Lorsque j’ai fait ma formation de niveau 6 à l’Institut Français de Formation des Professions du Funéraire (IFFPF) avec Dominique Arotcarena, nous avons eu l’occasion d’évoquer les cauchemars récurrents des fossoyeurs. Il y avait d’ailleurs, parmi les stagiaires, un employé qui y était confronté. Pour ma part, c’était la première fois que j’entendais parler du stress post-traumatique. Je m’étais d’ailleurs étonnée du fait que nous, thanatopracteurs, n’y soyons pas exposés.
Même si je n’avais encore jamais fait de cauchemars par le passé, j’ai toujours été persuadée que notre travail nous affectait d’une manière ou d’une autre. Il y a quelque temps, j’ai fait un rêve terrifiant dont j’ai parlé à Dominique, qui a aussitôt évoqué le stress post-traumatique. J’ai eu envie de creuser plus loin pour tenter de comprendre ce phénomène, et surtout de chercher des solutions pour le surmonter. C’est tout naturellement vers Dominique Arotcarena, formateur et gérant de FFADL, qui y a également vécu cette expérience lors de ses débuts dans les pompes funèbres, que je me suis tournée.
Claire Sarazin, thanatopracteur. |
Dominique Arotcarena, formateur et gérant de FFADL. |
Claire Sarazin : Qu’est-ce que le stress post-traumatique pour les travailleurs du funéraire ?
Dominique Arotcarena : Dans le milieu funéraire et dans d’autres professions, cet état de stress post-traumatique se révèle un jour, ou plutôt une nuit. Ce trouble de stress anxieux se caractérise par le développement de symptômes spécifiques faisant suite à l’exposition trop longue et en masse d’un évènement particulièrement stressant, ou à un évènement extrême traumatique confronté à la mort. Les professions exposées à ce stress post-traumatique sont diverses et variées : militaires, pompiers, policiers, et bien sûr, dans le milieu funéraire, fossoyeurs, porteurs, conseillers funéraires, thanatopracteurs.
CS : Au bout de combien de temps ce stress post-traumatique apparaît-il ?
DA : Le traumatisme apparaît bien souvent dans ces milieux professionnels après plusieurs mois ou même plusieurs années de travail. Il survient la nuit dans un premier temps par un cauchemar très violent, très différent selon les individus. Pour un militaire, des combats vécus ou des pertes de frères d’armes ; pour des pompiers, des personnes que l’on n’a pas pu sauver ou des pertes de ses confrères ; pour des fossoyeurs, les corps retirés de terre dans le cadre d’exhumations ; pour les porteurs, policiers, conseillers funéraires, des réquisitions (suicide, pendu, mort par arme à feu).
CS : Comment expliquer que l’on en parle aussi peu, voire pas du tout ?
DA : Il s'agit d'un sujet tabou en France et dans toutes les corporations de ces métiers, rares sont les prises en charge psychologiques. Les différentes personnes confrontées à ce stress post-traumatique se sentent seules et ne parlent pas de ce qu’elles vivent. Ce stress se manifeste la nuit. Au début par un cauchemar violent. Ensuite, ce même cauchemar ou d’autres, de plus en plus violents et de plus en plus rapprochés, vont finir par se produire toutes les nuits. Les personnes ne dorment plus, redoutent d’aller se coucher, ont l’impression de devenir folles et finissent par faire des tentatives de suicide ou se suicident.
CS : Cela touche-t-il un grand nombre de personnes ?
DA : En France, on sous-estime le nombre de personnes touchées par ce stress post-traumatique. Dans le milieu du funéraire, il est tabou, les gens n’en parlent pas (peur du qu’en-dira-t-on, l’impression d’être faible). Au cours des nombreuses formations que j’ai réalisées, je fais un chapitre là-dessus intitulé "le corps de trop, celui qui fait basculer la personne sur ce stress post-traumatique".
J’ai constaté, au cours de différentes sessions, beaucoup de gens touchés par ce symptôme, du fossoyeur au thanatopracteur, en passant par les porteurs et chefs d’entreprise. Les masques tombent durant ces formations, les gens voient d’autres personnes confrontées au même tourment qu’eux, et la parole se libère. Les plus traumatisés sont les fossoyeurs qui, eux, parlent très peu. Le traumatisme est plus important pour eux car ils ont une tâche très dure, qui est de retirer des corps dans le cadre d’exhumations (normales ou administratives), ce qui n’est pas anodin. Ces hommes voient différents corps et stades de putréfaction de l’espèce humaine. Régulièrement, ils les touchent, il y a les odeurs, les manipulations… Ces visions sont terribles. Tout ce que l’œil voit doit être digéré. L’homme sera tenu de rendre compte de tout ce que son œil a vu et qu’il n’a pas consommé…
CS : Est-il possible de digérer de telles visions ?
DA : La législation funéraire est précise. Le corps doit être à os blanc et sec, mais dans la réalité, cela n’est pas respecté, et le fossoyeur se retrouve seul face à ce problème et exécute sa tâche quel que soit l’état du corps. De plus, le fossoyeur a toujours la tête en bas, dans les entrailles de la terre. Il ne fait que du négatif toute la journée. Or, quand ton regard pénètre longtemps au fond d'un abîme, l'abîme, lui aussi, pénètre en toi (Friedrich Nietzsche).
