À 7 h, en ce matin glacial mais où le soleil promet d’être radieux, tous les gars sont sur le pont. Ceux qui ont appris la veille qu’ils feront partie du voyage, et les autres, qui, bien que très déçus, veulent prendre part aux préparatifs de cette mission unique dans leur vie professionnelle et celle de l’entreprise.
Johnny Hallyday. Photo © Gil Chauveau (reproduction interdite) |
Deux jours plus tôt, avec Jérôme Uguen, le patron opérationnel de notre société, nous leur avions parlé de ce qui se préparait. Nous leur avions expliqué la mission qui nous avait été confiée et que nous allions devoir réaliser dans le plus grand des secrets, par respect pour la famille, par respect pour l’immense artiste qui s’en était allé.
Deux jours plus tôt, Bertrand Vincent, dirigeant de La Maison Jaboin à Saint-Cloud, nous avait appelés, nous déclarant d’une voix blanche et inquiète : "Je suis en route avec Gilles Quentin, on part à Marne-la-Coquette, et il va falloir nous mobiliser de manière exceptionnelle." À cet instant, nous avions pris conscience que nous allions devoir changer de dimension et nous surpasser en réalisant une opération "extra-ordinaire", au sens propre du mot, opération qui oblige à agir sans faille et à se transcender.
La confiance et la proximité avaient prévalu lorsqu’il avait fallu pour la famille choisir l’opérateur funéraire à qui confier les funérailles sans équivalent en France au XXIe siècle. Il est vrai qu’en matière de fréquentation et de mobilisation nationale, seules celles de Victor Hugo avaient de mémoire d’homme mobilisé pareille foule.
En effet, pour avoir entendu parler de la qualité des services de la maison Jaboin qui gère une agence à Ville-d’Avray non loin de Marne-la-Coquette, la famille et ses proches conseils avaient spontanément choisi de se rapprocher de l’entreprise familiale lorsque la fatalité les avait frappés. À notre surprise, les obsèques allaient échoir dans les mains d’une structure familiale, La Maison Jaboin, et d’un opérateur associé : ALLIANCE FUNÉRAIRE.
À cet instant donc, la responsabilité d’accomplir "LA" prestation parfaite nous était "tombée dessus", et nous réalisions à peine ce que cela allait entraîner pour le prestataire que nous étions. ALLIANCE FUNÉRAIRE, créée 20 ans plus tôt par la volonté d’une poignée d’hommes (dont notamment le regretté Christian Maffet, mais aussi des familles Vincent, Caruel, Viardot et Bourson), allait en effet bientôt entrer dans la cour des grands. Au terme de bientôt 20 années de bons et loyaux services pour le compte de nos clients (et parfois actionnaires), nous nous apprêtions, avec notre partenaire actionnaire et donneur d’ordre de la première heure, à démontrer à la planète funéraire, et plus généralement à tout le public français, que nous étions taillés pour réussir ce pari insensé, et réaliser, avec le niveau d’excellence requis ce que l’on attendait de nous.
Mais, organiser les obsèques de l’Elvis français, star parmi les stars de la musique et du spectacle, personnage emblématique du rock and roll, adulé et vénéré par l’immense majorité des Français et des francophones, n’était pas une mince affaire. Je déclarais à nos équipes que, si nous avions coutume de gravir le mont Blanc, nous allions devoir désormais nous attaquer à l’Everest.
Pourtant, dès le début de cette singulière aventure, même si la pression était immense, le flegme et la rigueur s’étaient installés. Au fur et à mesure que Bertrand Vincent nous communiquait, heure par heure, bribes par bribes, les demandes de la famille, et plus particulièrement celles de Laetitia Hallyday, nous tentions de trouver les meilleures solutions et de nous orga-niser en conséquence. La gageure était importante. Nous avions en effet moins de 72 heures devant nous…
Le cercueil
Le cercueil : blanc, mais traditionnel, avait demandé la famille. Les MENUISERIES ARIÉGEOISES avaient immédiatement expédié deux exemplaires du modèle en érable à notre dépôt, l’un depuis le centre de Chevilly-Larue en région parisienne, l’autre depuis l’usine de Saint-Paul-de-Jarrat en Ariège. Pourquoi deux cercueils ? Parce que, comme pour les commandes d’un avion où tout est doublé ou triplé, nous avions l’angoisse que l’un des deux ne s’abime lors de sa manipulation, et ne voulions courir aucun risque. Il fallait un exemplaire parfait. L’objet sacré serait vu par des millions d’yeux.
