Alors qu’il fête sa centième collectivité locale adhérente, le Syndicat Intercommunal Funéraire de la Région Parisienne (SIFUREP) organisait, le 5 octobre dernier à Paris, son dixième colloque annuel. L’occasion pour le funéraire public francilien (qui exerce son activité sur 4 millions d’habitants) de se pencher sur la place des morts dans nos vies et nos villes.
Question : Comment vivre avec nos morts ? Pour intime qu’il soit, le rapport au décès relève aussi du collectif. En cela, il concerne l’espace public, et les villes ont donc à gérer à la fois les lieux et les rituels funéraires. Une réflexion qui était placée au cœur des débats du colloque du SIFUREP le 5 octobre dernier. Une centaine d’élus et de professionnels étaient présents.
De gauche à droite : Marie-Valentine Deborde (juriste SIFUREP), Marien Pirot (chargé de mission au Secrétariat général de la Zone de défense et de sécurité
de Paris), Lucie Garret (communication SIFUREP), Régis Bertrand (historien université Aix-Marseille) et Magali Molinie (psychologue université Paris VIII).
Créé en 1905, agissant pour le compte de 101 communes (4 millions d’habitants), le Syndicat gère le service extérieur des pompes funèbres, et délègue le fonctionnement de cinq crématoriums (Nanterre, Arcueil, Clamart, Champigny-sur-Marne, Montfermeil) et de deux funérariums (Nanterre, Montreuil) de l’agglomération parisienne.
Professeur émérite d’histoire moderne à l’université d’Aix-Marseille, Régis Bertrand a décrit les lieux de recueillement urbains depuis le XVIIIe siècle, au regard des grands textes réglementaires. Le cimetière paroissial a finalement été déplacé hors les murs pour raison d’hygiène. La concession remplace peu à peu la fosse commune, l’hommage s’individualisant fin XIXe siècle, la statuaire prenant de l’importance (XIXe siècle). La considération portée aux grands hommes a débordé le cimetière, baptisant des rues, des stations de métro, des aéroports, jusqu’aux mémoriaux virtuels d’Internet. Dans l’espace privé, les familles ont collectionné photos d’ancêtres et objets familiers.
Le deuil, un bricolage permanent
La place donnée à la mort évolue, le deuil et son expression aussi. La société s’est sécularisée, a rappelé la psychologue Magali Molinie (université Paris 8 Saint-Denis). "Cela donne l’impression d’un bricolage permanent, alors qu’il n’y a plus guère d’encadrement religieux. On ne sait plus quand quelqu’un est en deuil." Un état qui s’exprime aussi collectivement, comme au soir de récents attentats en France.
C’est justement la gestion de morts de masse survenus lors de catastrophes (attentat, accident, inondation, attaque chimique, grippe, canicule) qui a également été abordée lors de ce colloque. Comment anticiper et quels dispositifs mettre en place pour assurer la continuité de la chaîne funéraire ?
Le plan Orsec "Décès massifs" de 2009 vient d’être réactualisé après une année de réunions. Un représentant du Secrétariat général de la zone de défense et de sécurité de Paris est venu l’expliquer. Ce type de dispositif brasse les pouvoirs des préfets de département, de région et du préfet de police, les compétences des ministères, prévoyant plusieurs niveaux d’action (de la commune à la région). L’Île-de-France fédère un tiers du PIB national, un réseau de transport dense, une concentration de population, donc de forts enjeux de sécurité pour les communes, la police, les pompiers, les personnels de santé… et les pompes funèbres.
Gérer canicule, grippe ou attentat
Quelles leçons tirer des précédents ? Comment prévenir et répondre à une inondation massive, une pandémie, un attentat, une crise vétérinaire, une attaque chimique ou nucléaire. Comment veiller sur les réseaux (transports, eau…) ?
C’est après la canicule de 2003 que cette notion de décès massifs a été élaborée, comme un nombre dépassant largement les moyens existants et nécessaires. En 2003, été le plus chaud depuis 53 ans, la région parisienne a connu une surmortalité de 120 % (4 867 décès excédentaires, dont 1 067 à Paris), inégalée depuis. Dans la semaine du 6 au 12 août, les PFG (un quart des obsèques alors) avaient vu leur activité croître de 37 %.
Par ailleurs, la canicule de juillet 2015 a mené à une surmortalité francilienne de 23 % (près de 300 morts). Quant à la grippe de fin décembre 2016 à début février 2017, elle a causé une surmortalité régionale de 17 à 32 % selon les semaines (source : Institut de veille sanitaire).
La notion à la base de ce plan est celle de la fluidité de la chaîne funéraire, telle qu’elle a été retracée par le service parisien des cimetières. Ce plan Orsec, après avoir rappelé les compétences des acteurs (y compris les groupements professionnels funéraires et les responsables religieux), recense les moyens disponibles. Des questions de salubrité publique viendraient par exemple à restreindre l’intervention des cultes. Les entrepôts frigorifiques régionaux ou les cases froides en établissements de santé y sont recensés, pour y conserver des corps avant mise en bière comme en 2003, en cas de saturation des chambres funéraires, dont la cellule de crise suit attentivement le taux d’occupation. Des containers réfrigérés sont envisagés. Les capacités de transport ou de production de cercueils des grands opérateurs funéraires y sont également établies.
Réquisition de véhicules
Des mesures antiblocages de la chaîne funéraires sont listées. On y veille ainsi à la disponibilité des médecins généralistes pour dresser les certificats de décès pendant l’été, période de congés. Des renforts de praticiens sont prévus, tout comme des cellules spéciales police-justice pour délivrer des permis d’inhumer. Pour les transports de corps, le préfet peut accélérer des habilitations ou réquisitionner des véhicules.
Dans les crématoriums, les horaires seraient élargis, tout comme dans les services d’état civil des mairies pour les démarches administratives, et le nombre d’agents renforcé. Quant aux corps contaminants (grippe, Ebola, victimes chimiques), les procédures sont clarifiées (cercueils hermétiques). Ce plan Orsec, assure le représentant de la préfecture de police parisienne, a été transmis à l’ensemble des acteurs funéraires habilités dans la région, et de leurs associations représentatives.
Une vidéo présentant un résumé du colloque est visible sur le site : www.sifurep.com |
Olivier Pelladeau
Résonance n°135 - Novembre 2017
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