Les "forêts sanctuaires", alternative aux "forêts cinéraires"

Les aspirations écologiques de notre société contemporaine et des élus conduisent à la recherche de nouvelles voies aux alternatives traditionnelles à la destination des cendres que constituent les cases de columbarium, l’inhumation en cavurne ou en terrain classique, le scellement de l’urne et la dispersion. Face aux expériences plus ou moins réussies des "forêts cinéraires" et à leur légalité discutable, les "forêts sanctuaires", selon le terme consacré par la ville de Schiltigheim, constituent un excellent compromis entre écologie et respect strict du droit funéraire en vigueur.

Rappelons en effet que les "forêts cinéraires" et autres espaces cinéraires boisés et isolés constituent un OVNI juridique en ce qu’elles consistent, théoriquement, dans l’inhumation d’urnes biodégradables en vue d’une dispersion souterraine lente des cendres, alors que notre droit funéraire ne connaît, s’agissant des cendres, que la dispersion et l’inhumation (impliquant nécessairement la possibilité d’une exhumation). L’espace arboré inauguré récemment au cimetière de Schiltigheim se fonde quant à lui sur un outil juridique bien maîtrisé, celui des concessions funéraires.

Ainsi, le concessionnaire acquiert une concession funéraire de terrain dont la superficie permet l’inhumation d’une ou plusieurs urnes. Afin de permettre leur éventuelle exhumation future, à la demande de la famille ou à l’occasion de la reprise de la concession, les urnes doivent exclusivement être choisies dans un matériau imputrescible.

Sur plan environnemental et paysager, cet espace boisé a été créé sur une parcelle enherbée d’un demi-hectare au sein du cimetière schilikois le plus récent (le cimetière Ouest ouvert dans les années 1970). Des arbres d’essences choisies dans une logique de biodiversité et pour leur résistance dans le temps, en particulier au réchauffement climatique, ont été plantés de façon suffisamment espacée les uns des autres pour permettre leur plein développement.

Au pied de chaque arbre ont été délimités les 8 emplacements qui seront concédés et dans lesquels pourront être inhumées jusqu’à 4 urnes. Dans un souci d’homogénéité esthétique, chaque concession est aménagée par la commune avec un chevalet en pierre permettant l’identification des urnes inhumées. Cette identification sera matérialisée par la pose d’un médaillon fourni par la commune, au choix du concessionnaire parmi trois modèles réalisés par un artiste local.

Porté par la maire écologiste de la commune, Danielle Dambach, et par son adjoint à l’état civil, Bernard Jénaste, ce projet s’inscrit dans une volonté de pérenniser et de développer la dimension paysagère et écologique des cimetières comme de véritables poumons verts urbains.

Après la mise en place d’une politique "zéro phyto" en 2015, la commune a entrepris depuis 2019 l’enherbement de ses cimetières (rendu possible dans cette région où l’inhumation en pleine terre, sans semelle pour délimiter les concessions, est majoritaire). La création d’une offre de concessions arborées s’inscrit dans la continuité de cette végétalisation.

Si le terme de "forêt" n’est pas le plus approprié en ce qu’il s’agit d’une parcelle nouvellement boisée à Schiltigheim, le principe de "forêt sanctuaire" est exploré sous une autre forme à Muttersholtz. Depuis le printemps 2023, la commune a en effet procédé à la sanctuarisation d’une forêt existante par l’attribution de concession cinéraire sous les mêmes conditions qu’à Schiltigheim (avec la possibilité d’exhumer les urnes). En marge des conditions légales relatives aux sites cinéraires isolés, ce dispositif détaché d’un cimetière tend toutefois à se développer dans d’autres communes alsaciennes.

Dans la métropole strasbourgeoise, où les espaces forestiers sont en grande partie protégés, la possibilité de planter et d’arborer des sections dans les cimetières représente une alternative intéressante, tant pour son potentiel environnemental que dans les conditions réglementaires de sa mise en œuvre sur le plan funéraire. Plusieurs communes de l’Eurométropole projettent d’ores et déjà la création de sépultures arborées dans les prochaines années. Gare toutefois à la superficie nécessaire pour offrir ce type de sépulture, gourmand en termes d’espace, dans un contexte de rareté foncière et où de nombreux cimetières arrivent à saturation.

Dans ces premières expérimentations visibles en France et tout particulièrement en Alsace, plusieurs typo-morphologies se dégagent, mais elles se confondent dans la multiplicité et la similarité de leurs dénominations ("forêt cinéraire", "forêt sanctuaire", "cimetière forestier", "forêt du souvenir", "espace boisé du souvenir", "concessions paysagères", "arbres sépultures"…). Cet éventail, qui s’ouvre davantage à mesure que chaque commune promeut sa propre initiative (qu’elle soit semblable ou non à une démarche voisine), semble illustrer l’absence d’un cadre réglementaire spécifique pour définir ces nouvelles sépultures.