Épilogue d’un long feuilleton sur le décalage entre le droit de l’Union européenne et le droit du travail français en matière d’acquisition de droits à congés payés en période d’arrêt de travail. Ce sont 3 arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation rendus le 13 septembre 2023 qui avaient mis le feu aux poudres.
C’est en effet par un revirement de jurisprudence que la Cour de cassation avait décidé de ne plus faire primer le droit interne sur le droit de l’Union européenne, reconnaissant dorénavant le droit pour un salarié en arrêt de travail pour maladie non professionnelle d’acquérir des droits à congés payés. C’est ainsi que l’Assemblée nationale a adopté ce 10 avril 2024 un texte visant à consacrer ce principe.
L’état antérieur du droit
Aux termes de l’art. L. 3141-3 al.1 du Code du travail, "le salarié a droit à un congé de 2 jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur". C’est ainsi que tant la jurisprudence que la doctrine ont pu en déduire que le salarié n’acquiert pas de droit à congés payés pendant ses absences pour maladie non professionnelle, contrairement aux absences pour accident du travail ou maladie professionnelle que le Code du travail assimile à du travail effectif pendant une durée d’un an (art. L. 3141-5).
Des règles contraires au droit de l’Union européenne
Cependant, le droit de l’Union européenne, dans une directive sur le temps de travail n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, prévoit un droit à congés payés sans distinguer la nature des absences, incluant ainsi les périodes d’arrêt maladie non professionnelle (CJUE, 24 janvier 2012, n° C-282/10). Bien que reconnaissant explicitement le caractère non conforme au droit européen du Code du travail sur ce point, la Cour de cassation limitait jusqu’à présent son application aux employeurs assimilables à une autorité publique, tels que les délégataires de service public par exemple (Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-20111 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-22214), excluant ainsi l’application du droit européen aux contrats de travail conclus avec un employeur privé en se fondant sur l’absence d’"effet direct" des directives européennes (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22285).
Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation
Mais c’est par un raisonnement fondé sur l’art. 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au droit à congés payés des salariés, "court-circuitant" l’absence d’effet direct de la directive, que depuis un arrêt du 13 septembre 2023 (n° 22-17340), la chambre sociale de la Cour de cassation juge désormais que les périodes d’absences pour maladie non professionnelle sont créatrices de droit à congés payés pour le salarié.
Et de façon logique, dans un autre arrêt rendu le même jour (n° 22-17638), elle indique que contrairement aux dispositions du Code du travail, le salarié acquiert des droits à congés payés pendant toute la durée de son arrêt de travail pour maladie ou accident professionnel, et non plus seulement pendant une durée d’un an, faisant ainsi primer le droit européen sur le droit interne.
La saisine du Conseil constitutionnel
La Cour de cassation n’a pas le pouvoir d’abroger des dispositions contraires au droit de l’Union européenne. Cependant, à l’occasion d’un nouveau litige, elle a été saisie d’une demande de Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) 2 mois après avoir rendu les arrêts précités (cass. soc., 15 novembre 2023, n° 23-14.806). C’est ainsi que le Conseil constitutionnel se trouvait à son tour saisi du sujet, prolongeant une instabilité juridique préjudiciable aux employeurs, incapables de savoir précisément comment traiter la question en paye.
Dans sa décision QPC n° 2023-1079 du 8 février 2024, la Conseil déclarait les dispositions litigieuses conformes à la Constitution. Mais les compétences du Conseil constitutionnel lui permettent uniquement de contrôler la constitutionnalité d’une loi, et non sa conventionnalité (NDLR : conformité à des engagements internationaux). Un texte législatif peut donc être déclaré conforme à la Constitution, mais demeurer non conforme aux règles du droit de l’Union en européenne, supérieures au droit interne, y compris à la Constitution. Dès lors, seul le vote d’une loi par le législateur pouvait être de nature à régler la question.
Un nouveau texte adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat
Après 6 mois de tergiversations, l’Assemblée nationale et le Sénat ont enfin adopté définitivement le 10 avril 2024 un nouveau texte visant à mettre en conformité le Code du travail avec le droit de l’Union européenne. Il en ressort donc les articles suivants du Code du travail, modifiés ou créés :
Art. L. 3141-5 (modifié)
Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
1° Les périodes de congés payés ;
2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption ;
3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos […] ;
4° Les jours de repos accordés au titre de l’accord collectif […] ;
5° Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.
7° Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel.
Art. L. 3141-5-1 (créé)
[…] la durée du congé auquel le salarié a droit au titre des périodes mentionnées au 7° de l’art. L. 3141-5 est de 2 jours ouvrables par mois, dans la limite d’une attribution, à ce titre, de 24 jours ouvrables par période de référence […].
Art. L. 3141-19-1 (créé)
Lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de 15 mois afin de pouvoir les utiliser.
Cette période débute à la date à laquelle le salarié reçoit, après sa reprise du travail, les informations prévues à l’art. L.3141-19-3.
Art. L. 3141-19-2 (créé)
Par dérogation au second alinéa de l’art. L. 3141-19-1, lorsque les congés ont été acquis au cours des périodes mentionnées aux 5° ou 7° de l’art. L. 3141-5, la période de report débute à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu depuis au moins 1 an en raison de la maladie ou de l’accident.
