Les premières Assises du deuil ont eu lieu comme pour les premières Assises du funéraire : au Sénat. À l’initiative cette fois-ci de l’association Empreintes. Avec l’appui précieux de la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire (financement d’une réactualisation d’étude CRÉDOC sur le sujet), de l’association Klésia (protection et innovation sociales) et de l’OCIRP (fondation alimentée par des organismes de prévoyance). Cocktail classique pour un colloque classique, direz-vous ? Eh bien non, car vous n’y étiez pas et, en cela, vous avez bien eu tort car votre expertise et votre performance dépendent en partie des sujets évoqués ce jour-là.
La présence de professionnels funéraires représentant la distribution (pompes funèbres et marbrerie) à cette journée du 12 avril au Palais du Luxembourg s’est réduite à trois personnes :
- Richard Féret, pour la CPFM (Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie)
- Anthony Fallourd, pour Funeplus
- Béatrice Mathurin, pour La Maison des Obsèques.
C’est peu, bien trop peu au regard de l’importance d’une bonne connaissance du deuil pour exercer effica-cement une spécialité professionnelle dans le funéraire.
Voulez-vous en comprendre simplement les enjeux dans votre simple quotidien ?
Quelques questions se posent avec acuité :
- comment comprendre l’état d’esprit et les motivations prioritaires des proches du défunt dans l’entretien en agence lors de la préparation des funérailles, individuellement ou en groupe, jeux de rôles, angoisses etc. ?
- comment s’adresser au groupe humain participant à une cérémonie sachant que les uns et les autres n’ont pas les mêmes besoins ni les mêmes convictions ?
- comment faire évoluer le panier de produits et services de l’entreprise, savoir quand et comment formuler une proposition, et vis-à-vis de qui ?
Audrey Pulvar, animatrice, et Laurence Ferrari, marraine des débats.
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La cérémonie du dernier hommage est comme un seuil sous lequel les participants doivent passer. Pour certains, le porche est très haut, et pour d’autres, il est très bas. À l’identique, pour certains, la cérémonie n’est jamais assez expressive, et pour d’autres, elle l’est trop. Le maître de cérémonie doit modérer les uns et stimuler les autres tout en entraînant l’ensemble de l’autre côté du seuil.
Décalage naturel entre familles et professionnels
Soyons sérieux et reconnaissons entre nous, professionnels du funéraire, que nous sommes des "psychologues du dimanche" formés tant bien que mal sur le tas et opérant au travers du filtre de notre éducation et de notre sensibilité personnelle.
Si quelqu’un vous demande, en dehors de votre périmètre géographique de travail, qui conseiller comme entreprise de pompes funèbres, en étant honnête dans votre réponse, vous serez normalement gêné, car tout un chacun le sait dans le métier :
- ce n’est pas la qualité de l’enseigne qui est déterminante, mais celle de l’individu qui reçoit la famille. Il y a des gens de toutes sortes un peu partout.
- deuxième facteur d’indécision pour le conseil d’un professionnel, variable selon la personne qui accueille la famille en agence, la proportion qu’elle accorde au technique d’une part et au psychologique d’autre part, plus ou moins en accord ou en décalage avec les besoins particuliers de chaque famille.
La satisfaction d’une famille envoyée chez un collègue dépendra donc essentiellement de sa capacité à rejoindre les endeuillés au niveau de leurs préoccupations principales. Le funéraire, pour l’endeuillé, c’est en moyenne d’importance 90 % de psychologique et 10 % de pratique. Bien souvent, pour le professionnel, la proportion est inversée : 90 % de pratique et 10 % de psychologique. C’est normal, puisque son rôle d’intendant général est précisément la mission qui lui est confiée par la famille.
Néanmoins, il existe tout au long du cycle de contacts entre l’entreprise et le groupe des endeuillés ce que j’appelle des "moments-clés". Dans ces circonstances précises, la famille et le professionnel doivent être en mesure de rapprocher leur appréhension des choses afin d’être en accord sur la conduite à tenir ou le résultat à obtenir.
De gauche à droite, Richard Férret (CPFM), Sylvestre Olgiatti (Funepro),
Aubin de Magnienville (CSNAF) pendant la pause des débats.
Un exemple concret ?
Le voici : le temps qui est accordé avant la fermeture du cercueil ou à la sortie de la cérémonie précédant le départ pour le crématorium ou le cimetière. Dans ces "moments-clés", pour l’équipe de cérémonie, les minutes permettent ou non de tenir l’objectif de durée du convoi, alors que ces mêmes minutes se traduisent tout autrement pour la famille : affaire de sentiment, déchirure de l’abandon, joie des retrouvailles et de la solidarité, etc.
Le psychologique et le deuil forment bien entendu ici la même chose. Il s’agit d’étudier, dans l’esprit de l’endeuillé, les ressorts psychologiques qui fondent la vocation des spécialités funéraires. Si nous, professionnels funéraires, nous nous limitons à ne comprendre que les besoins pratiques superficiels des endeuillés en ignorant ceux qui émergent d’une couche psychologique profonde, alors nos propositions et nos interventions peuvent tomber à côté de la plaque (funéraire en l’occurrence) et générer "des impuissances commerciales".
Exemple
Ce qui est arrivé dans la marbrerie funéraire depuis vingt ans. Beaucoup de monuments ont été vendus par des amateurs en la matière, venant des pompes funèbres la plupart, tandis qu’une génération de marbriers "pierreux" n’a pas compris que le monument n’est pas une superficie plus ou moins épaisse de minéral mais avant tout la manifestation d’une intention sensible. Le marché de la marbrerie funéraire souffre certes d’une saturation progressive des équipements familiaux, mais aussi de pratiques commerciales brutales et réductrices, entièrement basées sur le prix.
Notez bien que l’étude 2019 du CRÉDOC, dévoilée ce 12 avril, démontre tout de même que les pompes funèbres sont rétrospecti-vement jugées plus positives par les endeuillés que bien d’autres intervenants que l’on pourrait croire mieux placés dans ce domaine (associations, administrations, etc.).
L’étude démontre sans véritablement nous surprendre que c’est le cercle familial qui procure l’aide la plus utile, avec ensuite les amis et les voisins. Assez curieusement, l’étude place les collègues de travail avant les pompes funèbres dans le hit-parade des aides bienvenues. Je pense qu’il faut nuancer l’intervention des uns et des autres en fonction des circonstances. Il apparaît que les familles apprécient de se décharger sur une compétence professionnelle pendant la durée des funérailles, et placent également la capacité d’écoute du professionnel au rang d’une aide particulièrement précieuse dans ces circonstances particulières.
Néanmoins, les deux tiers des familles n’ont pas reçu d’aide psychologique des pompes funèbres (le chemin à réaliser est encore long). Parmi celles qui en ont bénéficié (le tiers du total), la parité est à 50/50 entre la satisfaction et l’insatisfaction. Il reste donc à peaufiner le contenu de l’aide psychologique que peuvent apporter les professionnels de pompes funèbres aux familles et, détail tout aussi important, il faudra réfléchir à la manière de la présenter. Votre point fort, qu’apprécient déjà toutes les familles, c’est votre capacité à prendre en charge les problèmes pratiques liés aux funérailles.
Témoin pratique : le traitement des réclamations
Le décalage de perception des évènements entre le professionnel et la famille alimente très souvent la matière d’une contestation de la facture finale. Le moindre détail devient alors un prétexte pour obtenir un rabais. Vous le savez, vous le vivez au quotidien. Il est devenu de plus en plus difficile pour les entreprises de pompes funèbres de se défendre de procès d’intention, voire de procès tout court contre des réclamations familiales qui s’appuient toutes, désormais, sur la notion de "préjudice moral".
Le jeu consiste alors à grossir l’incidence psychologique ou prétendue comme telle pour exiger de l’entreprise funéraire un dédommagement qui dépasse l’importance réelle du préjudice. La moindre erreur est alors interprétée comme une atteinte à la dignité du défunt ou de ses proches, quand bien même les plaignants seraient incapables de prouver une intention de nuire émanant des professionnels.
Pour déminer ce type de situation, il faut connaître au maximum les mécanismes psychologiques du deuil. Tout d’abord, il faut être capable de justifier dans l’esprit du plaignant la logique et le bien-fondé d’une facturation. Mais aussi et surtout, il faut rejoindre l’endeuillé dans sa mécanique contestataire pour en comprendre les ressorts. Il faut donc écouter et si possible rencontrer physiquement le plaignant.
Ensuite, il faut également peser si la plainte ne ressort pas d’une envie de rééquilibrer le rapport de négociation financière car, je l’ai écrit depuis de nombreuses années, l’offre des professionnels est bien souvent d’un niveau supérieur aux possibilités réelles de financement des familles. La contestation en espèces sonnantes et trébuchantes dépasse alors sa simple portée matérielle ; elle devient également symbolique d’une volonté de rééquilibrage relationnel, car le client veut rester maître de ses choix et de son niveau de dépense.
En présence de ce processus, l’entretien avec le plaignant devient alors une sorte de troc visant à rétablir un accord final. Toute la question reste alors d’estimer à partir de quel niveau la compensation recherchée est acceptable pour le plaignant. Le dénouement paisible ne s’obtient que si le plaignant réussit à sortir la tête haute du conflit. Dans cet exercice, l’entreprise qui se défend doit garder à l’esprit l’objectif d’une opportunité de fidéliser à tout jamais son client s’il parvient avec lui à la résolution satisfaisante du conflit.
Le deuil du deuil
Cela fait un quart de siècle que la filière funéraire est inondée de colloques et articles sur le deuil en lieu et place, trop souvent, de tous les autres angles d’approche des funérailles. Cette overdose de discours sur le deuil a eu pour effet paradoxal d’imposer une étude de la question dans les écoles funéraires sans intéresser outre mesure les professionnels en activité.
À tout bien regarder, le deuil est essentiellement étudié dans ses manifes-tations pendant les semaines, les mois et les années qui suivent les funérailles. Peu de personnes se sont penchées sur ce qui se passe pendant les quelques jours des funérailles, hormis Elisabeth Kübler-Ross (pour l’essentiel des citations). Et pour cause, cette courte période relève de la sphère privée des familles et de la compétence quasi exclusive des pompes funèbres.
Or cette séquence courte des funérailles se distingue de la suite par la force des pulsions plus ou moins instinctives vécues par les endeuillés quand ils sont sous le choc et pressés par l’urgence. Nous sommes nous, professionnels du funéraire, les véritables spécialistes de cette courte période de quelques jours qui compose le parcours des funérailles.
Nous autres, professionnels du funéraire, nous en connaissons donc parfois beaucoup plus sur les modalités immédiates du deuil (les jours suivant le décès) que les personnes extérieures à la filière qui viennent dans l’intention de nous expliquer ce que vivent les proches d’un défunt. En lisant cela, vous ne m’entendez pas pousser un cocorico, mais c’est tout comme…
Pour autant, ce qui s’est passé ce 12 avril dernier, à l’initiative de l’association Empreintes, aurait vraiment pu vous intéresser et vous faire progresser. Laissez-vous surprendre. Prenez attention à ces quelques enseignements de l’étude CRÉDOC qui suivent et vous illustrent les différentes approches du deuil selon l’âge et la qualité de l’endeuillé.
Bien entendu, c’est une approche généraliste du deuil. Tout au long du colloque, la problématique a été abordée sous des angles divers avec des débats plus intéressants les uns que les autres, les conséquences en termes de santé n’étant pas les moindres.
Retenez qu’il est difficile de comprendre un endeuillé ou un groupe de proches affectés par un décès immédiat quand on ignore de manière plus large toutes les implications que cela peut entraîner chez nos interlocuteurs. C’était cela, le mérite de ces Assises du deuil : aborder les situations et les implications dans toute leur diversité. Mais il n’est pas trop tard, car les actes du colloque apparaissent d’ores et déjà sur le site de l’association https://www.empreintes-asso.com/, et l’étude du CRÉDOC sera disponible ultérieurement sur le site de la CSNAF.
Promouvoir la filière funéraire Aubin de Magnienville, président de la CSNAF, nous explique dans quel contexte la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire s’est investie aux côtés de l’association Empreintes pour la tenue de ces Assises du deuil : "Nous avions organisé le 3 octobre 2016 les Assises du funéraire au Sénat sur la base d’une étude CRÉDOC intitulée "Les Français face au deuil". En gardant une synergie active avec l’association Empreintes, nous rejoignons un courant d’évolution générale de la société française qui prend petit à petit conscience de l’importance des enjeux sous-tendus par le deuil, et plus précisément pour nous dans les funérailles. En tant que force syndicale en amont de la filière, nous faisons ainsi acte de responsabilité sociale des professionnels funéraires en offrant par la même occasion une image de nos métiers plus conforme à la réalité sensible des services que nous offrons aux familles…" |
Accompagner une évolution sociale L’association Empreintes est au cœur d’une prise de conscience étendue qui vise à déployer dans l’ensemble de notre société une prise en compte des difficultés à vivre en tant qu’endeuillé. Le colloque du 12 avril dernier témoigne de l’ensemble des niveaux d’aide qui s’imposent selon l’âge et l’implication sociale des personnes éprouvées (du milieu scolaire jusqu’à la maison de retraite, en passant par le monde du travail). À simple titre d’information sur le déroulé de cette journée, précisons qu’elle était soutenue non seulement par la CSNAF, mais aussi par Klesia (maisons de retraite) et OCIRP (Organisme Commun des Institutions de Rente et de Prévoyance). Présidée ce jour-là par le sénateur Bernard Jomier, la journée associait également le travail d’Audrey Pulvar comme animatrice, et de Laurence Ferrari, marraine des débats. |
Olivier Géhin
Professionnel funéraire
Ancien journaliste
Nota :
Les extraits reproduits dans cet article sont tirés de l’étude – Le vécu du deuil : quelles évolutions en 3 ans ? Les Français face au deuil 2019 – Enquête Empreintes CSNAF réalisée par le CRÉDOC
Résonance n°150 - Mai 2019
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