Hormis la référence historique qu’il représente, le crématorium du Père-Lachaise est également un modèle du genre en matière environnementale, tant dans le domaine des filtrations que dans celui du recyclage de l’énergie. Un entretien avec le directeur des crématoriums des Services Funéraires Ville de Paris, Alain Villechaise, est pour nous l’occasion d’aborder le sujet des divers systèmes de récupération de calories, profitant ainsi de ses compétences techniques.
Le crématorium du Père-Lachaise. |
Aujourd’hui les préoccupations environnementales et les réflexions écologiques sont présentes partout et dans tous les domaines. Le milieu du funéraire n’y échappe pas et les crématoriums, gros consommateurs d’énergie fossile et gros producteurs de calories rejetées dans l’atmosphère sont maintenant raisonnablement dans l’obligation de réfléchir avec un axe environnemental. Si la chose peut paraître un peu complexe concernant la maîtrise de la pollution, elle est plus aisée dans le domaine de la récupération énergique car faisant appel à des techniques éprouvées. Bien sûr, ici, point de généralités et chaque cas est un cas particulier.
Pour réaliser une crémation, on utilise, dans la plupart des cas, de l’énergie fossile non renouvelable et contribuant à l’effet de serre : du gaz de ville en l’occurrence. Cette énergie consommée est nécessaire pour produire la combustion du corps et du cercueil. Le fait de produire ces calories génère des gaz chauds qui sont évacués. Si le crématorium n’est pas équipé de filtration, ceux-ci partent directement, via une cheminée, dans l’atmosphère.
Depuis le décret de février 2010, on est dans l’obligation (depuis cette date pour les nouveaux crématoriums et d’ici février 2018 pour ceux construits avant 2010) d’avoir des installations de traitement des effluents gazeux atmosphériques, ou traitement des fumées (la filtration n’étant qu’une étape de ce processus). Pour "filtrer", on est obligé d’abaisser les fumées, qui sortent des appareils de crémation, d’environ 850° et plus à 150° au travers d’un échangeur appelé "chaudière" dans notre jargon. Cela afin de rendre les fumées compatibles avec le réactif chimique qu’on leur injecte, servant à piéger les polluants.
Le fait de faire chuter la température des fumées permet de récupérer de l’énergie à travers un "échangeur" (baisser la température d’un élément fait augmenter celle d’un autre élément, d’où le nom d’échange). En général, on utilise de l’eau qui absorbe la chaleur transmise à la chaudière par les fumées chaudes et cette eau est ensuite refroidie par de l’air extérieur à l’aide d’un "refroidisseur secondaire". Dans ce processus, les calories finissent quand même dans l’atmosphère. Comme celles-ci sont produites de toute façon, autant les récupérer d’une manière ou d’une autre pour s’en servir.
Aujourd’hui, plusieurs solutions sont possibles
Comme nous venons de le voir ci-dessus, de l’eau chaude est disponible dans le process de la filtration. Il suffit de dériver tout ou partie de cette eau par l’intermédiaire d’un échangeur secondaire pour ensuite se raccorder à une installation de chauffage de bâtiment ou à un réseau de chaleur de type urbain par exemple.
Le crématorium de Champigny-sur-Marne.
Dès l’instant où l'on a un crématorium, on a un bâtiment à chauffer. Ainsi les calories récupérées (devenues eau chaude) serviront à alimenter le chauffage "central" de celui-ci. Sachant que le fonctionnement des installations est discontinu mais que le chauffage est utile 24 h sur 24, il y a nécessité de prévoir un stockage tampon pour répondre au décalage entre la production de calories et son utilisation (la nuit par exemple). Cela peut se faire tout simplement grâce à des ballons d’eau chaude. En fonction de la taille du bâtiment et des besoins réels de chauffage, ce procédé suffira à répondre, du moins partiellement, aux besoins en énergie de chauffage des locaux.
Cette récupération, étant surtout appréciée durant les périodes froides, peut se transformer tout autant en "climatisation". On peut en effet utiliser cette source d’énergie pour faire du froid. Selon une méthode de refroidissement par absorption, on peut transformer un flux chaud en liquide glacé et refroidir ainsi des locaux. On a de l’eau chaude qui vient chauffer une solution d’eau et de bromure de lithium. Pour faire simple et court, cette dernière va produire une vapeur réfrigérante qui est amenée dans un condenseur pour une transformation en liquide froid. Généralement, les échanges thermiques sont accélérés par un dispositif de ventilation : souffler de l’air refroidi ; et aspirer de l’air chaud.
Enfin, un des derniers systèmes récemment créés pour exploiter la récupération de calories consiste à réchauffer l’air que l’on injecte dans le four pour entretenir la combustion, qui ne peut se faire qu’avec un taux constant d’oxygène de 6 % au minimum. Le principe tient dans un nouveau type d’échangeur (mis au point par la société ATI) récupérant la chaleur des fumées en sortie des appareils de crémation pour réchauffer l’air de combustion. Cela permet environ 20 % d’économie de gaz par rapport à une installation classique (à confirmer d’ici quelques mois et après des relevés sur le seul exemplaire actuellement installé à Champigny-sur-Marne). Habituellement, l’air ambiant propulsé dans la chambre principale d’ignition varie, en fonction des saisons, de - 10 à + 40°C. Ici, on le fait transiter par ce nouveau matériel pour le conduire à une température de 150° à 200°. Ainsi, cela fait ça de moins à dépenser en matière énergétique.
Tous ces progrès sont maintenant devenus familiers au sein des Services Funéraires Ville de Paris (SFVP) comme nous le précise Alain Villechaise : "Pour le crématorium du Père-Lachaise, lorsque nous avons mis en place les nouvelles installations de filtration (conçues par Facultatieve Technologies), nous avons simultanément pensé à un récupérateur à eau chaude pour alimenter la chaudière centrale de l’établissement. Cela était relativement novateur à l’époque. C’était en 2008. Nous étions à la fois en avance sur la réglementation et des précurseurs dans le secteur de la vigilance environnementale. En 2014, pour le crématorium de Champigny (géré par les SFVP), nous avons voulu suivre une démarche HQE (Haute Qualité Environnementale) et avons mis en place la technique ATI [voir ci-dessus].
C’est cet engagement éthique environnemental que nous défendons plus que jamais aujourd’hui et nous pensons que chaque nouveau projet doit être particulièrement attentif aux enjeux écologiques et minimiser au maximum son impact sur l’environnement."
Gil Chauveau
Résonance hors-série #1 - Spécial Crémation - Août 2015
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