Le 27 septembre dernier, à l’initiative du collectif "Grande cause nationale du deuil" se sont tenus, à l’Assemblée nationale, les "Premiers États Généraux du deuil et de la personne endeuillée". Ces travaux entrent dans le cadre de la sollicitation du label "Grande cause nationale" attribué chaque année par le Premier ministre à une cause jugée digne d’être propulsée au-devant des médias et de la société en général.
Si ces premiers "États Généraux" ont permis d’évaluer l’état d’avancement du dossier et d’élargir le collectif à plus de 500 associations, leur apport se situe ailleurs. Ils conceptualisent les éléments d’un vaste débat national autour de la personne endeuillée. Le deuil, cette question taboue "que la société contemporaine a tenté de tuer par son silence", mérite un réel débat afin d’éviter qu’il ne se transforme en double peine pour la personne endeuillée. Une double peine qui ne peut que favoriser l’apparition de deuils pathologiques et alourdir le poids financier des prises en charge médicales. Terrassé par la douleur de la perte d’un être cher, l’endeuillé croule sous le poids de formalités et de démarches administratives - souvent redondantes - qu’il doit accomplir dans un laps de temps très court.
C’est pour dresser un état des lieux de la situation sociale, économique, juridique et psychologique de l’endeuillé, que l’idée de faire du deuil une grande cause nationale a été suggérée. Un constat sans concession a été dressé par les membres du collectif : l’environnement de la personne endeuillée doit être sensiblement amélioré sur tous les plans et les situations discriminatoires dont elle pâtit doivent être dénoncées.
Depuis le 23 oct. 2010, date de sa création, le collectif a travaillé sans relâche à la formalisation d’un certain nombre de propositions destinées à clarifier, simplifier et alléger la situation de la personne endeuillée.
Transports : la double peine incarnée pour les personnes endeuillées
Dans une société moderne, marquée par l’éclatement des familles et leur éloignement, la participation des membres d’une famille aux obsèques d’un proche devient plus que problématique, notamment pour les familles ayant des attaches avec les territoires ultramarins. En effet, à la difficulté, en période estivale, à réserver un ou plusieurs sièges, s’ajoute une insupportable tarification. Aussi, grâce aux engagements formalisés dans la "Charte de l’endeuillé" lancée en 2009, des avancées ont été obtenues au profit des familles. Ainsi, s’agissant des transports aériens, des dispositions particulières en faveur des familles endeuillées ont été prises par certaines compagnies desservant les Antilles, la Réunion et la Guyane. Une importante remise tarifaire adossée à une priorité de réservation valable pour un maximum de cinq personnes existe désormais.
Est-il acceptable que la SNCF accorde une réduction tarifaire aux personnes se rendant à des salons professionnels et aucune aux proches se rendant à des funérailles ?
Cependant, si des progrès commencent à être enregistrés pour les transports aériens, tout reste à faire pour les transports ferroviaires. La situation n’est guère reluisante. Est-il acceptable que la SNCF accorde une réduction tarifaire aux personnes se rendant à des salons professionnels et aucune aux proches se rendant à des funérailles ? Il est évident que cette anomalie doit être dénoncée.
Formalités après décès : dans la jungle des procédures administratives
Les partenaires fondateurs de la "Charte du respect de la personne endeuillée" ont, dès sa signature, appelé à la simplification des démarches et formalités après décès par la mise en œuvre d’un guichet unique destiné à informer instantanément les différentes administrations du décès d’un proche. Cette proposition est aujourd’hui au stade expérimental sur le site internet "Mon service public". 11 organismes sociaux y sont déjà reliés.
Consciente des difficultés rencontrées en la matière, la Direction Générale de la Modernisation de l’État (DGME) a initié en 2011, le Guide du décès en ligne.
Ces initiatives contribuent à faire diminuer, chez les Français, le sentiment d’une complexité administrative insupportable.
C’est sur le plan de la justification de la qualité d’héritier que des efforts restent à accomplir. L’exigence d’un certificat d’hérédité reste pénalisante pour les familles obligées de débourser 400 à 500 € pour obtenir le versement de sommes bien inférieures. Prouver cette qualité par d’autres moyens, plus simples et adaptés à l’évolution de la vie administrative, s’érige en priorité.
