signer toutes pièces nécessaires à une bonne administration des intérêts de la ville" ; considérant que cet arrêté ne définit pas avec une précision suffisante les limites de la délégation donnée à Mme Martel " (CE, 18 février 1998, Commune de Conflans-Sainte-Honorine, req. n° 152272). Il n’est de même pas possible, après des élections générales, de se contenter de renouveler les délégations faites sous l’ancien mandat. En effet, le Conseil d’État a annulé les délégations d’un conseil général pour ce motif : "Considérant que, par la délibération du 1er avril 1994, le conseil général d’Indre-et-Loire qui venait d’être renouvelé à l’issue des élections cantonales de mars 1994 a notamment décidé le renouvellement des "délégations de pouvoirs antérieurement données" ; qu’une telle disposition qui ne mentionne ni les bénéficiaires, ni l’objet, ni l’étendue des délégations ainsi renouvelées est entachée d’illégalité" (CE 16 janvier 1998, Département d’Indre-et-Loire, req. n° 172268).
Les fonctions déléguées concernent tant les pouvoirs propres du maire que les compétences déléguées au maire par le conseil municipal en application de l’art. L. 2122-22 du CGCT, puisque l’art. L. 2122-23 de ce même Code précise que : "Sauf disposition contraire dans la délibération portant délégation, les décisions prises en application de celle-ci peuvent être signées par un adjoint ou un conseiller municipal agissant par délégation du maire dans les conditions fixées à l’art. L. 2122-18".
Attention :
Lorsqu’une ou plusieurs des compétences listées à l’art. L. 2122-22 du CGCT (voir encadré) sont déléguées par délibération du conseil municipal au maire, ce dernier ne peut déléguer leur exercice au profit d’un agent, mais seulement au profit d’élus.
Les "grandes" délégations du conseil municipal au maire Art. L. 2122-22 du CGCT Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : |
Selon le Conseil d’État, le maire peut, à tout moment, mettre fin aux délégations qu’il a consenties, sous réserve que sa décision ne soit pas inspirée par des motifs étrangers à la bonne marche de l’administration communale (CE 31 juillet 1996, précité). En revanche, la perte de ses délégations ne fait pas perdre sa qualité à un adjoint, puisque c’est le conseil municipal qui doit délibérer concernant le maintien en fonction de cet adjoint (art. L. 2122-18 in fine).
… qu’il ne faut pas confondre avec la suppléance
Selon les dispositions de l’art. L. 2122-17 du CGCT : "En cas d’absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement, le maire est provisoirement remplacé, dans la plénitude de ses fonctions, par un adjoint, dans l’ordre des nominations et, à défaut d’adjoint, par un conseiller municipal désigné par le conseil ou, à défaut, pris dans l’ordre du tableau". Dès lors le premier adjoint pourra signer valablement l’acte, même pour une matière où il n’aura pas reçu délégation (CE 19 mai 2002, Commune du Cendre, req. n° 208542).
Application de ces principes en matière funéraire
L’intervention du maire en matière funéraire est importante puisqu’elle se traduit dans le cadre de ses missions liées à l’état civil (il va dresser l’acte de décès ou l’acte d’enfant sans vie, modifier le livret de famille, etc.) et son rôle en matière de police des opérations funéraires (il va délivrer l’ensemble des autorisations administratives post mortem, comme, par exemple, l’autorisation de transport de corps, l’autorisation de soins de conservation, l’autorisation d’inhumation ou de crémation) et des cimetières (il va établir le règlement du cimetière, autoriser les inscriptions sur les monuments, etc.).
Cette double qualité n’est pas sans conséquence juridique, puisque ces interventions doivent s’inscrire dans un cadre différent : le Code civil pour l’état civil et le Code Général des Collectivités Territoriales pour les opérations funéraires. Même si ces deux missions sont rappelées et explicitées par l’Instruction générale relative à l’état civil, la distinction s’impose notamment en matière de compétence et de délégation qui n’obéissent pas aux mêmes principes.
Des actes différents
Les actes d’état civil concernent la personnalité juridique du défunt et non sa dépouille. Il s’agit en effet de donner en quelque sorte à la mort une reconnaissance officielle par l’établissement d’un acte de décès (auquel on assimile l’acte d’enfant sans vie malgré l’absence de naissance et donc de personnalité juridique).
Les actes délivrés dans le cadre du pouvoir de police des opérations funéraires, quant à eux, sont essentiellement motivés par des raisons tenant à l’hygiène et à l’ordre public, auxquelles s’ajoutent des impératifs de décence et de neutralité religieuse. La dépouille mortelle est susceptible de porter atteinte à la santé publique et le corps doit rapidement être inhumé ou faire l’objet d’une crémation, sans que l’existence d’un cadavre et sa prise en charge puissent troubler l’ordre public.
Dans le premier cas, il va s’agir de déclarations et constatations permettant l’établissement d’actes officiels ; dans le second cas, il s’agit de préparer et d’autoriser (suite à déclaration préalable ou demande d’autorisation) l’ensemble des opérations qui aboutiront soit à l’inhumation soit à la crémation du corps.