Les conseillers funéraires porteurs qui font des réquisitions et vont ramasser des corps (accident de la route, suicide par pendaison, noyade) sont aussi confrontés à cela, mais à une échelle moins traumatisante, car ils travaillent sur terre. J’ai rencontré aussi des thanatopracteurs touchés par ce syndrome dû au nombre élevé de corps trop abîmés dans le même mois. Ils sont seuls. Ils ont du positif en comparaison des fossoyeurs, car ils retardent la thanatomorphose et rendent le défunt apaisé et apaisant.
Le conseiller funéraire a lui aussi du positif dans son métier, car il prend soin des familles, il fait de belles cérémonies d’accompagnement en tant que maître de cérémonie. Le seul métier du funéraire où il y a le moins de positif qui permet de contrebalancer toutes ces visions macabres est celui de fossoyeur.
Aussi, les chefs d’entreprise doivent avoir conscience de tout ce stress post-traumatique. Il faut pour cela ne pas hésiter à faire appel à un intervenant extérieur qui connaît bien ce stress.
CS : Que peux-tu leur conseiller ?
DA : Mon entreprise, FFADL, propose, à la demande, d’organiser des réunions d’échanges afin d’évaluer le niveau de ce stress post-traumatique, une formation sur le corps de trop, des discussions collectives et individuelles avec les différents salariés, ainsi qu’un travail sur la mémoire émotionnelle négative pour renforcer l’esprit face à la mémoire qui fait souffrir, celle qui n’a pas encore été intégrée. Selon la gravité, il faut intervenir avec différentes techniques adaptées à chaque personne.
CS : Lorsqu’en parler ne suffit plus, existe-t-il d’autres techniques ?
DA : Oui, dans ce cas, d’autres méthodes doivent être mises en place. Je pourrais citer par exemple l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). Cette méthode a été découverte et élaborée à la fin des années 80 par Francine Shapiro, docteur en psychologie aux États-Unis, pour traiter les Syndromes de Stress Post-Traumatique (PTSD en anglais) des vétérans de la guerre du Vietnam.
L'EMDR
Repose sur une désensibilisation émotionnelle et une reprogrammation par les mouvements oculaires, mais aussi kinesthésique (tapping) ou auditive. Il traite donc de manière très efficace tous les mauvais souvenirs et leurs conséquences.
L’EFT (Emotional Freedom Technique)
Mise au point et utilisée par Gary Craig depuis 1991, cette technique s'articule sur la croyance suivante : "La cause de toute émotion négative est une rupture dans le système énergétique corporel." Elle utilise la notion de méridien bien connue en acupuncture et consiste à tapoter avec deux doigts, des points d'entrée et de sortie des méridiens du corps. Elle peut aussi être utilisée dans les douleurs physiques et a été prouvée cliniquement efficace à 80 %, aussi bien pour les troubles physiques que psychiques. En cadeau, lorsque vous aurez appris le protocole, vous pourrez l'utiliser à l'infini, seul chez vous, et pour n'importe quel problème.
Remarque : l'EMDR et l'EFT font partie de ces nouvelles thérapies dites "émotionnelles", dont les résultats sont remarquables et qui nécessitent très peu de séances.
La sophrologie caycédienne
Fondée à Madrid en 1960 par Alfonso Caycedo, neuropsychiatre, qui a travaillé sur les états de conscience modifiés et s'est inspiré des disciplines orientales (yoga, zen japonais) ; la sophrologie s'appuie sur la relaxation dynamique, l'hypnose, les exercices de respiration et la visualisation d'images apaisantes. Durant la séance, il s'agit d'accueillir toutes les sensations ou émotions "sans analyse ni jugement", et de remplacer la sensation négative par une autre, de bien-être, tout en étant guidé par le sophrologue. Une fois revenu à la conscience normale, le patient est invité à verbaliser sur ce qu'il a ressenti durant la séance. Pour être efficace, cette méthode de thérapie, très douce, nécessite des séances très régulières.
La Thérapie Cognitive Comportementale (TCC)
Utilisées essentiellement par les psychiatres et les psychologues, les TCC s'attachent à corriger les pensées et les croyances négatives qui génèrent un état de souffrance et des comportements névrotiques (dépendance, phobie, TOC, etc.). Les TCC sont fondées sur l'apprentissage de nouveaux comportements. Le thérapeute et le patient élaborent ensemble des tâches à accomplir qui sont habituellement sources d'angoisse dans le but de modifier progressivement le comportement, car il s'agit de progresser à chaque séance. Ce qui caractérise le mieux les TCC, c'est le travail sur le terrain, la mise en situation systématique et les allers-retours entre réflexion et expérimentation, entre cabinet de consultation et travaux pratiques dans la vie de tous les jours.
CS : Merci pour cet éclairage, Dominique. Deux phrases dans cet entretien m’ont paru résumer très bien ce que nous vivons au jour le jour : "Tout ce que l’œil voit doit être digéré." Et c’est à Friedrich Nietzsche que je laisserai le mot de la fin : "Quand ton regard pénètre longtemps au fond d'un abîme, l'abîme, lui aussi, pénètre en toi."
Résonance n°110 - Mai 2015
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