Les banques ne sont pas en reste dans ces situations jugées inacceptables pour les proches. La clôture du compte bancaire du défunt génère des frais auxquels les familles ne s'attendaient pas.
Statut du conjoint survivant : des disparités incompréhensibles
Sur le plan de la pension de réversion, par exemple, le versement à la veuve, si le corps du défunt n’a pas été retrouvé, donne lieu à des disparités de régime qui peuvent surprendre. Ainsi, dans le cadre du régime général, l’absence et donc le décès ne peuvent être constatés qu’à l’issue d’un délai de 10 ans. À l’inverse, dans le régime spécifique aux marins, ce délai est réduit à une année.
Bien que ces deux situations s’expliquent aisément sur le plan juridique, il n’en reste pas moins que la veuve qui doit patienter si longtemps avant de percevoir son allocation de réversion est légitimement fondée à exprimer son insatisfaction. Cette situation de veuvage non reconnu, de "pré-veuvage", l’aura plongée dans une situation de précarité financière et sociale.
Face à de telles incohérences, les porteurs du dossier de la grande cause nationale du deuil ne cessent de plaider pour un statut de la personne endeuillée dans la société contemporaine. Mais que comporte cette notion ?
Pour un statut de la personne endeuillée : 64 Codes législatifs traitent de la question du deuil !
Le concept de statut de la personne endeuillée ne comporte aucune allusion au statut psychologique. Chaque deuil, ainsi que la situation qu’il entraîne, est particulier. La portée du concept est ailleurs : sur le plan juridique.
Au décès d’un proche, les familles sont souvent désemparées, ne sachant pas par quelle démarche il convient d’entamer les formalités qui s’imposent en la circonstance. C’est pour remédier à ce sentiment que le collectif travaille au projet de "Code pratique des droits de la personne endeuillée".
Ce projet part d’un postulat de base : l’information autour de la situation juridique et administrative de la personne endeuillée reste éparse, éparpillée à travers pas moins de 64 Codes législatifs. Le résultat est édifiant : plus de 1 000 articles législatifs consacrés aux situations de deuil y ont été identifiées. Ainsi, le collectif entreprend un véritable travail de codification privée, avant que le législateur ne lui emboîte le pas par une codification officielle.
… le collectif engage, un véritable travail de codification privée, avant que le législateur ne lui emboîte le pas par une codification officielle
En prenant cette initiative, le collectif se donne de réels moyens d’introduire le débat autour du statut de la personne endeuillée. Une grande ambition pour une cause noble.
Les travaux des "États Généraux" ont conforté le travail engagé par le collectif donnant même parfois le sentiment que le label grande cause nationale est à portée de ses membres. L’ambition, la passion de chacune des associations présentes se sont retrouvées dans le projet de programme d’action élaboré et validé et dont le seul leitmotiv est d’enraciner profondément la question du deuil dans toutes les contrées de France. Les 500 associations départementales partenaires de la grande cause constituent autant de relais qui ne manqueront pas de lui donner visibilité et lisibilité.
Si la grande cause du deuil doit aboutir au travail de codification envisagé, une étape importante sera alors franchie sur la voie de l’amélioration de l’environnement immédiat de la personne endeuillée.
Le projet de grande cause nationale du deuil n’est pas un catalogue de revendications corporatistes risquant d’alourdir les finances publiques. Bien au contraire, bon nombre de ses orientations sont sources d’économies et de simplification. Le projet de grande cause nationale est la formalisation d’idées simples, portées avec ambition et passion par des associations proches des personnes endeuillées. Empreint de bon sens, il revendique tout simplement de lever le tabou du deuil et d’engager un véritable débat sur le statut de la personne endeuillée.
- Jean-Pierre Barbier, député de l’Isère, maire de Pénol.
- Christiane Poirier, présidente de la Fédération des Associations de Conjoints Survivants et présidente du collectif "Grande cause nationale du deuil".
- Dr Jean-Jacques Chavagnat, psychiatre d’adultes et président de la Fédération européenne Vivre Son Deuil.
- George-Edward Le Roy et Méziane Benarab, direction générale de l’Office Français de Prévoyance Funéraire.
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