Les différents actes à établir
Actes d’état civil | Autorisations d’opérations funéraires |
Acte de décès | Transport de corps sans mise en bière |
Acte d’enfant sans vie | Soins de conservation |
Livret de famille | Moulage du corps |
Certificat d’hérédité | Mise en bière (fermeture du cercueil) |
Transport de corps après mise en bière | |
Inhumation | |
Crémation | |
Exhumation |
Une priorité est donnée à l’état civil puisque des autorisations en matière de police des opérations funéraires (inhumation et crémation) ne peuvent être délivrées sans que les formalités relatives à l’état civil n’aient été accomplies.
La double qualité du maire
Le maire intervient à la fois en qualité d’officier d’état civil et en tant que titulaire du pouvoir de police des opérations funéraires. Pourtant, les textes ne sont pas toujours convenablement rédigés, et le CGCT contient une erreur. C’est en effet l’officier d’état civil qui reçoit compétence pour délivrer l’autorisation de fermeture du cercueil (art. R. 2213-17), après que le décès a été préalablement attesté par un certificat délivré par un médecin (art. L. 2223-42).
Or, il importe de noter qu’il s’agit de la seule autorisation en matière funéraire délivrée par le maire en tant qu’officier d’état civil. Et pourtant, l’autorisation de mise en bière demeure une autorisation de police et ne constitue nullement un acte d’état civil (CE, avis, 25 avril 1989 ; TA Amiens, 14 octobre 1992, Société des Pompes funèbres de la liberté c/ Commune de Laon, req. n° 87385). D’ailleurs, la révision de l’Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 par l’instruction du 29 mars 2002 est venue remplacer, dans les modèles d’autorisation proposés, la mention "L’officier d’état civil" par "Le maire".
Les règles de délégation en matière de délégation des pouvoirs relatifs à l’état civil sont différentes de celles applicables en matière de police des opérations funéraires.
Les délégations en matière d’état civil
En effet, concernant l’état civil, les délégations sont largement admises (à l’exception du mariage qui implique l’intervention du maire ou d’un adjoint) puisque l’art. R. 2122-10 du CGCT précise que le maire peut déléguer à un ou à plusieurs fonctionnaires titulaires de la commune les fonctions qu’il exerce en tant qu’officier de l’état civil pour la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés, préalables au mariage ou à sa transcription la réception des déclarations de naissance, de décès, d’enfants sans vie, de reconnaissance d’enfants, de déclaration parentale conjointe de changement de nom de l’enfant, du consentement de l’enfant de plus de treize ans à son changement de nom, du consentement d’un enfant majeur à la modification de son nom en cas de changement de filiation, pour la transcription, la mention en marge de tous actes ou jugements sur les registres de l’état civil, de même que pour dresser tous actes relatifs aux déclarations ci-dessus. Les actes ainsi dressés comportent la seule signature du fonctionnaire municipal délégué.
Les délégations en matière de police
Au contraire, en matière de police, eu égard aux règles relatives aux délégations contenues dans le CGCT (art. L. 2122-18), seuls le maire, ses adjoints et, en cas d’empêchement de ces derniers, des membres du conseil municipal, peuvent délivrer ces autorisations et les délégations sont limitées. Les maires ne peuvent déléguer la signature de ces autorisations qu’aux directeurs généraux et directeurs généraux adjoints des services et des services techniques (art. L. 2122-19). La loi du 12 mai 2009 a néanmoins ajouté à ces directeurs, les responsables de services communaux.
Ainsi, les personnes susceptibles de signer les autorisations en matière de police sont différentes (et beaucoup moins nombreuses) de celles susceptibles d’être déléguées en matière d’état civil.
Concernant le cimetière, il y a lieu de rappeler que la délivrance et la reprise des concessions étant une compétence déléguée par le conseil municipal en application de l’art. L. 2122-22, 8°, du CGCT (voir encadré), le maire ne peut déléguer cette compétence à un agent mais seulement à un élu.
Damien Dutrieux
Annexes Modèles d’arrêté de délégation de fonctions (option 1) et de signature (option 2) Arrêté n° …… Nous, maire de la Commune …… Vu le CGCT et notamment son art. L. 2122-18 (option 1) L. 2122-19 (option 2). Option 1 : Considérant qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration que certaines fonctions relevant de la compétence du maire soient déléguées au profit de …, adjoint au maire (ou conseiller municipal). Option 2 : Considérant qu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration que la signature de certains actes relevant de la compétence du maire soit déléguée au profit de …, directeur général des services (ou directeur général adjoint des services, ou directeur général, ou directeur des services techniques). Arrêtons : Option 1 Art. 1 : Sont déléguées à la personne ci-dessus désignée les fonctions suivantes (description précise des fonctions déléguées) : - - - Option 2 Art. 1 : Est déléguée à la personne ci-dessus désignée la signature des actes suivants (description précise des actes concernés par la délégation de signature) : - - - Options n° 1 Art. 2 : Le présent arrêté portant délégation de fonctions sera publié au recueil des actes administratifs de la commune en application de l’art. L. 2122-29 du CGCT (obligatoire pour les communes de plus de 3 500 habitants). Fait à …… Nom et prénom du maire Maire de la commune de …… Signature |
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