Au téléphone, le dirigeant de l’entreprise, Bruno Barbe, tout aussi concentré que nous, nous encourage et nous souhaite bonne chance. C’est vrai qu’on aimerait bien qu’elle soit aussi de la partie, la chance.
Le véhicule
Le véhicule : la famille avait demandé spécifiquement un modèle Binz de couleur sombre, qui n’avait encore jamais roulé en France. Fort heureusement, mes excellentes relations avec le dirigeant de cette entreprise allemande avaient joué, et le véhicule allait être convoyé par un chauffeur accompagné par l’ingénieur préparateur de ce prototype dans la journée précédant celle des obsèques. Aucune place pour l’improvisation. Ma seule angoisse était que le véhicule ne soit accidenté en route. Heureusement l’équipage était arrivé à bon port à 17 heures en cette veille d’évènement après 6 heures de trajet depuis le centre de l’usine de Lorch jusqu’à Colombes dans les Hauts-de-Seine. Nous échangions heure par heure durant tout le trajet afin d’être bien certains de leur arrivée sains et saufs.
Le véhicule allait passer la nuit précédant les obsèques au dépôt, sous alarme et l’entrée barrée par plusieurs de nos véhicules, rendant ainsi son vol quasiment impossible.
Ainsi, quelques heures avant le dernier tour d’honneur de l’artiste dans Paris, chacun s’activait pour ne rien oublier. Les quatorze Mercedes qui devaient suivre le véhicule funéraire étaient préparées, nettoyées, briquées.
En coordination avec La Maison Jaboin, et grâce à l’entremise de Christophe Ballereau de Mondoyen, chef d’orchestre de la future cérémonie, qui faisait l’interface avec les services protocolaires de l’Élysée, nous pouvions ainsi ajuster au mieux le timing de nos interventions, et donner le tempo aux équipes. Nous devions en effet avoir la précision d’une horloge suisse, et chaque déplacement était minutieusement minuté. Il fallait également s’organiser avec les services de sécurité qui assureraient le maintien de l’ordre, et surtout éviteraient tout acte terroriste possible. Nous répétions ainsi chacun de nos gestes, analysions les temps, préparions tout dysfonctionnement, et les moyens de le rattraper.
Mais, au milieu de tout cela, il fallait aussi accueillir la dépouille et effectuer la mise en bière. Nous nous retrouvions ainsi avec Bertrand Vincent, Gilles Quentin, Jérôme Uguen, Christophe Fiket, dans une salle de la chambre funéraire de Nanterre, hautement sécurisée par les forces de l’ordre et sous la haute surveillance du garde du corps personnel de Johnny. À notre arrivée, nous retrouvâmes la spécialiste des soins de conservation, Huguette Amarger, accompagnée de son coiffeur.
Sans dévoiler davantage cette opération si délicate, je dirai simplement avoir été ému par la réaction du garde du corps lorsqu’il vit la dépouille une fois placée dans son cercueil. Huguette avait admirablement travaillé, et Johnny semblait apaisé et rajeuni, endormi dans cette enveloppe protectrice.
À sept heures du matin, le corbillard, piloté par Stephane accompagné par le préparateur, s’ébranla en direction du funérarium de Nanterre pour retrouver la famille et accomplir le dernier adieu en fermant le cercueil. Sous l’œil attentif de Franck et Richard, les deux maîtres de cérémonie, l’opération se déroula dans la dignité et l’intimité de ce moment si difficile pour tous.
Puis le cortège quitta Nanterre pour se rendre à la Madeleine
Les images télévisuelles parlent alors d’elles-mêmes. La foule de fans et d’admirateurs postés tout au long du trajet criaient le nom du chanteur et lançaient des fleurs par centaines sur le véhicule dans lequel on apercevait distinctement le cercueil. Une fois la place de l’Étoile atteinte, le cortège entama alors une lente descente des Champs-Élysées escorté par la Garde républicaine motorisée, et suivi d’une nuée de Harley Davidson, vrombissantes et fumantes, comme pour rappeler la passion de la star pour ces machines d’exception et permettre aux clubs des passionnés de rendre un dernier hommage à leur idole.
De très longues minutes s’écoulèrent avant que le corbillard n’entre rue Royale. Placé au sommet des marches de l’église de la Madeleine, je pouvais alors distinguer une foule immense pour qui l’heure du salut et de l’hommage était arrivée. Ils étaient tous venus ici durant la nuit et, depuis les premières heures de la matinée, attendaient, dans un froid glacial, l’arrivée de la star. Pour se donner du courage, ils avaient chanté et re-chanté toutes les chansons de son répertoire. La sécurité civile avait naturellement prévu des couvertures de survie, des boissons chaudes et des blocs médicaux, mais qu’est-ce qu’il faisait froid en cette matinée de fin d’automne...