Dans ce cas, lors de la reprise du travail, la période de report, si elle n’a pas expiré, est suspendue jusqu’à ce que le salarié ait reçu les informations prévues à l’art. L.3141-19-3.
Art. L. 3141-19-3 (créé)
Au terme d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur porte à la connaissance du salarié, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie :
1° Le nombre de jours de congé dont il dispose ;
2° La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.
Ces textes, issus du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, élaborés par la commission mixte paritaire, entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel.
Social
Rupture conventionnelle : l’entretien obligatoire entre le salarié et l’employeur peut avoir lieu le même jour que la signature de la rupture (Cass. soc., 13 mars 2024, n° 22-10.551)
La rupture conventionnelle permet, sous réserve de son homologation par l’autorité administrative, de rompre le contrat de travail d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. Elle ne peut cependant pas avoir lieu pendant la période d’essai, ni s’appliquer à un contrat à durée déterminée ou à un contrat d’apprentissage. Elle peut en revanche être conclue même si le salarié est en arrêt de travail pour maladie, accident du travail, maladie professionnelle, congé maternité ou parental.
Instaurée par la loi du 25 juin 2008, cette procédure n’a cessé de connaître un succès croissant dans toutes les branches professionnelles, y compris dans le secteur funéraire, car elle présente l’avantage de la simplicité, mais aussi et surtout parce qu’assimilée à une perte involontaire d’emploi, elle permet au salarié de bénéficier d’indemnités chômage.
La rupture conventionnelle se déroule de façon obligatoire selon les étapes suivantes : entretien préalable, signature d’un formulaire Cerfa par le salarié et l’employeur, délai de rétractation de 15 jours calendaires débutant au lendemain de la date de signature, transmission à l’autorité administrative (par l’employeur ou le salarié) du formulaire signé à compter de la fin du délai de rétractation.
La rupture du contrat de travail est alors possible à l’issue du délai d’instruction par l’autorité administrative d’une durée de 15 jours, si cette dernière ne répond pas à la demande, ou dès le lendemain de la notification de la décision expresse d’homologation. En tout état de cause, la convention prévoit une date de rupture envisagée (nécessairement postérieure à la date prévisible de fin d’instruction).
Dans l’affaire précitée soumise à la Cour de cassation, la question se posait de savoir si l’entretien préalable entre le salarié et l’employeur pouvait être immédiatement suivie, le même jour, de la signature de la convention d’homologation. Et c’est par l’affirmative que la Cour a tranché, considérant que "l’art. L. 1237-12 du Code du travail n’instaure pas de délai entre, d’une part l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, d’autre part la signature de la convention de rupture".
Fiscal
Report de l’obligation de facturation électronique pour les entreprises privées assujetties à la TVA
La facturation électronique est un dispositif bien connu des entreprises pour facturer leurs clients "personnes publiques" depuis la mise en service en 2016 de la plateforme ChorusPro créée par la loi 26 juin 2014 et dont l’utilisation est aujourd’hui généralisée.
Un dispositif analogue, ou à tout le moins inspiré de cette plateforme, dont la création avait été annoncée par la loi du 16 août 2022, devait être utilisé de façon obligatoire dans le cadre de la facturation entre entreprises assujetties à la TVA entre le 1er juillet 2024 et 1er janvier 2026 selon la taille des entreprises.
Cependant, eu égard à l’ampleur d’un tel dispositif, sa mise en œuvre a été reportée par la loi de finances pour 2024 (loi du 29 décembre 2023) selon le calendrier suivant :
• à partir du 1er septembre 2026 : toutes les entreprises auront l’obligation de recevoir des factures électroniques et toutes les grandes entreprises et entreprises de taille intermédiaire auront l’obligation d’émettre des factures électroniques ;
• à partir du 1er septembre 2027 : les petites, moyennes et micro-entreprises auront l’obligation d’émettre des factures électroniques.
Social
Publication le 7 mars 2023 par l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) d’un guide de sensibilisation des employeurs sur l’endométriose
"En France, on estime à 10 % la part des femmes atteintes d’endométriose - une maladie souvent invalidante qui peut avoir des impacts sur leur vie professionnelle avec des risques de sortie d’emploi. Des mesures existent pour faciliter le travail des salariées concernées dans de bonnes conditions, pour elles comme pour l’entreprise".
Rappelant diverses données épidémiologiques (1,5 à 2,5 millions de femmes en âge de procréer atteintes en France, 65 % d’entre elles déclarant que leur maladie a des impacts négatifs sur leur travail, 7 à 10 ans en moyenne pour diagnostiquer la maladie), ce guide propose diverses pistes d’action que peuvent mettre en œuvre dirigeants et managers pour faciliter le travail et le maintien dans l’emploi des femmes atteintes d’endométriose (télétravail, aménagement du poste, aménagement de l’activité, aménagement des horaires et du temps de travail).
Ces actions pouvant ainsi faire l’objet de discussions dans le cadre du Comité Social et Économique (CSE) en vue de leur intégration dans divers plans d’action et accords collectifs d’entreprise.
Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Myriam Rami
SPE ACX
Résonance n° 202 - Avril 2024
Résonance n° 202 - Avril 2024
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