Dans le cadre de nos rendez-vous réguliers avec la CFE-CGC Funéraire et son délégué syndical Jean-François Lécuyer, nous nous sommes penchés sur la vie d’un syndicat pendant la crise sanitaire et les actions possibles en état de confinement. Cela nous semble d’autant plus pertinent lorsque ça concerne un milieu professionnel se trouvant, comme le secteur de la santé, en premier ligne. Extraits de conversations variées en milieu confiné !
Si le confinement ne permet plus les déplacements et les formations sur sites, les rencontres physiques avec les pompes funèbres, le rôle d’un syndicat n’en est pas pour autant amoindri, et les fonctions des délégués, via les médias virtuels (courriels, Internet) ou téléphoniques, se retrouvent renforcées dans les domaines de l’information, de la communication, de la pédagogie, cette dernière permettant de mieux expliquer et de rendre clairs les avis et les décrets qui, eux, ne le sont pas toujours. Une autre caractéristique de ces relations syndicales avec les professionnels funéraires est l’écoute, l’attention nécessaire aux retours de terrain de ceux qui, parfois avec la peur au ventre, exercent pour préserver le plus grand respect dû aux défunts du Covid-19.
"Actuellement, le syndicalisme est mis à l’épreuve par le coronavirus. On se retrouve dans une situation à la fois extrêmement intéressante et terriblement perturbante. Intéressante car, si depuis les grands changements de 2017 (réforme du Code du travail, NDLR), on a évolué dans le syndicalisme en réfléchissant, dans le cadre d’échanges réguliers, sur les caractéristiques de la négociation, sur la formation des chefs d’entreprise à discuter, à négocier plutôt que d’essayer de décider à la place des salariés, aujourd’hui, on poursuit ces communications en informant les salariés (nos adhérents), mais aussi les chefs d’entreprise, sur les modifications de textes, la promulgation de nouveaux décrets, sur les dangers en général, et sur la nécessité de protéger le personnel funéraire."
Comment préserver le service et l’accompagnement ?
Dans une rapide analyse en l’état, il ne faut pas oublier qu’en cas de maladie ou de décès de l’un de ses employés, l’employeur peut être accusé de ne pas avoir mis en œuvre les solutions de protections maximales indispensables pour éviter la contamination du Covid-19, puisque, ici, les défunts sont majoritairement ceux victimes de la pandémie. Et évidemment, dans ces moments extrêmes, si vous avez du personnel malade, vous ne pouvez pas répondre à l’obligation de service public, la construction de ce dernier n’est plus possible.
"Sauf, qu’en même temps, tous les professionnels (patrons, salariés, indépendants) savent que cette profession est plus qu’un métier, c’est une vocation, une passion, celle de servir des gens qui sont dans la difficulté. On nous laisse rarement la parole pour parler vraiment de ça. Souvent, on ne voit que l’aspect financier des PF. Même si celui-ci existe, bien sûr, ce n’est pas le seul. Je constate, à travers mes discussions sur les réseaux sociaux, par mail ou par téléphone, le désarroi de mes confrères face aux contraintes actuelles. Il se demande "comment faire pour servir les familles ?", "comment faire pour les accompagner à partir du moment où la mise en bière du défunt est immédiate ?". Ils ne peuvent pas le voir, ni lui rendre hommage, ni accéder aux établissements comme les funérariums. Ils ne peuvent pas être tellement plus d’une dizaine (si on compte les membres des PF). Et on sait que ces mesures sont obligatoires, inéluctables si on veut vaincre le virus. C’est ici l’aspect terriblement perturbant."
Des mesures contraignantes, mais nécessaires
Ce côté déstabilisant est amplifié par les infos (avis et décret) discordantes qui ont pu être parfois diffusées. L’un des exemples les plus flagrants est la présence de contradictions entre l’avis de la HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) du 18 février 2020 – pour certaines de ses recommandations – et celui du 24 mars 2020, notamment concernant la possibilité d’effectuer un transport avant mise en bière(1)(3), la fermeture du cercueil après un délai de douze heures(2), etc.
Ces erreurs ont été fort heureusement rectifiés par le décret n° 2020-384 du 1er avril 2020, où il est dit, entre autres, que "les soins de conservation définis à l’article L. 2223-19-1 du Code général des collectivités territoriales sont interdits sur le corps des personnes décédées ; et que les défunts atteints ou probablement atteints du Covid-19 au moment de leur décès font l’objet d’une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts".