Lorsque le véhicule effectua les deux cents derniers mètres au milieu de la foule massée de part et d’autre de la rue, je fus alors frappé par un détail inoubliable et saisissant : un silence immense couvrit progressivement la foule et la rue. Seul le ronronnement des pales de l’hélicoptère de la télévision qui tranchaient le ciel se faisait entendre, jusqu’à ce que le véhicule s’immobilise devant le parvis de l’église.
La mise en scène prévue à cet instant était alors empreinte d’émotion, et lorsque notre équipe de porteurs se plaça pour mettre à l’épaule le cercueil et le déposer ensuite sur le catafalque sous les yeux des proches, de la femme et des enfants de Johnny et sous l’œil bienveillant du jeune Président de la République, une immense ferveur s’empara alors du public. Le nom de Johnny fut scandé unanimement.
Le Président ouvrit la cession des nombreux hommages qui succéderaient aux siens. Une fois son discours prononcé, les six porteurs encadrés par les maîtres de cérémonie (Richard, Franck et Sébastien) que nous
avions dépêchés, sous l’œil vigilant de Christophe Ballereau de Mondoyen, portèrent le cercueil au sommet du parvis avant de le confier délicatement aux proches ayant réclamé de porter leur ami ou parent devant l’autel. Placé à l’intérieur de l’église, je vis ainsi arriver ce cortège qui chaloupait et serpentait dans l’allée centrale au milieu de l’assistance que nous avions placée au préalable.
Le tout-Paris était là, l’actuel Président de la République et ses deux prédécesseurs, mais aussi les plus éminentes instances politiques, et toutes les plus grandes stars de la chanson, du spectacle, du cinéma et du théâtre qui s’étaient pressées pour assister à ce dernier hommage dans cette enceinte catholique, religion du grand homme.
Les hommages allaient alors s’égrainer durant plus d’une heure
Tous plus beaux et émouvants les uns que les autres, ponctués de moments forts où tous les amis de Johnny allaient rassembler la nation, grâce à notre belle langue française, si puissante et efficace dans de pareils instants. Je me souviendrai longtemps des discours de Labro, Rondeau, Bouquet, Reno, Bruel, et bien évidemment des mots si forts et empreints de tendresse de Line Renaud, émue aux larmes et disant son chagrin de voir partir celui qui aurait pu être son fils.
Et puis, sur les rangs du fond, la famille avait eu le bon choix d’autoriser la présence d’une foule d’anonymes, de fans absolus plongés dans une immense tristesse et un grand désarroi. Ils étaient touchants, ces hommes et ces femmes qui ne se connaissaient pas mais se retrouvaient en communion pour dire un dernier adieu à celui qu’ils avaient vénéré durant toutes ces années d’une carrière unique et gigantesque.
Le temps, bien que suspendu par la qualité des discours et une réalisation musicale que seuls des magiciens qui peuvent vous organiser un spectacle de 100 000 personnes au stade de France sont capables de monter, passa très vite. Après que l’on eut rendu tous les hommages et que Monseigneur Benoist de Sinety eut prononcé les mots si forts concluant son homélie : "Que je t’aime, que je t’aime, Amen", le cercueil fut de nouveau délicatement placé dans le corbillard, sous les yeux embrumés de l’immense foule massée place de la Madeleine.
Ainsi, la cérémonie "métropolitaine" prenait fin, et le cortège s’ébranla de nouveau, emmené par l’escorte jusqu’au lieu où Johnny passerait sa dernière nuit sur le continent européen.
Le lendemain matin, aux aurores, un véhicule anonyme le transporta vers Le Bourget, où un avion allait l’emmener vers sa sépulture finale. À partir de ce moment-là, La Maison Jaboin et nous ressentions un vrai soulagement.
Ainsi se terminait un évènement dont on parlerait longtemps et qui resterait à jamais gravé dans nos mémoires. Tout s’était parfaitement déroulé et chacun de nous était fier du travail accompli. Nous avions atteint le sommet de l’Everest !
Philippe Gentil
Président ALLIANCE FUNÉRAIRE
Nota :
Pour la partie musicale et artistique, Nous avons été fascinés d’assister à la justesse et au professionnalisme des équipes à qui cela avait été confié. Nous avons pu mesurer la qualité du savoir-faire artistique de la maison Hallyday, qui allait organiser les hommages musicaux, les discours, sous la grande bienveillance de l’évêque de Paris, Monseigneur Benoist de Sinety.
Résonance n°136 - Janvier 2018
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