"C’était de l’inconscience pure de dire qu’il fallait transporter les corps sans cercueil, les exposer aux familles, de laisser la pratique de la toilette et/ou des soins, etc. Cette aberration, nous l’avons transformée en un travail de persuasion pour dire qu’il était urgent de revenir à l’avis du HCSP du 18 février. Donc, mise en bière immédiate et interdiction de la toilette, ce qui revient à dire "confinons les défunts" pour protéger les salariés et les entreprises funéraires. Heureusement, depuis le 1er avril, cela est acté."
Une perte de repère pour les familles et les pompes funèbres
"Néanmoins, derrière toutes ces dispositions, il faut reconnaître que les personnels des pompes funèbres sont très ennuyés, désappointés car ils ne savent pas comment faire pour accompagner les familles, ils doivent user d’une vraie pédagogie pour expliquer cette impossibilité d’organiser les obsèques habituelles. Mais, et c’est aussi un soutien pour les employés de PF, compte tenu de l’information qui circule facilement, ces dernières ont souvent conscience du caractère exceptionnel des obligations imposées dans le contexte actuel."
Il est vrai que, dans un premier temps, ce fut difficile, car le message traditionnel – à l’inverse total de celui imposé par la pandémie – est de réunir, d’être proche et, ensemble, de rendre hommage, de veiller, d’être en contact physique avec "l’autre" endeuillé, avec le défunt dont on a fait la toilette, etc. Maintenant, les choses se mettent en place petit à petit et les opérateurs funéraires imaginent déjà ce que devra être l’après-confinement, l’après-crise, de manière que les familles puissent, grâce à des formes variées de cérémonies, d’événements, de rassemblements, de rituels, faire leur deuil, rendre hommage, et redonner de la dignité à leur défunt. Pour la CFE-CGC et ses délégués, il s’agira de les soutenir et de les épauler pour trouver les solutions adéquates au moment venu.
Une forme nouvelle de syndicalisme
"C’est là que l’on se rend compte que, pour nous, CFE-CGC, le syndicalisme peut prendre des tournures inusitées. Nous nous sommes mis entièrement au service de nos adhérents, de nos sympathisants, mais aussi de ceux qui ne le sont pas. Pas exemple, nous avons travaillé toute la semaine sur la protection pour réfléchir, établir des protocoles de sécurité, expliquer si nécessaire. Nous effectuons également un travail d’accompagnement dans le cadre d’échanges avec des salariés, seuls ou en groupe (par mails, principalement). Cela libère la parole, et c’est pour eux la possibilité d’exprimer leurs difficultés, leurs craintes, leurs colères… de poser des questions en rapport avec ces "nouvelles" pratiques de terrain... Ainsi, on peut parfois, dans un premier temps, les aider à calmer leurs peurs, mais aussi à partager leurs expériences, à conforter leurs prises de décisions, soutenir leur courage, leur professionnalisme, etc."
"Enfin, pour conclure, je ferai part de notre satisfaction d’avoir vu l’ensemble des fédérations (FFPF, CPFM, UPFP) faire un énorme travail dans l’ombre pour obtenir les protections, le passage du personnel funéraire en statut prioritaire, la fermeture du cercueil immédiate, l’interdiction des soins et de la toilette, entre autres. Ils se sont tous les trois réunis pour se battre pour la profession ; et, nous, CFE-CGC Funéraire, nous leur en sommes reconnaissants."
Gil Chauveau
Nota : (1) Art. 2. – Par dérogation aux dispositions de l’article R. 2213-7 du Code général des collectivités territoriales, le transport avant mise en bière du corps d’une personne décédée peut être réalisé sans déclaration préalable. […]
(2) Art. 4. – Par dérogation aux dispositions de l’article R. 2213-17 du Code général des collectivités territoriales, l’autorisation de fermeture du cercueil peut être transmise par l’officier d’état civil à l’opérateur funéraire de manière dématérialisée. En cas d’impossibilité d’obtenir l’autorisation de fermeture du cercueil au plus tard 12 heures avant l’inhumation ou la crémation, l’opérateur funéraire peut procéder à la fermeture du cercueil. […]
(3) Art. 6. – Le transport de corps avant mise en bière peut être assuré par des véhicules, acquis ou loués par les opérateurs funéraires habilités, répondant aux conditions des articles D. 2223-110 à D. 2223-112 du Code général des collectivités territoriales.
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :